Que s'est-il passé durant les affrontements meurtriers sur fond de conflit foncier à Dong Tam ?

Vue surplombante sur un groupe de policiers, de dos, dans une rue de Dong Tam. De nuit, les bandes réfléchissantes de leurs uniformes sont très saillantes.

Des images de vidéosurveillance montrent de nombreux officiers de police anti-émeute se déplaçant à travers Dong Tam, au petit matin du 9 janvier. Source : page Facebook de Trinh Ba Tu.

Cet article a initialement été publié sur Loa, un site d'informations et une radio en ligne sur le Vietnam opérés par Viet Tan [fr]. Il est reproduit sur Global Voices sous une version remaniée dans le cadre d'un accord de partage de contenu. Reportage de Chris Lê and Kiên Trịnh.

[L’article d'origine a été publié en anglais le 6 février 2020. Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Le 9 janvier 2020, les autorités vietnamiennes ont déployé plusieurs milliers d'officiers de police dans le village de Đồng Tâm, en banlieue de la capitale Hanoï, en réponse à un litige foncier. Des heurts entre les résident·e·s et les forces de l'ordre ont éclaté, causant la mort de trois policiers et deux civils [fr].

Le gouvernement ayant interdit aux médias indépendants de se rendre sur place, les seules sources d'information disponibles sur le sujet sont les médias d’État et les réseaux sociaux. De nombreux internautes tentent de reconstituer l'enchaînement des évènements. L'équipe de Loa s'est elle aussi réunie pour essayer de comprendre ce qui s'est passé. Voici les informations dont on dispose :

Le raid

Tandis que 5 000 officiers de police et membres des forces armées prenaient d'assaut le village de Hoành, dans la commune de Đồng Tâm, au milieu de la nuit du 8 au 9 janvier 2020, des hauts-parleurs diffusaient des messages aux résident·e·s — désigné·e·s comme des « forces contrattaquantes » — leur intimant de ne pas « dépasser les limites avec leurs actions ».

La police a effectué un premier arrêt au domicile de Lê Đình Kình, connu dans sa communauté sous le nom de cụ Kình [cụ est une marque de respect envers une personne âgée en vietnamien, ndlt], un patriarche respecté de 84 ans ayant longtemps mené un mouvement local de protestation contre la corruption. Le South China Morning Post rapporte que selon un livestream diffusé par le militant des droits fonciers Trinh Ba Tu, « [Kình] a reçu deux coups de feu au visage, un dans le cœur et un dans le pied. Il a été tué devant son épouse ».

Photo floue de l'intervention nocturne de la police à Dong Tam au Vietnam.

La police a effectué une descente dans le village de Dong Tam le 9 janvier 2020. Photo issue d'un tweet de l'activiste @AnhChiVN

L'aéroport militaire

Les relations entre le gouvernement et les habitant·e·s de Đồng Tâm n'ont pas toujours été aussi tendues. Des dissensions ont commencé à poindre lorsque Viettel, l'entreprise de télécommunications n°1 au Vietnam et gérée par le ministère de la Défense, a entamé la construction d'un aéroport militaire à proximité de leur village en 2017.

Au Vietnam, régime communiste, toutes les terres appartiennent à l’État. Techniquement, ce dernier peut donc les utiliser comme il l'entend. Mais les résidents locaux qui cultivent ces terres depuis plusieurs générations disent ne pas avoir perçu d'indemnisations suffisantes, rapporte la BBC.

Malgré ces litiges, les habitant·e·s de Đồng Tâm ont longtemps continué à faire preuve de soutien envers le gouvernement. Une photo [vi] publiée sur le site de la BBC en vietnamien montre des panneaux d'affichage créés par la communauté sur lesquels l'on peut lire : « Le peuple de Đồng Tâm a complètement confiance et foi en la vision du Parti. »

Cụ Kình, le doyen tué par la police, a même été membre du Parti communiste durant plus de 50 ans, et a occupé la fonction de chef des forces de police du village.

Pourtant, en avril 2017, la relation subit un revers lorsque les autorités locales commencent à scinder les terres et en réservent 59 hectares au bénéfice du projet Viettel. Lors d'une échauffourée, la police agresse cụ Kình et lui brise la jambe. La population locale riposte en prenant en otage 38 fonctionnaires et policiers durant une semaine.

Le président du Comité populaire de Hanoï, Nguyễn Đức Chung, s'entretient alors avec les habitant·e·s et leur promet qu'il n'y aurait aucunes représailles et que le conflit foncier trouverait une résolution pacifique.

Néanmoins, en décembre 2019, Nguyễn Đức Chung émet l'ordre d'augmenter la pression exercée sur les habitant·e·s de Đồng Tâm afin de les forcer à renoncer à leurs terres.

L'appel à l'action des chefs de village

À la fin du mois de décembre 2019, les résident·e·s de Đồng Tâm ont organisé une assemblée locale et accusé Nguyễn Đức Chung de malhonnêteté et de corruption. Lors de la réunion, M. Kình a déclaré [vi] que les habitant·e·s tiendraient bon et protègeraient leurs terres.

I’d like to inform everyone: Nguyễn Đức Chung is two-faced, a person who distorts the truth, and because of this we the people of the Đồng Tâm commune must be strong and determined. Even if Nguyễn Đức Chung is lying, the people must still consider the land of Sênh to be the agricultural land of the region, and we must protect it to the end. Anyone who purposely threatens or violates this — any dishonest people who comes to steal this land, we must be determined to fight, even if we bleed, we will be ready. Though 59 acres of land is not a lot, but the integrity, the honor of our Dong Tam people as a heroic community is much larger than the land.

Je souhaite en informer tout le monde : Nguyễn Đức Chung est un hypocrite, une personne qui déforme la vérité, ce pourquoi nous, peuple de la commune de Đồng Tâm, devons rester forts et déterminés. Même si Nguyễn Đức Chung ment, nous devons continuer à considérer le domaine de Sênh comme les terres agricoles de notre région, et nous devons les protéger jusqu'au bout. Quiconque menace ou enfreint délibérément cela — n'importe quelle personne malhonnête qui viendrait voler ces terres, nous devons être résolu·e·s à nous battre, même si nous saignons, nous serons prêt·e·s. Même si 59 hectares [soit 0.59 km², ndlt] de terres ne représentent pas grand chose, l'intégrité et l'honneur de nos habitants de Đồng Tâm, communauté héroïque, sont bien plus importants que la terre.

Lề Đình Kình était profondément respecté par les membres de sa communauté. Après sa mort lors du raid du 9 janvier, lorsque son corps a été rendu à la commune, des centaines de personnes se sont rassemblées pour le pleurer.

Des villageois ont retransmis le raid en direct

Dans une vidéo [vi] publiée à 3 heures du matin la nuit des affrontements, trois figures importantes du village, dont Lê Đình Công, le fils de Lê Đình Kình, ont permis de rendre compte de ce qui se passait. Ils en appellent à l'attention et au soutien du peuple vietnamien.

The Hanoi government has sent in so many troops, police forces, vehicles carrying barbed wire and fencing to Ba Thạ, which is three kilometers from Đồng Tâm. It is 3 a.m here. We want to let everyone in the country know to be ready to fight against invaders — the invaders have repeatedly attempted to seize our land and failed, but now they have deliberately sent troops in to oppress us and rob our land. We hope that the people of our country are watching, are concerned, and will support us.

Le gouvernement de Hanoï a envoyé énormément de troupes, de forces de police et de véhicules chargés de fils barbelés et de clôtures à Ba Thạ, à trois kilomètres de Đồng Tâm. Il est 3 heures du matin ici. Nous voulons faire savoir à tout le monde au Vietnam qu'il faut être prêt à se battre contre des envahisseurs — ces envahisseurs ont à plusieurs reprises tenté de saisir nos terres, sans succès. À présent ils envoient délibérément des troupes pour nous opprimer et nous voler nos terres. Nous espérons que le peuple de notre pays a les yeux tournés vers nous, qu'il est inquiet et qu'il nous soutiendra.

Lê Đình Công et 19 autres villageois·es ont été arrêté·e·s [vi] et inculpé·e·s pour meurtre.

Dong Tam, dans la banlieue de Hanoï au Vietnam : des centaines de policiers anti-émeutes entièrement équipés ont investi et attaqué le village à l'aube, à quelques semaines des vacances du Têt [nouvel an vietnamien]. Un villageois a été tué, un autre blessé, trois policiers sont morts. Le village est actuellement en état de siège.

Trois officiers et deux civils tués

À Đồng Tâm, les autorités ont rapidement coupé l'accès à Internet ainsi que les connexions téléphoniques et ont bloqué les routes menant au village. Par conséquent, les évènements du 9 janvier ont fait l'objet d'un embargo médiatique, et la plupart des informations demeurent invérifiées. On ignore par exemple la façon dont les trois officiers ont trouvé la mort lors du raid.

Le média Radio Free Asia a indiqué que sa chaîne Youtube avait fait l'objet d'un avertissement de la plateforme à cause d'une émission en ligne mentionnant Đồng Tâm. Cette dernière n'aurait pas respecté le règlement de la communauté de la plateforme de partage vidéo. YouTube n'a toutefois pas précisé quelles règles avaient été enfreintes.

Un officiel du ministère de l'Information a par ailleurs déclaré au média d’État Hanoi Mới que Google et Facebook répondaient rapidement aux requêtes du gouvernement de supprimer les contenus considérés comme « faux ou incitatifs » ces deux dernières semaines. Les trois policiers vietnamiens tués lors du raid ont été enterrés avec les honneurs à Hanoï. Les autorités attribuent leur mort aux « émeutiers ».

Au final, l'ensemble des médias disposent d'un accès extrêmement restreint à ce qui s'est passé à Đồng Tâm, nous laissant avec plus de questions que de réponses.

Pour en savoir plus sur les évènements de Đồng Tâm, retrouvez le podcast de Loa (en anglais, transcription disponible sur le site de Loa) :

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