Si la Slovaquie et la République tchèque se sont séparées officiellement et en bons termes en 1993, leurs sociétés continuent à garder des liens culturels, économiques et politiques forts, au point que certains segments de la société tchèque appellent Zuzana Čaputová, la présidente-élue de Slovaquie, une “présidente tchèque”.
Mme Čaputová, une avocate de 45 ans pro UE, a été élue le 30 mars 2019 avec 58 pour cent des voix. Lorsqu'elle prendra ses fonctions en juin, elle deviendra la première femme à devenir présidente de la Slovaquie.
Pourquoi un tel emballement des Tchèques pour sa victoire ?
Sur le papier comme dans de nombreux aspects de la vie économique, les deux pays auparavant unis ont emprunté des voies plutôt divergentes depuis 1993. La Slovaquie a affronté une transition plus difficile vers une économie de marché, et souffert d’un chômage plus élevé et d'un PNB par tête plus bas que ceux de son voisin. Et si les deux pays sont entrés dans l'Union européenne en 2004, seule la Slovaquie a choisi d’adopter l'euro pour sa monnaie (en 2009).
Les performances plus élevées de développement humain des Tchèques et l'abondance d'emplois attirent un flux constant de travailleurs migrants slovaques. Plus de 100.000 sont actuellement présents, représentant 1% de la population de la République tchèque et plus de 10% de ses travailleurs étrangers. C'est ainsi qu'on entend souvent parler slovaque à Prague et dans d'autres villes tchèques, et il en résulte une étrange sensation de réminiscence des temps de la Tchécoslovaquie, quand les deux langues étaient officiellement à égalité et étaient utilisées sans discrimination dans l'enseignement comme dans les média.
Politiquement l'intrication est encore plus marquée. L'actuel premier ministre tchèque Andrej Babiš est né à Bratislava, en Slovaquie, et y a fait sa scolarité et ses études universitaires. Il parle tchèque avec un léger accent slovaque.
Il est aussi un très controversé homme d'affaires reconverti dans la politique, suspect d'avoir collaboré dans le passé avec les services de sécurité communistes — ainsi qu'au présent de détournement de fonds de l'Union européenne.
Sa ligne politique dans le parti ANO est conservatrice, souvent anti-Bruxelles, ouvertement opposée à l'accueil de réfugiés, et généralement favorable à une alliance plus étroite avec Moscou et Pékin. Un programme politique qui est aussi celui de l'actuel président tchèque Miloš Zeman, élu fin 2018.
Autant dire que la présidente-élue de Slovaquie Zuzana Čaputová est tout ce qu'ils ne sont pas : avocate, militante de l'environnement, partisane des politiques de Bruxelles et de la communauté LGBTQ — et femme.
De quoi contribuer à expliquer beaucoup des commentaires de personnalités politiques et de médias de premier plan à la nouvelle de la victoire inattendue de Mme Čaputová.
Le 31 mars, l'influent et libéral hebdomadaire tchèque Respekt faisait sa couverture avec un article sur la victoire de Čaputová appelée “La présidente tchèque Čaputová.” Le rédacteur en chef écrit :
Na českých sociálních sítích to v sobotu večer vypadalo, jako kdyby Zuzana Čaputová byla zvolena nikoli slovenskou, ale českou prezidentkou. Zavládlo tu naprosté nadšení. Pochopitelně mezi těmi, kdo si před rokem nepřáli úspěch Miloše Zemana. Mohlo by se zdát, že ty oslavy jsou naivní, nesmyslné, ale není tomu tak. Slovensko totiž vyslalo trochu naděje i do Česka.
Samedi soir, on aurait cru sur les médias sociaux tchèques que Zuzana Čaputová avait été élue présidente non pas slovaque mais tchèque. Les gens étaient euphoriques, à l'évidence ceux qui n'avaient pas souhaité la victoire de Zeman un an auparavant. On peut trouver de telles réjouissances naïves, insensées, mais ce n'est pas ça. La Slovaquie a effectivement apporté un peu d'espoir à la Tchéquie.
Une autre différence qui a immédiatement sauté aux yeux du public tchèque est dans la conception des médias de Zeman et de Čaputová. Le président tchèque est connu pour ses attaques incendiaires contre les journalistes, alors que Čaputová soutient ouvertement une enquête criminelle sur le meurtre du journaliste slovaque Ján Kuciak.
Tous les hommes politiques tchèques au pouvoir, y compris le président et le premier ministre, ont félicité Mme Čaputová pour son succès. Y ajoutant sa voix, Jiří Pospíšil, le chef du parti d'opposition TOP 09, a twitté :
Zvolení Zuzany Čaputové je dobrou zprávou pro ČR. Věřím, že přátelské vztahy mezi našimi zeměmi budou pokračovat. Paní Čaputové k vítězství gratuluji a doufám, že se i my brzy dočkáme slušného prezidenta, který hledí vpřed a není zatížen minulostí.
— Jiří Pospíšil (@Pospisil_Jiri) March 30, 2019
Je crois que les relations amicales entre nos pays vont se poursuivre. Nous félicitons Mme Čaputová et espérons que nous mériterons bientôt un président honnête qui regarde vers l'avant et ne soit pas lesté par le passé.
En conformité avec les relations fraternelles entre les deux pays, Čaputová fera sa première visite présidentielle à l'étranger en République tchèque.