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Il y a trois ans et demi, Solsiret Rodríguez Aybar a disparu de son domicile à El Callao, une ville voisine de Lima, capitale du Pérou, où elle vivait avec son compagnon Brian Villanueva. Mère de deux enfants, Solsiret Rodríguez Aybar étudiait la sociologie à l'université nationale Federico Villarreal et était une militante du mouvement Ni una menos [fr] (en français : « Pas une de moins »).
Bien que ses parents aient signalé sa disparition à l'époque, les autorités n'ont jamais enquêté sur l'affaire. Les médias ont reçu la nouvelle dans une indifférence presque totale.
Ce n'est qu'en février 2020, sous les ordres d'un nouveau procureur, que les premières arrestations en relation avec la disparition de Solsiret Rodríguez ont eu lieu. Peu de temps après, les autorités ont découvert que Madame Rodríguez était décédée et que son corps était caché à son ancien domicile pendant tout ce temps.
La famille proche de Brian Villanueva fait désormais l'objet d'une enquête pour meurtre, après plusieurs années sans que la police ne les convoque pour témoigner ou que leur domicile ne soit perquisitionné.
Depuis, l'indignation a éclaté sur les médias sociaux péruviens : pourquoi a-t-il fallu plus de trois ans aux autorités pour débuter une enquête afin de rendre justice à la famille de cette jeune femme ?
Des versions discordantes
Le 24 août 2016, Brian Villanueva a déposé une plainte contre sa compagne pour abandon présumé de son domicile. Deux jours plus tard, les parents de Solsiret Rodríguez ont tenté de signaler la disparition de leur fille mais la police a refusé de prendre leur déposition en raison de la précédente plainte de M. Villanueva.
Dans un article récent sur l'affaire les parents de la jeune femme ont déclaré :
El superior Dante Pastor se negó a admitir la denuncia aduciendo que por su “amplia experiencia”, seguramente Solsiret se había ido de la casa, probablemente con otro hombre y estaba “con la cabeza caliente”.
Le chef de la police, Dante Pastor, a refusé de prendre notre plainte, au motif qu'en raison de sa « longue expérience », il lui semblait que Solsiret avait sans doute quitté son domicile, probablement avec un autre homme et qu'elle était une « tête brûlée ».
Les parents ont enfin pu déposer plainte le 1er septembre 2016, mais ils ont indiqué que la procureure Lucila Aliaga, en charge de l'affaire à l'époque, n'avait mis en place aucune mesure pour retrouver la jeune femme.
En 2018, l'affaire a été reprise par la procureure María Quicaño, et d'après les parents de Solsiret Rodríguez Aybar, cela n'a pas fait avancer l'enquête. Ce n'est qu'en février 2020, lorsque le procureur Jimmy Mansilla Castañeda a pris en charge le dossier que tout a basculé.
L'activation de la géolocalisation du portable de Mme Rodríguez s'est révélée cruciale : les enquêteurs ont découvert que la carte SIM avait été retirée de son téléphone puis insérée dans celui d'Andrea Aguirre Concha, la belle-sœur de Monsieur Villanueva.
Madame Aguirre et son conjoint Kevin Villanueva, le frère jumeau de Brian, ont été arrêtés le 18 février 2020, et révélé peu de temps après que la dépouille de Solsiret Rodriguez était cachée au domicile qu'elle partageait avec Brian.
Selon le témoignage de Mme Aguirre, Solsiret Rodríguez serait morte après être tombée et s'être cogné la tête alors que les deux jeunes femmes se disputaient. Cependant, les conclusions de l'autopsie ne semblent pas corroborer cette version. Le chef de la police nationale péruvienne, José Luis Lavalle, a déclaré lors d'une conférence de presse :
Aquí se ve que habrían ejercido violencia sobre la víctima y esto nos trae a las posibilidades de un homicidio calificado; es decir, un asesinato, y que el móvil gira alrededor de un conflicto al interior de este grupo familiar.
Il apparaît dans cette affaire que la victime a subi des violences, cela nous fait penser que nous sommes face à un homicide aggravé, c'est-à-dire un meurtre, dont le mobile est en lien avec un conflit au sein du cercle familial.
Carlos Basombrío, ministre de l'Intérieur à l'époque de la disparition de Mme Rodríguez, qui avait démissionné pour des raisons étrangères à l'affaire, a exprimé sur Twitter ses regrets d'avoir cru au rapport de police qui affirmait que Solsiret Rodríguez aurait délibérément abandonné son compagnon et ses enfants :
Si pudiera renunciar de nuevo lo haría de nuevo.
Asumo toda la responsabilidad política. pic.twitter.com/SXDyXSB1fP— Carlos Basombrio (@CarlosBasombrio) February 19, 2020
Si je pouvais démissionner de nouveau, je le ferais.
J'assume l'entière responsabilité politique.
Indignation sur les médias sociaux
La journaliste Mabel Huertas a résumé l'affaire :
2 fiscales, uno tras otro, renunciaron a investigar el caso de Solsiret, no les dio la gana, faltaron a su principal función, defender a una ciudadana y perseguir el delito. Un tercer fiscal en el 2019 hizo su trabajo y finalmente la justicia está cerca. @FiscaliaPeru vergüenza.
— Mabel Huertas (@mabel_huertas) February 19, 2020
Deux procureures ont l'une après l'autre renoncé à enquêter sur le cas de Solsiret, elles n'avaient pas envie de le faire, elles ont échoué dans leur mission principale, à savoir défendre une citoyenne et poursuivre un crime. En 2019, un procureur a enfin fait son travail et la justice est sur le point d'être rendue. Honte à @FiscaliaPeru.
Carlos León Moya, chroniqueur auprès de plusieurs médias, a soulevé quelques interrogations :
Sobre el caso Solsiret. Su cuñado, Kevin Villanueva, siempre fue el principal sospechoso. Entonces, ¿cómo así NO registraron la casa de su pareja? ¿Cuándo lo hicieron, tres años y medio después? Además, la Fiscalía estuvo meses sin hacer la denuncia. Les importó un pito.
— Carlos León Moya (@contracultural) February 19, 2020
À propos de l'affaire Solsiret : son beau-frère, Kevin Villanueva, a toujours été le principal suspect. Comment se fait-il alors que le domicile qu'il partage avec sa compagne n'ait PAS été perquisitionné? Pourquoi l'ont-ils fait trois ans et demi plus tard? En plus, le bureau du procureur est resté plusieurs mois sans publier de rapport. Ils n'en avaient vraiment rien à faire.
Kathe Soto, une amie de la regrettée Solsiret Rodríguez, a décrit la douleur avec laquelle elle vit depuis maintenant trois ans et demi :
Hace 3 años, 5 meses y 26 días recibí una llamada qe marcaría mi vida.
Llamaban para decirme qe Sol, una d mis mejores amigas, no había llegado a casa, estaba desaparecida.
Hicieron “investigaciones” y decían q ella se había ido.
Sol nunca se fue, hoy sabemos q la desaparecieron. pic.twitter.com/toDUJfGm7G— Kathe Soto (@kateSotoT) February 18, 2020
Il y a trois ans, cinq mois et vingt-six jours, j'ai reçu un appel qui a changé ma vie.
On m'a annoncé que Sol, une de mes meilleures amies, n'était pas rentrée chez elle, qu'elle était portée disparue.
La police a « enquêté » et a déclaré qu'elle était partie.
Sol n'est jamais partie, ils l'ont fait disparaître.
Un cas parmi des centaines
En 2019, 168 femmes ont été victimes de violences sexistes au Pérou, un record, tandis que seules quatre peines de prison pour féminicides y ont été prononcées. En octobre 2019, pour la première fois, un homme a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour ce crime.
Saira Luján, une militante de Paro Internacional de Mujeres (en français: Grève internationale des femmes), a déclaré à Salto Diario :
Las mujeres víctimas de violencia no solo se enfrentan a sus agresores y a la sociedad machista sino también al sistema judicial que, lejos de garantizar protección de acuerdo a una normativa nacional aún deficiente, duda de ellas, las revictimiza y obtienen sentencias arbitrarias que incluso llegan a la absolución de la pena del agresor.
Les femmes victimes de violences n'affrontent pas uniquement leurs agresseurs et une société sexiste. Elles font également face à un système judiciaire, qui, loin d'assurer leur protection selon des lois nationales insuffisantes, les remet en question, en refait des victimes et prononce des sentences arbitraires qui parfois acquittent leurs agresseurs.
Au 20 février 2020, on dénombrait déjà 25 victimes de féminicides au Pérou, selon un décompte annuel de América Noticias.
85 % de ces féminicides se sont produits dans le cadre « d'une cohabitation, d'une relation sentimentale, aux mains d'ex-petits amis ou des ex-maris » d'après Eliana Revollar, déléguée adjointe aux droits des femmes auprès du bureau du médiateur péruvien. Comme l'a déclaré la psychiatre Martha Rondón :
… el hombre cree o hace creer que es el jefe de la familia y que debe “sancionar” a la mujer por no obedecer. Por eso la cela, por eso la controla y por eso en muchos casos, le quita la vida.
… les hommes croient ou font croire aux autres qu'ils sont les chefs de famille et qu'ils doivent « punir » les femmes qui refusent d'obéir. C'est pour cette raison qu'ils sont possessifs et qu'ils les contrôlent et c'est également pour ça que dans de nombreux cas, ils leur ôtent la vie.