L'Assemblée générale de l'ONU a adopté, vendredi 17 mai 2013, une résolution plaçant la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser. La résolution avait été présentée, entre autres, par trois petits Etats du Pacifique : les îles Salomon, Nauru et Tuvalu, et a été adoptée sans vote, par consensus, en l'absence de la France qui a boycotté la séance, après avoir usé de tous les moyens politiques et diplomatiques pour empêcher un vote. L'inscription était portée par le président indépendantiste Oscar Temaru, battu entre-temps non sans ironie aux élections locales par le presque inusable Gaston Flosse, rescapé de plusieurs affaires judiciaires, autonomiste dans le cadre de la république française, et proche de la droite métropolitaine.
La résolution de l'ONU affirme “le droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l’autodétermination et à l’indépendance”, conformément à la Charte de l’ONU et l’article 73 sur les territoires non autonomes. Elle invite le gouvernement français à “faciliter et accélérer la mise en place d’un processus équitable et effectif d’autodétermination” en Polynésie. A l’heure actuelle, la Polynésie française (274 000 habitants) est une collectivité dotée d’une très large autonomie, mais la France conserve ses compétences régaliennes, telles que la sécurité publique ou les relations internationales. On trouvera d'intéressantes cartes sur le blog Histoire-Géo.
Des résolutions analogues ont par le passé visé le Royaume Uni (Gibraltar, Malouines) ou la Nouvelle-Zélande, sans résultat concret, les pays passant régulièrement outre.
Le Ministère français des Affaires étrangères a déploré, dans le communiqué de son porte-parole,
une ingérence flagrante, une absence complète de respect pour les choix démocratiques des Polynésiens, un détournement des objectifs que les Nations unies se sont fixés en matière de décolonisation. (…) Le 21 avril puis le 5 mai, les électeurs polynésiens ont renouvelé, comme tous les cinq ans, leur assemblée territoriale. Ils ont donné une majorité incontestable aux élus favorables à l'actuel statut d'autonomie.
En effet, le parti de Gaston Flosse est arrivé en tête du second tour de l’élection pour l'assemblée territoriale le 6 mai 2013 et obtient 38 des 57 sièges à pourvoir.
Gaston Flosse, à peine réinstallé dans le fauteuil présidentiel polynésien, a moins mâché ses mots et déclaré dans un discours radiodiffusé :
Nous continuerons à nous élever contre cette décision jusqu’à ce qu’elle soit rapportée. L’ONU a inventé le droit des nations à disposer des peuples contre leur gré. Nous ne voulons pas de dictature chez nous.
Causeur ironise :
Il semble d’autant plus urgent d’y organiser un « processus équitable et effectif d’autodétermination » que celui-ci a déjà eu lieu en mars dernier. À la question « Souhaitez-vous que les îles Malouines conservent leur statut politique actuel en tant que territoire d’outre-mer du Royaume-Uni ? », les insulaires ont répondu Oui à 99,8%.
Mais peut-être est-ce là une majorité trop faible pour beaucoup d’Etats membres de l’ONU, où un scrutin n’est valide que si le pouvoir en place dépasse la barre des 100% des suffrages exprimés.
Sur les médias sociaux, les réactions ont été tout aussi épidermiques, et des utilisateurs de Twitter renvoient symétriquement la France à ses incohérences supposées de donneuse de leçons.
Michel Emka cite un article d'europe-israël.com :
@EmkaMichel : L’arroseur arrosé: La France furieuse après le vote de l’ONU sur la Polynésie française – http://www.europe-israel.org/2013/05/larroseur-arrose-la-france-furieuse-apres-le-vote-de-lonu-sur-la-polynesie-francaise/ …
Le souverainiste Damien Lempereur invoque la Palestine :
@dlempereur : La Polynésie française sur la liste des pays à décoloniser selon l'ONU mais bien sûr pas les territoires palestiniens http://www.un.org/fr/decolonization/nonselfgovterritories.shtml …
Le blog Zone Militaire, sur opex360.com décrit les enjeux stratégiques de la Polynésie pour la France :
La Polynésie française apporte au domaine maritime français quelques 5.030.000 km2. Elle donne aussi à la France une position stratégique de premier choix dans le Pacifique, région qui tend à prendre de plus en plus d’importance étant donné qu’autour de cet océan vit près de la moitié de la population mondiale et que presque toutes les grandes puissances y sont présentes. (…) Qui plus est, la Zone économique exclusive (ZEE) de la Polynésie française recèlerait, si l’on en croit les résultats d’une exploration menée en 2010 par une équipe de l’Université de Tokyo, des dépôts offshores de terres rares, indispensables pour l’industrie électronique.
Mais, comme l'explique cette tribune publiée par Rue 89, la décision d'inscription “peut être examinée au regard de la très grave crise économique, sociale et culturelle que traverse cette région, et de la difficulté de l’Etat à contribuer à son règlement.”
(Sous le gouvernement de l'indépendantiste Temaru) la Polynésie a continué de s’enfoncer non dans la récession, mais dans la dépression économique, compte tenu de son étrange modèle totalement inadapté à la donne économique mondiale actuelle. Nous sommes en effet en présence d’une sorte de Janus, monstre à deux têtes, l’une ultralibérale (absence d’impôt sur le revenu et d’allocations chômage), et l’autre ultradirigiste (secteur public hypertrophié et protectionnisme).
L’Etat (…) a fini par prendre conscience de la gravité de la situation. Mais Paris ne dispose guère de leviers de réforme, compte tenu du statut d’autonomie. (…)
Le paradoxe est que c’est le père du modèle en cause qui a été élu, à la satisfaction semble-t-il de certains milieux économiques persuadés que l’on pouvait revenir au bon vieux temps. Gaston Flosse est conscient de la gravité de la situation : la première mesure qu’il a annoncée est la mise en place de l’assurance chômage. Cet homme intelligent saura-t-il être le Gorbatchev de son propre système ? (…)
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