Après plusieurs années marquées par les affrontements au Nord du pays, le Mali oeuvre progressivement à sa reconstruction et sa réunification. La tâche est difficile mais les citoyens maliens ne rechignent pas à la tâche. Fatoumata Diaby est un exemple édifiant de ce Mali qui ne lâche rien et fait l'effort au quotidien pour reconstruire l'économie du pays. Fatoumata vit à Sakolabada dans le centre du Mali. Global Voices l'a rencontré alors qu'elle pilotait son moto-taxi.
Communément appelé « Taxinin » ou « katakatanin », le moto-taxi est aujourd’hui utilisé dans presque toutes les régions du Mali. Il sert de transport en commun dans certaines villes comme à Ségou où il tente de supplanter les taxis pour offrir une alternative plus abordables aux citadins. A Bamako, il est utilisé pour le transport de bagages. Activité auparavant exclusivement faite par des hommes, Fatoumata est la première femme à prendre les manettes d'un taxinin.
Voici l'interview de Fatoumata par Boukary Konaté pour Global Voices :
GV: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Fatoumata Diaby FB: Je me nomme Fatoumata Diaby, j’ai 35 ans. Je suis originaire de Kéniéba, mais je vis avec mon mari à Sakolabada, un village d’orpaillage situé à 26 kms de Kéniéba. Nous avons trois enfants: deux garçons et une fille. Je suis infirmière, mais je n’ai pas eu la chance de pratiquer ce métier.
GV: Hier, je vous ai rencontrée au niveau de Kati sur un moto-taxi pour aller à Kéniéba. Vous m’avez dit que vous venez acheter les moto-taxis ici à Bamako pour aller les vendre à Kéniéba. Vous roulez sur ces moto-taxis de Bamako à Kéniéba. Expliquez-nous pourquoi vous faites ce travail et depuis combien de temps?
FD: Parfois, les choses arrivent d’elles-mêmes. Je suis infirmière de formation, mais Dieu ne m’a pas donné la chance de pratiquer ce métier. Au lieu de me croiser les bras, j’ai ouvert un restaurant en 2011 à Sakolabada. Mais je ne pouvais pas me contenter de ce seul travail pour ma famille. J’ai acheté un moto-taxi, j’ai appris à le conduire et j’ai commencé à faire le transport de bagages dans les zones d’orpaillages. Ceux qui font de l’orpaillage ont besoin de transporter leurs pierres auprès du moulin pour extraire de l’or. Je me chargeais de transporter ces pierres aux moulins. Je transportais également leurs matériels entre la ville de Kéniéba et les zones d’orpaillage, sur leurs lieux de travail. De même, je transportais également de l’eau à vendre aux clients quand il y a une pénurie d’eau sur les lieux.
En 2015, j’ai pu ouvrir une boutique de vente de pièces détachées de motos dans le village de Sakolabada. J’ai alors arrêté avec le transport pour me contenter de cette boutique de pièces détachées. Comme les clients savent que je m’y connais un peu aux moto-taxis, ils viennent commander chez moi à chaque fois qu’ils en ont besoin. Alors, je viens acheter les commandes à Bamako, je charge ainsi les pièces détachées que j’achète également à Bamako et je le conduis à Kéniéba ou à Sakolabada. Même s’il n’y a pas de commande, parfois, je viens en acheter pour aller le garer à la boutique pour les clients. C’est comme ça que j’ai commencé ce commerce de moto-taxi.
GV: Combien coûte un moto-taxi à Bamako et combien vous pouvez gagner en bénéfice après la vente Sakolabada ou à Kéniéba?
FD: ça dépend de la montée et de la baisse du prix sur le marché. Je peux par exemple acheter une moto à 1 180 000 FCFA à Bamako et la livrer aux clients à 1 230 000 FCFA. Le carburant pour aller de Bamako à Kéniéba me coûte 25 000 FCFA. Ce qui est important dans tout ça, c’est le fait que dans le moto-taxi, je transporte les nouvelles pièces détachées que j’achète pour ma boutique. Ainsi, je ne paie pas de frais de transport ni pour moi même ni pour le moto-taxi ni pour les pièces détachées aux chauffeurs de car. Je ne vise pas tout le bénéfice directement sur la vente du moto-taxi, mais le fait aussi de ne pas payer tous ces frais de transport, constitue pour moi un bénéfice à gagner si on sait que par car, les frais de transport d’une personne de Bamako à Kéniéba c’est 6 000 à 7 000 FCFA, 50 000 FCFA pour le moto-taxi et entre 30 000 à 35 000 FCFA pour les pièces détachées que j’achète pour la boutique.
GV: Fatoumata, gérer la famille et pratiquer ce métier, ce n'est pas chose facile..
FD: Je n’ai encore rencontré de difficultés insurmontables. Je fais ce travail avec le consentement de mon mari et il me soutient beaucoup. Parfois, on travaille ensemble. Lui, il travaille dans la mine, mais quand moi je viens à Bamako pour les achats, c’est lui qui tient la boutique. Pour les travaux domestiques, mon mari et moi, nous gérons ensemble de sorte que chacun puisse avoir le temps de s’épanouir dans son travail. J’ai également engagé une fille que je paie chaque mois. Elle nous aide dans les travaux domestiques et on s’entend très bien avec elle. Alors à trois, nous menons convenablement cette vie de commerce et de travaux domestiques.
GV: comment ça se passe avec les autres commerçants de moto-taxis à Kéniéba?
FD: Je m’entends bien avec les autres commerçants. Chacun gagne sa chance quotidiennement. La seule différence c’est que les motos que je roule de Bamako à Kéniéba sont bien rodées à l’arrivée et se trouvent en bon état. Les clients préfèrent ces motos à celles transportées dans les camions qui parfois, se déforment à l’arrivée à cause des charges qu’on met là-dessus dans les camions.
GV: quelle est l’appréciation des gens de ce que vous faites?
FD: Les gens aiment beaucoup ce que je fais. Tout le monde m’encourage dans ce travail. Je profite pour remercier les populations de Sakolabada et Kéniéba pour leur encouragement. Les hommes et les femmes me soutiennent beaucoup, même si certaines femmes trouvent que ce que je fais n’est pas un travail conforme à une femme et c’est d’ailleurs pour cette raison que je suis surnommée « Katakataninbolila Fatim » (Fatim, la conductrice de Katakanin, comme on aime appeler le moto-taxi en bambara).
GV: Cette appellation vous pose problème?
FD: Pas du tout! C’est d’ailleurs un plaisir pour moi que d’être surnommée comme ça! ça désigne mon travail, ça signifie que je suis connue dans mon travail, donc que je l’aime et que je le fais peut-être bien. Et puis, il n’est pas dit que tout le monde partage nécessairement ma pensée, mes ambitions.
GV: Dans ce travail, que pouvez-vous partager avec nous comme souvenir ?
FD: Un jour, ma sœur a remarqué que j'étais en retard et m’a appelé au téléphone pour prendre de mes nouvelles. Je me suis garée pour décrocher le téléphone et je lui ai dit que j’ étais presque arrivée et que j'étais en moto (c'était ma premiere fois au volant de la moto). Etonnée, elle a informé les femmes et les jeunes du village. Ils se sont alors tous regroupés pour venir m’accueillir à l’entrée de la ville à pied, en moto, et en voiture avec des tam-tams. Cela a été une grande surprise pour moi. Je reste reconnaissante à toute la population de Kéniéba pour ce geste de reconnaissance qui fut un grand honneur et une grande joie pour moi.
GV: Nous vivons dans une société où les traditions font que certaines tâches sont réservées aux hommes. Est-ce que dans votre travail, vous revendiquez le fait d’être une femme et de faire un travail réservé normalement aux hommes?
FD: Mon idée n’est pas du tout de me comparer aux hommes en faisant ce travail. Je le fais par passion, je le fait par ce que je l’aime, je fais ce travail parce que j’y gagne ma vie. En le faisant, je transmets un message et ce message n’est autre que de montrer aux femmes et aux jeunes que l’heure n’est plus le temps de s’asseoir, que personne ne doit plus croiser les bras, qu’on cesse de faire le choix entre les métiers avec l’idée qu’on a un diplôme et qu’on doit forcement travailler dans un bureau. C’est ce message que je transmets et je me vois comme un exemple dans ce message que je transmets à tous. Quant à l’idée de l’égalité entre les hommes et les femmes, je ne maîtrise pas toutes les subtilités , mais pour moi ce qui compte, surtout dans un foyer entre la femme et son mari, c’est la compréhension, l’entente et la complémentarité. Quand un homme et sa femme s’entendent bien, c’est tout le bonheur du foyer et c’est cela, cette égalité qu’on cherche!
GV: Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées depuis que vous avez commencé avec le transport de moto-taxi de Bamako à Kayes?
FD: dans ce métier, je ne peux pas parler de difficultés majeures, mais c’est fatiguant de rouler en moto-taxi de Bamako à Kéniéba (400km). Parfois, la moto tombe également en panne. Quand ces genres de pannes arrivent en cours de route, je répare la moto moi-même: je peux coller le pneu ou changer le disque. j’ai tous les matériels pour ces genres de pannes avec moi.
GV: Les mots de la fin?
FD: je vous remercie pour cette interview. Dans ce métier, je ne me vois pas en héros, mais en exemple. je me vois comme une source d’inspiration pour les femmes et les jeunes. Ils comprendront j'èspere qu'à travers ce que je fais, que le temps de se considérer comme supérieur ou inférieur vis à vis d'un métier est terminé. Il suffit juste d’aimer ce que l'on fait et de se battre car la réussite est au bout de l’effort.