Le premier ministre Malcolm Turnbull vient d'être déposé à l'issue d'une acrimonieuse semaine de querelles politiques intestines en Australie. Son successeur, Scott Morrison, est le sixième premier ministre du pays depuis la défaite de John Howard à l'élection générale de 2007. C'est la quatrième fois de suite qu'un premier ministre est renversé par une révolte interne de son parti.
Le drame s'est joué sur l'incapacité du gouvernement à obtenir le soutien des députés de base à sa proposition de Garantie énergétique nationale (NEG), dont les objectifs étaient la sécurité énergétique, une baisse des prix de l'électricité et une réduction de 26 è 28 % des niveaux de 2005 d'émissions de carbone de l'Australie à l'horizon 2030. Dans les faits, certains parlementaires libéraux voulaient sortir de l’accord de Paris sur le climat.
M. Turnbull, encore en poste, a réagi en provoquant un vote secret surprise pour la direction du gouvernement le mercredi 22 août, qu'il remporta par 48 voix contre 35. Son challengeur malheureux était le ministre de l'Intérieur Peter Dutton, qui annonça sa démission — et son intention de rester dans la course au poste suprême.
Le chaos s'ensuivit avec démissions de ministres et retournement de vestes de personnalités politiques de premier plan. Invoquant le soutien du chef du gouvernement au mariage des personnes de même sexe, une des ministres de M. Turnbull, Concetta Fierravanti-Wells, démissionna de son ministère en l'accusant d'ignorer la base conservatrice du parti, mais sans être suivie par tous ses collègues libéraux.
Décision sans précédent, M. Turnbull riposta en demandant les signatures de la majorité des 43 membres de son groupe parlementaire libéral avant de convoquer une réunion spéciale. Le groupe parlementaire est composé de tous les élus du Parti libéral à la Chambre des représentants et au Sénat australiens.
M. Turnbull a aussi saisi pour avis le Procureur général au sujet de la capacité constitutionnelle de M. Dutton en tant que parlementaire, une manœuvre secondaire qui s'est avérée non concluante :
According to the Solicitor-General, Peter Dutton ‘is not incapable’ …
Don’t you just love a double-negative before your first coffee of the day? #LibSpill— Joan Evatt (@Boeufblogginon) August 23, 2018
D'après le Procureur Général, Peter Dutton ‘n'est pas incapable'… Ça n'est pas merveilleux, une double négation avant le premier café du matin ?
A la suite de la déclaration du premier ministre qu'il ne serait pas candidat si la réunion adoptait une spill motion [dans la politique australienne, cela consiste à déclarer ouverte à l'élection la direction d'un parti, NdT] , Scott Morrison, le trésorier du parti, et Julie Bishop, qui a été ministre des Affaires étrangères et vice-présidente du Parti libéral, se sont tous deux déclarés candidats dans cette éventualité. Tous deux avaient été des soutiens de M. Turnbull.
Bien que considéré comme un politicien clivant peu populaire hors de son important État d'origine, le Queensland, les médias traditionnels prophétisèrent la victoire de Dutton. Ministre chargé de l'immigration, il a irrité de nombreux Australiens qui ont trouvé inhumain son traitement des réfugiés et demandeurs d'asile. En particulier, la détresse des détenus délocalisés sur Nauru et l'île de Manus en Papouasie-Nouvelle Guinée a fait polémique. Un des détenus, le journaliste iranien Behrouz Boochani, a tweeté plusieurs fois pendant la semaine son opinion sur les actes du ministre :
While Peter Dutton is runing for PM, another 12 year old on Nauru is fighting for her life. This girl should be in school now not on the hospital’s bed. This is the reality of Australia, not Dutton’s smiling face on the national Tv.https://t.co/khGT48ea6r
— Behrouz Boochani (@BehrouzBoochani) August 23, 2018
Tandis que Peter Dutton brigue le poste de premier ministre, une autre enfant de 12 ans lutte pour sa vie sur Nauru. Cette fillette devrait être è l'école en ce moment et pas sur un lit d'hôpital. C'est ça la vraie Australie, et non le visage souriant de Dutton à la télé nationale
Dutton était le fer de lance de la droite conservatrice de son parti, dont beaucoup étaient opposés à la NEG. A l'inverse, ils soutiennent les centrales thermiques au charbon et s'opposent aux actions pour le climat et aux objectifs d'émissions. Dutton a été attaqué comme étant une marionnette de l'ex-premier ministre Tony Abbott, dont Turnbull a pris la place lors d'un vote du groupe parlementaire libéral en 2015. Leur rivalité est ancienne : dans un précédent putsch interne en 2009, Abbott avait déposé Turnbull de son poste de chef de l'opposition à propos d'un système proposé d'échange de quotas d'émissions.
Le politologue Chris Pepin-Neff désigne Abbott comme le méchant :
I hope history will record that it was @TonyAbbottMHR whose vengeance permeated the failed Dutton #libspill. He wrecked the Gillard Government, his own Government, & the Turnbull Government. Surely this is the story of the week. How one man has trashed 3 Prime Ministers. #auspol pic.twitter.com/rd09koM98H
— Dr Chris Pepin-Neff (@christopherneff) August 25, 2018
J'espère que l'histoire retiendra que c'est la vengeance de Tony Abbott qui a imprégné l'échec du spill libéral de Dutton. Il a sabordé le gouvernement Gillard, son propre gouvernement et le gouvernement Turnbull. C'est sans nul doute l'affaire de la semaine. Comment un seul homme a mis à la poubelle 3 premiers ministres. Politique australienne
L'acteur Rhys Muldoon a au même moment clairement exprimé le sentiment de nombreux électeurs :
Tony Abbott just blew up the Liberal Party. His nincompoop sidekick, Dutton, was just the hand grenade. The hatred in that party room could be an alternative energy source. #auspol
— Rhys Muldoon (@rhysam) August 24, 2018
Tony Abbott vient de faire exploser le Libéral. Son benêt d'acolyte, Dutton, n'a été que la grenade à main. La haine dans cette salle du parti aurait pu servir de source d'énergie alternative.
Ce ne sont pas seulement les éminents journalistes et commentateurs politiques qui ont interprété le défi Dutton comme une revanche des pro-Abbott : d'autres parlementaires libéraux ont émis des appréciations similaires sur le premier ministre sortant et ses amis du parti.
Dutton défait par un supporter-même de Turnbull, il semble que le premier ministre assiégé ait déjoué ses adversaires et eu le dernier mot. En 2015, le camp Abbott s'est cru trahi, convaincu que Scott Morrison ne l'avait soutenu que du bout des lèvres, tout conservateur chrétien qu'il soit.
Autre couteau dans la plaie, lorsque Julie Bishop n'a pas voulu de la vice-présidence, son remplaçant a été Josh Frydenberg, le ministre en charge du système avorté d'énergie nationale.
Certains utilisateurs de Twitter ont ironisé à la fois sur Turnbull et sur Dutton. En début d'année, les deux hommes avaient accusé le gouvernement stable du Victoria d'inaction contre la violence supposée de gangs de jeunes Africains dans la capitale de l'État; Melbourne. Dutton avait même insinué que les gens avaient peur de sortir dans les restaurants :
People are too scared to go out to dinner in Canberra. There are gangs of old white men with blue ties stabbing each other in the back. They should go back to where they came from. #libspill #Dutton #Turnbull #LiberalParty #auspol
— DavidW2035 (@DavidW2035) August 23, 2018
Les gens ont trop peur pour aller dîner dehors à Canberra. il y a des gangs de vieux hommes blancs en cravate bleue qui se poignardent mutuellement dans le dos. Il faut qu'ils retournent d'où ils viennent.
Il n'a certes pas échappé aux soutiens des demandeurs d'asile que Scott Morrison fut l'architecte de la politique de barrage aux bateaux de Tony Abbott :
We do forget how bad Morrison was in his vile cruelty towards asylum seekers. His religious beliefs mean nothing when it comes to desperate people struggling for a safer life from war.
— James Dunstan (@snowycats) August 24, 2018
On oublie le degré de méchanceté atteint par Morrison dans son ignoble cruauté envers les demandeurs d'asile. Sa foi religieuse ne pèse rien quand il s'agit des désespérés qui luttent pour une vie plus sûre à l'abri de la guerre.
Malgré le changement de chef, pour de nombreux Australiens cela reste du pareil au même. La nouvelle sénatrice des Verts Mehreen Faruqi a tweeté :
Morrison as Prime Minister is more of the same handouts to corporation, failure on climate change and cruelty to asylum seekers.
His terrible record speaks for itself:#Auspol #libspill
— Mehreen Faruqi (@MehreenFaruqi) August 24, 2018
Morrison premier ministre, ce sera plus des mêmes cadeaux aux entreprises, des mêmes ratages sur le changement climatique et de la même cruauté envers les demandeurs d'asile.
L'écologiste Sam Regester du collectif militant GetUp a été plus cinglant :
Reminder Scott Morrison is every bit as evil as Peter Dutton, but just looks less creepy. His cruelty as Immigration Minister was unimaginable.
— Sam Regester (@samregester) August 24, 2018
Rappel : Scott Morrison est en tous points aussi nocif que Peter Dutton, il donne seulement moins la chair de poule. Sa cruauté comme ministre de l'Immigration était inimaginable.
Kyle Bolto a résumé la réaction dominante des Australiens dans ce tweet :
A pox on all their houses! Seriously, this is getting embarrassing to explain to people when overseas. #auspol #libspill
— Kyle Bolto (@KYADBO) August 23, 2018
La peste soit sur eux ! Sérieusement, ça devient embarrassant à expliquer aux gens quand on voyage à l'étranger.
Les électeurs sont d'accord sur une chose : les premiers ministres devraient avoir la possibilité de gouverner pendant la durée de leur mandat de trois ans, et être écartés par l'électorat plutôt que par leurs collègues parlementaires :
Since I have been allowed to vote not a single prime minister has lasted a full term… What a joke. Funny how they call young people snowflakes and entitled when they are the most emotional, inconsistent and self serving lot in this whole country. #libspill #auspol
— Benjamin Potter (@ben___potter) August 24, 2018
Depuis que je suis en âge de voter, pas un seul premier ministre n'est allé au bout de son mandat… Cette blague. Quelle ironie de parler des jeunes adultes comme de génération “Flocons de neige” à qui tout est dû alors que ce sont eux les plus émotifs, inconsistants et égocentriques de tout ce pays.
C'est un vieux cliché qu'Il peut s'en passer des choses en une semaine dans le monde de la politique, mais vu que la prochaine élection fédérale ne doit pas se tenir avant le milieu de 2019, cela pourrait bien sembler une éternité avant que les électeurs aient leur mot à dire sur qui va les gouverner.
Les prochains épisodes peuvent être suivis sur Twitter en recherchant le mot-clic #libspill, ou le surnom du nouveau premier ministre :#ScoMo.