L'avenir incertain de la révolution syrienne

Fighters from the 101st Infantry Division. Picture used with permission from the Division's media office.

Combatants de la 101e Division d'Infanterie. Photo utilisée avec la permission du bureau des médias de la Division.

Le régime syrien est disposé à maintenir la situation actuelle pendant des années. Pendant aussi longtemps, en fait, qu’il ne devra pas acheter ce temps avec le sang de ses propres combattants, mais avec celui de milices étrangères et de loyalistes syriens dont les vies n’ont aucune importance pour lui. La plupart du temps, il conduit les nouvelles recrues engagées de force vers ses lignes de front telle de la chair à canon, tout en épuisant l’Armée syrienne libre (ASL) avec des bombardements quotidiens. Ceux-ci en tuent les meilleurs soldats ainsi que des activistes médiatiques, cibles de premier ordre.

Le régime ne voit aucun problème à poursuivre ainsi, tant que les villes côtières loyales et la capitale demeurent sous son contrôle, et à un moment où ses ennemis deviennent jour après jour ses amis et ses alliés. Washington n'appelle plus à renverser Assad mais à combattre le terrorisme, et ses opérations militaires visent désormais à seulement combattre Daech (l'E.I.). La tactique consiste à combattre et vaincre les divisions de l’ASL les unes après des autres pour ensuite créer de nouvelles unités avec le soutien du Pentagone et combattre Daech à Deir al-Zour et dans les régions rurales du nord de la Syrie. D’autres unités souhaitent rejoindre le programme du Pentagone pour recevoir davantage de financement en échange de l’envoi quotidien de troupes pour combattre Daech, dans ce qui semble une stratégie vouée à l'échec et sans réelles avancées contre l’organisation extrémiste depuis plus d’un an.

Avec l’influence grandissante des Kurdes et des Forces démocratiques syriennes dans le nord, et leurs tentatives de contrôle du Rojava (le Kurdistan syrien) par les prises des villes de Manbij et Jarablus, l'ASL devra défendre de nouveaux fronts. Elle s'opposera ainsi au régime syrien, à Daech et aux Forces démocratiques syriennes, sans parler des coups de poignard dans le dos des bataillons islamiques à proximité. Que va donc faire l’Armée syrienne libre?

Nous n’entendons désormais plus parler des grandes batailles menées par l’ASL, mais plutôt de confrontations limitées et de combats d’usure avec les factions islamiques. Ces dernières devaient assurer la protection, le renforcement de certaines régions et la reprise du contrôle des régions dominées par le régime ou Daech. Les batailles pour Hama et Alep n’ont pas encore commencé. Un combat à Raqqa, s'il survient, ne sera pas facile pour l’ASL. En effet, une telle bataille sera dominée par les États-Unis et la Russie avec une participation possible du régime, qui donnerait à ce dernier un accès à l’aéroport de Tabqa et à Palmyre. Ainsi, les Forces démocratiques syriennes et l’armée d’Assad (avec la coalition et l’appui aérien des Russes) en seront les joueurs clés.

L’ASL a maintenu ses positions dans le nord avec certaines de ses factions, maintenant immobiles et noyées dans les méandres de l’aide internationale. D’autres factions poursuivent leurs programmes en renforçant leur contrôle et leur pouvoir sur leurs régions. Elles ont commencé à établir des antennes d'aide humanitaire, des écoles et des boulangeries, se transformant ainsi en nouveau bataillon occupé à l'humanitaire et au commerce sans pour autant atteindre l’auto-suffisance, couper le cordon avec l’aide extérieure et réaliser leur indépendance et la victoire.

L’ASL bénéficie maintenant d'une relative liberté de mouvement dans le nord de la Syrie sans être assiégée, comme c’est le cas dans la ville de Homs ou dans la Ghouta orientale à Damas. Cependant, malgré cette fluidité sur un large territoire, l’ASL est enfermée dans les limites des lignes rouges internationales, lesquelles ne peuvent être traversées. «Nobl et Zahraa» sont une ligne rouge. «Foua et Kafriya» sont une ligne rouge. Les régions côtières sont des lignes rouges. Les régions des Unités de Protection du Peuple sont une ligne rouge. Traverser ces lignes résulterait en attaques, peut-être même par les alliés de l'ASL.

Dans la province de Daraa, au sud, les opérations militaires de l’ASL sont en suspens depuis près d’un an, à l’exception de quelques batailles contre des divisions de Daech. L’ASL a perdu son élan dans les régions rurales de Damas et de la Ghouta. Elle combat seule et sous le siège d'Al-Qaida, son éternel ennemi, en plus de défendre de larges fronts avec le régime pour prévenir l'avance de celui-ci. Elle est incapable de briser ce siège dans Daraya, la Ghouta ou la partie rurale de Homs, car elle a été abandonnée dans ces régions.

La principale raison pour laquelle l’opposition fut contenue durant les huit mois de pourparlers de paix à Genève fut pour forcer l’ASL à mettre un terme à ses combats, pour drainer son support tout en continuant d'armer et de fortifier les régions du régime. La trêve présumée, imposée par la Russie et les États-Unis sur les différentes factions, en est la preuve. Elle incluait une obligation de combattre continuellement contre les fronts de Daech et Al Nosra, tout en légitimant les bombardements aériens des régions contrôlées par l’ASL. La trêve validait aussi la présence de milices iraniennes, irakiennes et du Hezbollah, en les traitant comme d'autres factions. Cette stratégie consiste à générer de la contestation et à envoyer un message menaçant à l’ASL en utilisant des armes interdites internationalement, comme les bombes à fragmentation et au phosphore. Ces dernières permettent à la Russie et à Assad de décimer n’importe quelle région pendant que les États-Unis et l’Europe tournent le dos.

Il est difficile de traverser une seule semaine sans qu’un activiste, dirigeant, commandant ou combattant important soit assassiné. Il s’agit d’une stratégie systématique pour empêcher la révolution de fonctionner. Ces incidents passent inaperçus et leurs auteurs ne sont pas tenus responsables, car ces actes surviennent «loin de chez soi». Ce que certains officiels de l’Armée syrienne libre ne semblent pas comprendre est qu’un jour arrivera où ce seront eux, ou un des leurs, qui seront assassinés.

Quel avenir pour l'Armée Syrienne Libre ?

Si l’ASL continue ainsi, tel un outil obéissant à des forces externes, munies de leurs agendas propres (que ceux-ci s’alignent ou non avec les projets de l’ASL), elle entrera dans un tourbillon sans fin. Ce sera l’Armée syrienne libre qui divisera la Syrie et entrainera les Kurdes à établir leur propre Etat au sein de la Syrie. L’ASL prendra part à la restructuration de l’armée du régime et la destruction de la Syrie sous prétexte de « la guerre contre le terrorisme ». Les activistes de l’opposition seront placés sous surveillance par le prochain régime, lequel n’inclura ni l’ASL ni les personnalités importantes de la révolution. Par la suite, il expulsera des dizaines de milliers de familles du pays, comme en 1982 après la guerre de Hafez al-Assad contre les Frères Musulmans dans la ville de Hama.

Si l’Armée syrienne libre n’agit pas comme une force internationale puissante avec en sa possession un projet pour la Syrie, elle ne sera pas prise en compte dans l’équation. C’est ainsi qu’elle perdra sa position face aux organisations de la société civile, avec leur rôle douteux dans la révolution syrienne, et aux imposteurs de l’opposition qui travaillent à donner une nouvelle allure au régime d’Assad.

L’ASL sera jugée non seulement pour les actes qu’elle a commis, mais aussi pour ce qu’elle aurait dû faire lorsque le besoin s’est présenté. Les dirigeants de l’ASL qui résident en Turquie, en Jordanie et en l’Europe sont prêts à abandonner certaines de leurs batailles et même les bases fondamentales de la révolution, dans le seul but de renforcer les relations internationales qui soutiennent leur autorité actuelle, et ainsi leur donner de l’espoir pour le futur. Si les soldats de l’Armée syrienne libre sur le terrain avaient désobéi à leurs dirigeants, renoncé à l’appui extérieur et étaient retournés aux principes de la révolution de 2012, lorsque l’ASL obtenait ses armes des combats remportés contre le régime, la situation aurait été meilleure pour ces soldats, malgré la fragmentation des loyautés.

La décision de la 101e division d’infanterie de l’ASL (qui opère dans le nord de la Syrie) d’abandonner l’appui international, obtenu au prix du silence sur la corruption administrative et financière de leurs alliés, est un premier pas vers le retour de l’indépendance de la révolution. Les autres divisions suivront-elles cet exemple, ou garderont-elles le statu quo ?

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