Est-il possible de réduire de moitié la faim dans le monde d'ici 2015 ?

Ce billet fait partie d'une série traitant de l’insécurité alimentaire, commanditée par le Centre Pullitzer et Global Voices Online, qui se veut une vitrine de la couverture multimédia du problème réalisée sur le site Pulitzer Gateway to Food Insecurity et des discussions partagées par les blogueurs aux quatre coins du monde.Partagez vos informations ici. [Liens en anglais, sauf indication contraire]

Les dirigeants de 140 pays se sont rassemblés à New York lors d'un sommet des Nations Unies qui s'est tenu du 20 au 22 septembre pour débattre des meilleures approches à adopter afin d'atteindre huit objectifs relatifs à la pauvreté d'ici 2015. Un de ces objectifs vise à lutter contre la faim dans le monde.

Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), adoptés en 1990, visent à promouvoir le développement social et économiques des pays les plus pauvres de la planète. Alors qu'il ne reste que 5 ans avant la fin du délai fixé pour atteindre ces objectifs, qui vont de la réduction de la pauvreté à l'amélioration de l'accès à l'éducation et aux soins, la pression augmente.

Distribution de sanc de riz par l'ONU. Photo UN/Sophia Paris

Le premier des OMD est lié aux questions de pauvreté et de faim. Il vise, entre autres, à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim entre 1990 et 2015, de 20 à 10 pour cent. Selon certains, réduire rapidement ce chiffre est essentiel pour atteindre les autres OMD.

Sur le blog du projet mondial de sensibilisation à la réduction de la pauvreté ONE, Malaka Gharib explique qu'elle était l'invitée de l'émission Late Night with Jimmy Fallon à l'occasion du sommet de l'ONU et qu'elle a réalisé lors de cette apparition télévisée que la plupart des téléspectateurs n'avait jamais entendu parler des OMD. A cours  de l'émission, elle a demandé au public de choisir quel objectif leur paraissait le plus important. Trois personnes sur cinq ont choisi celui lié à la faim. Elle cite :

Hunter, New Hampshire : « Objectif 1. Le problème de la faim est récurrent et aucune amélioration ou solution n'a été réalisée ou trouvée durant les dernières années. La faim n'est pas comme une maladie qui peut être soignée. »
Liam, New York : «Objectif 1. Tout le monde doit manger. »
Michelle, Canada : « Objectif 1. Il y a assez de nourriture pour tous, il faut donc trouver comment la distribuer correctement. »

Le nombre de personnes souffrant de la faim a été réduit de 20 pour cent en 1990-92 à 16 pour cent en 2010. Certains pays, y compris le Congo, le Ghana, le Mali, le Vietnam, la Guyane et la Jamaïque, ont déjà atteint l'objectif fixé et d'autres, y compris la Chine et le Brésil, en sont proches. En septembre, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a annoncé que le nombre de personnes souffrant de faim chronique cette année est en diminution comparé au triste record de l'année dernière, il est passé de 1,02 milliards à 925 millions.

Toutefois, malgré ces chiffres en légère diminution, la planète compte plus de personnes souffrant de malnutrition qu'en 1990. Selon la FAO, il sera extrêmement difficile d'atteindre l'OMD 1 d'ici 2015.

Un rapport publié par l'organisation de lutte contre la pauvreté ActionAID avant le sommet des Nations Unies révèle que 20 des 28 pays pauvres n'étaient pas en bonne voie pour réduire de moitié le nombre de leurs citoyens souffrant de la faim d'ici 2015 et que le problème s'empirait même dans 12 pays. De plus, les pays présentant les plus mauvais résultats ne sont pas, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ceux qui font face aux plus grandes difficultés économiques. Par exemple, en Inde, près de la moitié des enfants souffre de malnutrition.

Devinder Sharma, un analyste étudiant les politiques alimentaires et commerciales et rédacteur sur le blog Ground Reality, déplore le manque de progrès réalisés en Inde et s’interroge à propos des statistiques mondiales liées à la faim.

D'ici 2010, la liste mondiale des personnes soufrant de la faim devrait compter 300 millions d'individus en moins. Cependant, 85 millions sont venus la rejoindre, faisant passer le chiffre total à 925 millions. Et même ce chiffre est en-dessous de la réalité. Le terrible visage de la faim est délibérément masqué par une réduction des chiffres. En Inde, par exemple, les chiffres officiels font état de 238 millions de personnes souffrant de la faim. C'est qui est certainement loin de la réalité. Selon une nouvelle estimation gouvernementale, 37,2 % de la population vivrait dans la pauvreté, ce qui signifie que le chiffre officiel du nombre de personnes souffrant de la faim en Inde est de 450 millions. Et même ce dernier est en-dessous de la réalité.

Plusieurs événement qui se sont tenus parallèlement au sommet de l'ONU ont attiré l'attention sur les questions relatives à la faim. Une manifestation menée par ActionAid a, par exemple, sensibilisé le public à l'importance que les femmes travaillant dans le secteur agricole peuvent avoir dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Charlie Harris, blogueur pour Americans for Informed Democracy (AIDemocracy), a participé à l'action, déguisé en animal de ferme :

Nous représentions les animaux de ferme des femmes des pays en développement et nous étions présents pour manifester en leur nom. Si on leur en offre les moyens, les femmes du secteur agricole peuvent jouer un rôle dans la réalisation des OMD. Elles côtoient les personnes vivant dans la pauvreté et souffrant de la faim et ont les moyens de radicalement transformer ces communautés.

Le deuxième jour du sommet, un forum intitulé « 1 000 jours : changez une vie, changez le futur » a mis l’accent sur la dénutrition infantile, soulignant l'importance d'une alimentation correcte dès le plus jeune âge dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Tonya Rawe, blogueuse pour l'organisation humanitaire CARE, raconte que cet événement lui a donné de l'espoir :

L'initiative sur la nutrition a été conçue pour s'adresser à ce que CARE appelle  “The Window of Opportunity” (La fenêtre d'opportunité) : les 1000 premiers jours cruciaux qui comprennent la grossesse et les deux premières années de l'enfant. Cette période est un moment clé pour combattre la malnutrition et offrir à l'enfant toutes ses chances pour le reste de sa vie. La faim et la malnutrition font plus des victimes que le HIV/sida, la malaria et la tuberculose réunis. Pourtant, comme je l'écrivais hier, les efforts que nous déployons pour combattre la faim doivent faire face à de grands défis. Cela peut sembler décourageant, mais je garde l'espoir.

Le document final rédigé lors du sommet contient des recommandations pour chacun des objectifs. Pour l'OMD 1, il appelle à s'attaquer aux causes premières à l'origine de la pauvreté et de la faim, à viser la création intensive d'emploi et la croissance économique équitable pour s'approcher du plein-emploi et à promouvoir l'autonomisation et la participation des femmes vivant en zones rurales. Toutefois, certaines personnes ont été déçues que le document n'intègre pas d'informations sur la manière dont les gouvernements devront augmenter leurs efforts pour lutter contre la faim. Tony Burkson, un consultant établi à Londres qui travaille avec des entreprises en Afrique, remet en question la valeur des OMD sur Africa On the Blog :

La tendance est très claire, la communauté de développement international et ses collaborateurs du monde des ONG se sont rassemblés pour débattre d'un objectif trop ambitieux dont ils savent qu'il ne sera probablement jamais atteint. Tous les cinq ans, ils se retrouvent pour se féliciter les uns les autres et publier le même communiqué de presse, qui dit à peu près : certains progrès ont été faits, cependant nous sommes encore loin du but, l'aide au développement doit être plus importante si nous voulons atteindre ces objectifs. Il ne fait aucun doute que ces objectifs ont été fixés avec de bonnes intentions, mais ils ne sont pas réalistes. Chaque pays rencontre des problèmes différents et espérer que plus de 100 pays atteignent les mêmes objectifs dans un délai donné semble plutôt simpliste.

Sur le blog End the Neglect, Anjana Padmanabhan, responsable des médias sociaux pour le Global Network for Neglected Tropical Diseases, explique qu'il est difficile de ne pas se laisser entraîner par l'enthousiasme qui entoure le sommet. Toutefois, elle se demande si cette énergie se traduira vraiment par des actions.

Que se passera-t-il quand l'enthousiasme sera éteint ? Est-ce que les gouvernements tiendront leurs promesses financières ? Est-ce qu'Oxfam voit juste lorsqu'ils disent que le sommet des OMD n'était qu'un mirage ?  Il est difficile d'évaluer ce qui a réellement été réalisé cette semaine, puisqu'il semble que beaucoup de ce qui a été annoncé faisait déja partie des travaux. Il y a une chose qui est claire pour tout le monde. Le chemin menant à la réalisation des OMD est sinueux.  Alors qu'il ne reste plus que 5 ans pour les atteindre, il est difficile de ne pas être septique sur ce qui peut effectivement être réalisé.

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