L'Agence indienne d'investigation ‘définit’ les devoirs d'un ‘vrai’ journaliste après l'arrestation du photojournaliste Cachemiri Kamran Yousuf

Les forces indiennes en formation pour arrêter les pierres après que des manifestations ont éclaté à Srinagar, la capitale d'été du Jammu-et-Cachemire. Image sur Instagram par Ieshan Wani. Utilisée avec permission.

La National Investigation Agency (NIA) de l'Inde – un organisme chargé de l'application de la loi antiterroriste – a décrit ce que les journalistes cachemiris devraient rapporter ou non, dans son mémoire au tribunal après l'arrestation de Kamran Yousuf, photojournaliste cachemiri [fr] de 23 ans.

Yousuf travaillait comme photojournaliste indépendant pour de nombreux quotidiens locaux, y compris le Greater Kashmir (Grand Cachemire), le plus grand quotidien de la vallée, et MunsifTV, une chaîne d'information de langue anglaise. Il était surtout connu pour son approche courageuse dans la couverture de l'hostilité croissante entre les forces de sécurité et les civils dans la vallée du Cachemire [fr].

Malgré les campagnes de la part des journalistes et des organisations internationales de défense des droits de l'homme, y compris le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), Yousuf est emprisonné depuis septembre 2017. Les responsables indiens l'accusent de faire partie d'un groupe terroriste international la vallée du Cachemire. Il a été arrêté dans le district de Pulwama au Cachemire et transporté par avion à New Delhi. Les responsables indiens l'accusent de faire partie d'un groupe terroriste international qui prévoit de mener une guerre [fr] contre les forces de sécurité indiennes dans la vallée du Cachemire. Il a été arrêté dans le district de Pulwama, au Cachemire, et transporté par avion à New Delhi.

Le photojournaliste cachemiri Kamran Yousuf, 23 ans, est en prison en Inde depuis septembre. Il risque une condamnation à mort pour sa couverture du conflit dans la région

Dans leurs déclarations devant le tribunal, les fonctionnaires affirment que Yousuf n'est pas un vrai journaliste et continue à inclure une définition du rôle d'un journaliste dans leur mémoire d'accusation :

Had he been a real journalist/stringer by profession, he may have performed one of the moral duty of a journalist which is to cover the activities and happening (good or bad) in his jurisdiction. He had never covered any developmental activity of any Government Department/Agency, any inauguration of Hospital, School Building, Road, Bridge, statement of a political party in power or any other social/developmental activity by the state government or Govt of India.

S'il avait été un vrai journaliste / correspondant local de profession, il aurait peut-être rempli un des devoirs moraux d'un journaliste, qui doit couvrir les activités et les événements (bons ou mauvais) dans sa région. Il n'avait jamais couvert aucune activité de développement d'un ministère ou agence gouvernementale, inauguration d'un hôpital, bâtiment scolaire, route, pont, déclaration d'un parti politique au pouvoir ou toute autre activité sociale ou de développement réalisée par le gouvernement de l'État ou le gouvernement indien.

Fait notable, le site internet de la NIA ne mentionne pas Kamran Yousuf, même dans la liste des “Personnes arrêtées détenues par la NIA“.

Depuis des décennies, les journalistes cachemiris sont confrontés à des interrogatoires, des menaces et des intimidations. Des militants cachemiris qui ont publiquement condamné l'autoritarisme et l'utilisation de fusils à plomb ont été réduits au silence par des menaces. Même les journalistes internationaux qui tentent de faire des reportages sur le Cachemire ont été expulsés et ont été interdits d'entrer en Inde.

Le caractère contradictoire des accusations montre clairement que Kamran Yousuf est utilisé comme bouc émissaire pour intimider les journalistes qui tentent de documenter la situation au Cachemire.

Les accusations contre Yousuf

Yousuf a été emprisonné en septembre 2017 mais il n'a été formellement accusé que le 18 janvier 2018 de complot criminel, de sédition et de tentative de guerre contre l'Inde.

Kamran a passé plus de 150 jours en détention injustiée de la NIA, bien que le chef de la police du Sud-Cachemire ait déclaré qu'il n'y avait pas de First Information report (FIR) (Procès verbal) ou de plainte déposée contre Kamran dans aucun poste de police.

Dans son acte d'accusation, la NIA souligne également que Yousuf a omis de rendre compte des réalisations civiles de l'armée indienne. Dans leur acte d'accusation, ils accusent Yousuf d'avoir “l'intention de ne couvrir que des activités qui sont anti-nationales et de gagner de l'argent en échange de tels reportages”..

Pour tenter de discréditer Yousuf en tant que journaliste, la NIA souligne également l'absence de formation en journalisme de Yousuf dans aucun institut ; cependant, son avocat Warisha Farasat a affirmé que Yousuf avait rempli tous les critères nécessaires pour être journaliste.

Pendant ce temps, la famille de Yousuf est désemparée par les nombreuses accusations qui ont été portées contre leur fils, y compris d'être un caillasseur. Cette accusation, que la famille nie avec véhémence, pèse lourd dans la région. Beaucoup de gens associent tant les caillassages que les représailles subséquentes de la part des forces de police au conflit socio-politique plus général qui affecte le Cachemire.

La famille et les amis de Yousuf réfutent les allégations du gouvernement et disent qu'il était un photojournaliste pigiste sérieux qui voulait simplement se tailler une place par son travail. Des journalistes cachemiris ont protesté contre son arrestation par la NIA et les enquêtes opaques de celle-ci, citant des accusations contre Yousuf pour son travail de couverture des manifestations anti-gouvernementales et des activités militantes.

Les soutiens de Yousuf demandent justice

Après l'arrestation de Yousuf, son ancien employeur, le Greater Kashmir, a désavoué Yousuf et a même refusé de le qualifier de journaliste – un comportement que beaucoup de personnes ont ressenti comme le résultat de la pression du gouvernement. La communauté du journalisme local a rapidement critiqué cette attitude et a défendu Yousuf. Plus particulièrement, son confrère journaliste indépendant Junaid Bhat, qui a écrit sur Facebook :

I'm Junaid Bhat from Sopore, North Kashmir and I was affiliated with the Kashmir's leading newspaper Greater Kashmir. I was attached as a contributor for the said organisation, now after GK disowned my colleague Kamran Yousuf, I have decided to quit the organisation. So hereby I'm informing everyone that I will no longer be part of Greater Kashmir newspaper from now.

Je suis Junaid Bhat de Sopore, Cachemire du Nord et je travaillais pour le plus grand journal du Cachemire, le Greater Kashmir. J'y travaillais comme contributeur pour cette entreprise, maintenant que GK a désavoué mon collègue Kamran Yousuf, j'ai décidé de démissionner. Donc, j'informe tout le monde que je ne fais désormais plus partie du journal Greater Kashmir.

Certains utilisateurs des réseaux sociaux ont demandé pourquoi d'autres associations de journalistes n'ont pas fait plus pour protester contre l'arrestation de Yousef. Le photojournaliste de l'Associated Press, Altaf Qadri, a écrit sur Facebook :

I feel ashamed to be part of a fraternity which only protests or raise their voice when a particular set of journalists are targeted. Kamran was targeted because his photographs from the South Kashmir from the spots of violence rattled the authorities. Because it challenged their narrative. Charges of stone pelting can be leveled against anyone, but it doesn't mean that he is guilty. This seems to be another way to control media. I honestly fail to understand why is Kashmir Editor's Guild, which came into being to address exactly the same issues faced by journalists, has not called for a protest or at least issued a statement. How about Kashmir Press Photographers Association? Or have we already accepted the charges leveled against Kamran? Today it is Kamran, tomorrow it could be YOU.

J'ai honte de faire partie d'une fraternité qui protester ou élève la voix que lorsqu'un certain groupe de journalistes est visé. Kamran a été pris pour cible parce que ses photographies du Sud-Cachemire faites sur les lieux de violence ont ébranlé les autorités. Parce qu'il a contesté leur récit. Des accusations de jets de pierres peuvent être portées contre n'importe qui, mais cela ne signifie pas qu'il est coupable. Cela semble être une autre façon de contrôler les médias. Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi la Guilde des rédacteurs du Cachemire, qui a été créée pour aborder exactement les mêmes problèmes que les journalistes, n'a pas protesté ou au moins publié une déclaration. Et l'Association des photographes de presse du Cachemire ? Ou avons-nous déjà accepté les accusations portées contre Kamran ? Aujourd'hui c'est Kamran, demain ça pourrait être VOUS.

Muzammil Jalil a écrit sur Facebook :

We need to stand up for Kamran and if nothing more, we can at least demand to know what is the evidence against him. Taking pictures, shooting videos, being at the spot are all legitimate journalistic activities. That is no crime.

Nous devons défendre Kamran et si nous ne pouvons rien de plus, nous pouvons au moins exiger de savoir quelles sont les preuves contre lui. Prendre des photos, tourner des vidéos, être sur place sont autant d'activités journalistiques légitimes. Ce n'est pas un crime.

L'oncle de Yousuf Irshad Ahmad a été cité par Scroll.in disant :

If it was the local police, we would have known whom to approach and how to deal with this. But this is the NIA, he is not even in Kashmir. Where do we go?

We would sometimes tell him not to work hard and cover every event given the situation in the valley, but he wanted to keep working. It was his passion […] he deserved to be appreciated and encouraged, not arrested and booked under false charges.

Si c'était la police locale, nous aurions su à qui nous adresser et comment gérer cela. Mais c'est la NIA, et il n'est même pas au Cachemire. Où aller ?
Nous lui disions parfois de ne pas travailler autant et de couvrir chaque événement compte tenu de la situation dans la vallée, mais il voulait continuer à travailler. C'était sa passion […] il méritait d'être apprécié et encouragé, pas arrêté et enfermé sous de fausses accusations.

Le coordonnateur du programme Asie du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), Steven Butler, a déclaré :

India's National Investigative Agency is way out of its league and has no business defining what ‘a real journalist’ should cover. […] Kamran Yousuf's work taking photographs of conflict in Jammu and Kashmir is a public service in the best spirit of journalism. He should be freed immediately.

L'Agence Nationale d'Investigation de l'Inde outrepasse son rôle et n'a pas à définir ce que “un vrai journaliste” devrait couvrir. […] L'œuvre de Kamran Yousuf photographiant les conflits au Jammu-et-Cachemire est un service public dans le meilleur esprit du journalisme. Il doit être libéré immédiatement.

Entre-temps, le directeur exécutif adjoint du CPJ, Robert Mahone, a déclaré :

Indian authorities must stop trying to crush the independent press in the Jammu and Kashmir region. Authorities should immediately release Kamran Yousuf.

Les autorités indiennes doivent cesser d'essayer d'écraser la presse indépendante dans la région de Jammu-et-Cachemire. Les autorités doivent immédiatement libérer Kamran Yousuf.

La guilde des rédacteurs du Cachemire a déclaré:

The pathetic standards of journalism that NIA aims to thrust is not just childishly naive but also reflect a dangerous conspiracy to disempower the fourth estate. If [the] NIA does not understand the basics that separate PR [public relations] from journalism, it puts its own investigating capabilities into question.

Les normes pathétiques du journalisme que la NIA vise à imposer ne sont pas seulement d'une naïveté puérile, elles reflètent également une conspiration dangereuse visant à paralyser le quatrième pouvoir. Si [la] NIA ne comprend pas les bases de la distinction entre communication et journalisme, elle remet en question ses propres capacités d'investigation.

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