PHOTOS : Les femmes Tharus du Népal en passe de perdre leur art autrefois obligatoire du tatouage

Kalarvati Chaudhary, 61, se rappelle sa jeunesse quand elle parle de ses tatouages d'aréquiers, paons et autres motifs inspirés par la nature. Photo: CK Kalyan Tharu. Utilisée avec autorisation.

PHOTOS : Les femmes Tharus du Népal en passe de perdre leur art autrefois obligatoire du tatouage

Depuis des siècles, le tatouage fait partie intégrante de la vie des autochtones Tharus qui vivent dans les plaines méridionales du Népal. Aujourd'hui, avec la modernisation, la pratique du tatouage perd son importance chez les jeunes générations.

Les femmes Tharus arborent des tatouages sur les bras, les jambes et la poitrine, comme ornements. Appelés khodna et godna en langue tharu, ils s'inspirent de la nature. Leurs motifs les plus courants sont les lignes, les points, les croix et autres divers éléments naturels.

Les noms des motifs de tatouages renvoient à leurs équivalents naturels : badam butta (plant d'arachide), suruj ke daali (rayons du soleil), thakari mutha (peignes), supari ke gachh (aréquier), et majur (paon) entre autres.

J'ai vu cette belle femme marcher dans la rue du village. Je l'ai arrêtée et lui ai demandé la permission de la photographier. Elle a accepté, j'ai pris sa photo. Ce motif de tatouage se trouve chez les Tharus de l'Est. Mais j'ai oublié d'en demander le nom. C'était comme une ‘tache noire sur la lune’ quand j'ai fait cette erreur.

Aujourd'hui je suis allé à Dumriya, Sunsari (commune de Ramdhuni, quartier N° 1). J'ai rencontré quelques belles femmes tharu, je leur ai demandé de bien vouloir contribuer en accordant la photo de leurs tatouages. Ici le tatouage est appelé khodaha ou godana. Sur cette photo, ce motif de khodaha est appelé surujkedaali (soleil levant) !

Traditionnellement, les jeunes femmes pouvaient décider de porter des tatouages en guise de bijoux permanents, tandis que toute femme mariée devait avoir des tatouages obligatoires sur les jambes, appliqués avant de se marier, classiquement au mois de mars pendant la saison des noces (les mois de Falgun et Chaitra dans le calendrier Bikram Sambat). Mais aujourd'hui, ni les femmes mariées ni les jeunes filles tharu ne veulent porter de tatouages.

Dans un article publié en 1975, ‘Tatooing Among the Tharus of Dang Deokhuri, Far Western Nepal’ [Les tatouages chez les Tharus de Dang Deokhuri, Népal de l'Extrême-Ouest], le chercheur D.P. Rajaure capte le caractère esthétique de la pratique du tatouage chez les Tharus :

Le tatouage chez ces Tharus a une motivation essentiellement esthétique. Selon eux, les filles jeunes et non mariées n'ont pas besoin, et donc ne s'ornent pas de tatouages car leurs cholyas bariolées (une sorte de blouse qui se ferme dans le dos) sont magnifiques et ornementales ; mais une femme mariée doit se faire tatouer pour compenser le manque d'attrait et la simplicité dus au port de la jhulwa ou dainaha jhulwa, une sorte de chemise de femme à manches longues, croisée et fermée sur le devant.

Les tatouages du bas de la jambe représentent en général sitha (bâton ou paille), chulha (poêle) et phunna (motifs suspendus), ceux du milieu représentent des majur (paons) séparés par des sithas, et les tatouages du haut des jambes, un paon seul au centre encadré sur trois côtés de phunna ou d'autres motifs.

Les méthodes traditionnelles de tatouage étaient douloureuses et effroyables. Tikaniya (les tatoueurs, en langue tharu) utilisaient des aiguilles spéciales et de l'encre noire naturelle obtenue avec la suie d'une lampe à moutarde. La lenteur de l'opération faisait parfois s'évanouir [la patiente]. L'artiste frictionnait la partie du corps à tatouer avec de la bouse de vache, puis lavait la zone à l'eau. Après séchage, on appliquait de l'huile de moutarde pour ramollir la surface de peau. Le tikaniya traçait alors le dessin et perçait la peau avec les aiguilles à tatouer.

Une vieille dame Tharu de Chitwan au Népal se rappelle :

"In the old days, when girls of my age were young, a man from India would come and do these tattoos in our bodies. When my friend was being pierced, I could see tears in her eyes because of the pain and I remember being afraid as I was next. That night I couldn't sleep. The next day I asked my mother why I had to get the tattoo. She said, "Who will marry a girl without a tattoo? No one will take you unless you have them." I never understood that. Later I also learnt that in our culture tattoos were also a worship to nature. We don't take anything with us when we die, but I will take these tattoos. It is like a gift of this life and this nature for me to take to my afterlife." (Thagani Mahato, Meghauli, Chitwan)

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Dans l'ancien temps, quand nous étions jeunes avec les filles de mon âge, un homme venait d'Inde et nous faisait ces tatouages sur le corps. Pendant que mon amie se faisait percer, je voyais les larmes dans ses yeux à cause de la douleur, et je me rappelle ma peur car après elle c'était mon tour. Je n'ai pas pu dormir cette nuit-là. Le lendemain, j'ai demandé à ma mère pourquoi je devais me faire tatouer. Elle a dit, “Qui épousera une fille sans tatouages ? Personne ne voudra de toi si tu n'en as pas”. Je n'ai jamais compris ça. Plus tard, j'ai aussi appris que dans notre culture les tatouages étaient aussi une vénération de la nature. Nous n'emportons rien avec nous quand nous mourons, mais j'emporterai ces tatouages. C'est comme un cadeau de cette vie et de cette nature que j'emporterai dans l'au-delà.”

A côté de l'aspect ornemental, une autre raison essentielle d'être tatouées pour les femmes Tharus était de s'éviter l'attention de la famille royale du Népal, qui abhorrait les tatouages, associés aux populations tribales et indigènes. Les tatouages des Tharus empêchaient les aristocrates de les enlever pour en faire des esclaves sexuelles.

Vous voyez les tatouages qui recouvrent le corps et les bras de cette dame ? Kanni Devi Tharuni de Saptari dit : “C'était la façon la moins coûteuse de s'orner de bijoux ineffaçables”. Les Tharus des plaines du sud du Népal ont une riche culture de tatouages corporels, mais à cause de la modernisation, la pratique décline. De fait, les jeunes ne se font plus tatouer du tout. Se faire tatouer était obligatoire pour les femmes mariées Tharus. Elle dit que “ce tatouage [la] suivra à [sa] mort”.

Malgré cette riche tradition, les jeunes Tharus ne se font plus tatouer. On ne trouve plus de tikaniyas expérimentés dans les villages, et les jeunes générations ne manifestent pas encore l'intention de ranimer cet usage séculaire.

Toutefois, comme les tatouages sont de plus en plus à la mode avec des techniques plus sécurisées, rapides et aisées, documenter et poster en ligne les motifs de tatouage portées par les aînées Tharus est en vogue, ce qui provoque un intérêt renouvelé pour cette forme artistique.

Le journaliste et photographe ‘Travelin’ Mick,’ massivement tatoué lui-même, parcourt le monde depuis quinze ans pour documenter les cultures de tatouage restantes, y compris au Népal. Voici un florilège de motifs complexes de tatouages, qui pourraient ne devenir qu'un lointain souvenir si l'art du tatouage des Tharus était promis à la disparition :

Motif traditionnel très complexe sur les jambes et bras de cette dame Tharu de Chitwan, Népal. La plupart de leurs motifs sont des paons stylisés, des faisceaux de céréales, et d'autres images de nature et d'agriculture

Les tatouages font partie du style de vie traditionnel qui disparaît lentement chez les Tharus du sud du Népal

La vie n'a guère changé dans les villages des Tharus du sud du Népal. Mais chaque année je vois de moins en moins de dames aux manches complètes…

Étude de tatouages de femmes Tharu du sud du Népal. Ces motifs traditionnels pratiqués depuis des siècles restent vraiment jolis

Très peu d'étrangers ont pu voir ces représentations mystérieuses de paons pour le dos des femmes Tharu du Népal. En principe elles gardent recouverts ces tatouages magiques…

Ces tatouages traditionnels des Tharus au Népal ont l'air très contemporains aujourd’hui…

Une arrière-grand mère Tharu. Dans ce groupe ethnique de la région du Terai au Népal, plusieurs générations vivent ensemble sous un même toit dans une maison longue.

C'est peut-être les médias sociaux qui vont refamiliariser les jeunes Tharus avec l'art du tatouage, en incorporant des couleurs, dessins et motifs neufs, s'inspirant des anciens, ce qui redonnerait vie à une tradition remontant à la nuit des temps.

Une version de cet article a été publiée dans le magazine ECS.

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