Philippines : Laissés sans travail ni logis, les habitants s'organisent contre la fermeture de l'île touristique de Boracay

Boracay et sa plage de sable blanc. Crédit photo : Alexey Komarov. CC BY 3.0

(Article initialement publié le 7 mai 2018) Sur l'île de Boracay aux Philippines, habitants et employés dénoncent la décision du gouvernement de fermer l'accès à cette destination balnéaire de renommée mondiale afin de mener des travaux de rénovation y compris la modernisation du système d'évacuation des eaux de l'île, devenu obsolète.

Par la signature du décret présidentiel 475 le 26 avril 2018, le président du pays, Rodrigo Duterte, a placé Boracay dans un état de calamité. Cette décision officialise la fermeture temporaire de l'île aux touristes et plusieurs groupes ont ainsi adressé une pétition au tribunal pour la faire révoquer.

Devant la Cour suprême, les appelants ont questionné la valeur constitutionnelle de ce qu'ils considèrent comme une décision arbitraire de la part du président. Ils ont également demandé une ordonnance restrictive temporaire afin de suspendre la fermeture de l'île et l'expulsion des entreprises qui y sont implantées.

Les autorités ont justifié la fermeture dans le cadre d'une opération pour prétendument “réhabiliter” l'île face à une situation environnementale désastreuse. Mais quand on a appris que le gouvernement avait initialement approuvé la construction de deux casinos géants sur Boracay, de nombreuses personnes ont cependant commencé à remettre en question cette logique.

Quoi qu'il en soit, la fermeture a été mise en oeuvre sans qu'aucun plan directeur de réhabilitation n'ait été établi au préalable, ou qu'aucune stratégie n'ait été réfléchie afin de minimiser les effets sur les moyens de subsistance de ceux qui vivent et travaillent sur Boracay, dont beaucoup seront forcés de déménager. Une importante vague de licenciements a déjà touché des milliers d'employés.

La page Facebook Les amis de Boracay (Friends of Boracay) met en évidence les effets négatifs de la fermeture sur la vie des gens et leurs moyens de subsistance. Ces témoignages sur internet s'ajoutent aux déclarations recueillies par les organisations de la société civile au cours d'une mission d'enquête et de solidarité, menée à Boracay et dans la province d'Aklan du 16 au 19 avril 2018.

Parmi ces organisations, il y a Bayan-Aklan, Les amis de Boracay (Friends of Boracay), le Centre d'action de Tabang Aklan, Gabriela Panay-Guimaras, Le Centre pour les questions environnementales (The Center for Environmental Concerns), l'équipe d‘Iloilo Pride et L'Union nationale des avocats du peuple (National Union of People’s Lawyers).

Un guide touristique a expliqué en quoi la fermeture de l'île affectera sa famille :

Crédits photo : Les amis de Boracay (Friends of Boracay). Utilisée avec autorisation.

Boracay Tour Guide ako. 11 years na ako sa Boracay. Masakit ang nangyayari sa amin; 2000 kaming mga tour guides. Wala kaming regular na sahod dahil commission basis lang kami. Pumunta ako sa DOLE dahil may closure. May SSS ako at 6 years na akong may contribution. Nagtanong ako kung pwedeng mag apply ng calamity loan, para lang may pangkain, budget. Sa Wetland ako nakikitira sa barong- barong. Ang tanong namin, may ipapalit bang trabaho? Nakatenga kami, araw araw kaming kumakain may tatlo akong anak at pinapadalhan ko sila sa Bacolod. Kailangan namin ng financial assistance.

Je suis un guide touristique à Boracay et je suis sur l'île depuis 11ans. Ce qui nous arrive est vraiment douloureux, il y a 2.000 guides comme moi ici. Nous n'avons pas de revenus fixes parce que nous travaillons à la commission uniquement. Je suis allé voir le ministère du Travail à cause de la fermeture. J'ai la sécurité sociale, j'y contribue depuis 6 ans. J'ai demandé si je pouvais faire une demande pour un prêt lié aux catastrophes naturelles), afin d'avoir de quoi nous nourrir. Je vis dans une maison en carton dans la zone humide. Notre question est la suivante : est-ce qu'il y aura un autre emploi ? Nous sommes à l'arrêt mais il nous faut manger tous les jours. J'ai trois enfants et j'envoie de l'argent à Bacolod. Nous avons besoin d'un soutien financier.

Une habitante a témoigné du comportement agressif des autorités en charge de délivrer les avis d'expulsion aux petites entreprises et aux propriétaires de villégiatures :

Crédits photo : Les amis de Boracay (Friends of Boracay). Utilisée avec autorisation.

Sir, gusto ko ikwento ang ginagawa sa amin dito. Sinerbihan kami bg DENR ng Show Cause Order at Notice to Vacate. At sa pagpunta nila may kasama silang masobra sa 5 na pulis na naka fatigue at kargadang mahahabang baril. NAGPAPANIC NA KAMI DAHIL MAY MGA BATA. At pabalik balik sila sa mga kabahayan. Binigyan lang kami nang 15 days para umalis sa mga bahay namin.

Monsieur, nous voudrions vous raconter ce qu'ils nous ont fait ici. Nous nous sommes vu présenter une assignation à comparaître et un avis d'expulsion [par le ministère de l'Environnement]. Quand ils sont arrivés, ils étaient accompagnés par cinq policiers en treillis et des armes d'épaule. Nous étions paniqués car il y avait des enfants. Ils allaient et venaient entre les maisons et ils nous ont laissé 15 jours pour évacuer nos habitations.

Le conducteur d'un bateau à moteur relate une expérience similaire avec la police :

Crédits photo : Les amis de Boracay (Friends of Boracay). Utilisée avec autorisation.

Napapatanong kami, Kasama ba kami sa demolition? Wala nang pasahero, ikot ng ikot wala namang kita. May pasahero ako dalawang pulis, narinig kong sabi nila pag may lumaban gagawin nilang susunod na Marawi. Natatakot na kami, wala na nga kaming makain. Bubuldosin kami na parang aso at patutulugin sa lupa? Hindi naman kami lalaban kung i de demolish kami, armado sila. Wala kaming malilipatan. May damdamin kami at takot na takot dahil armado sila.

Les gens n'ont déjà pas de travail, mais il faut encore qu'ils utilisent l'intimidation. Ça nous pousse à nous demander, est-ce que nous allons être inclus dans la démolition ? Il n'y a plus de passagers. Nous tournons en rond et ne gagnons rien. Est-ce que l'on va être rasé au bulldozer comme des chiens et contraints de dormir par terre ? Bien sûr, nous ne résisterons pas si nos maisons sont démolies, ils sont fortement armés. Nous n'avons nulle part où aller. Nous ressentons des émotions et là, nous sommes effrayés parce qu'ils sont lourdement armés.

Les artistes sur sable ont insisté sur le fait que ce sont les actions du gouvernement qui sont responsables du problème en premier lieu :

Apat na taon na kaming magpipinsan na gumagawa ng sand art. Taga Boracay kami. Hindi kami ang sumisira sa Isla. Ang mga nagpatayo ng mga malalaking building na pinayagan naman ng DENR ang sumira sa Boracay.

Avec mes cousins, nous faisons de l'art avec du sable depuis quatre ans. Nous venons de Boracay. Nous ne détruisons pas l'île. Ceux qui construisent les gros bâtiments et qui ont reçu des permis par le [ministère de l'Environnement] sont ceux qui détruisent Boracay.

Un post Facebook a fait écho aux points de vue des nombreuses personnes inquiètes du sort des habitants déplacés :

As an advocate for the environment I want it rehabilitated too… BUT I BLEED MORE for the people who are affected by the closure because of lack of planning and foresight on the part of the government in ensuring that safety nets are in place prior to closedown.

En tant que défenseur de l'environnement, je veux aussi qu'il soit réhabilité…MAIS JE SOUFFRE DAVANTAGE pour les personnes qui sont touchées par la fermeture, à cause du manque de planification et de stratégie de la part du gouvernement pour s'assurer que des filets de sécurité sont en place avant la fermeture.

Selon le rapport initial de la mission d'enquête et de solidarité, 40 % de la population a reçu des injonctions pour démolir et évacuer les habitations. Ces injonctions ont été délivrées par des fonctionnaires accompagnés de policiers lourdement armés ; plus de 600 d'entre eux ont d'ailleurs été déployés sur l'île quelques jours avant la fermeture planifiée.

En réponse au tollé suscité, le Président Duterte a brandi la menace d'une fermeture permanente de l'île de Boracay, mais les employés, habitants et leurs soutiens ne reculent pas. Ils continuent de défendre leur gagne-pain en s'opposant à l'installation de grands casinos sur l'île.

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