Signature d'un accord de paix historique au Soudan alors que des inondations record dévastent le pays

Vue de Khartoum au crépuscule. Des minarets se détachent sur fond de ciel orangé, ainsi qu'un immense building.

Khartoum, Soudan. Photo provenant du compte Flickr de Christopher Michel, sous licence CC BY 2.0.

L’article original a été publié en anglais le 10 septembre 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Au lendemain de la révolution soudanaise, les autorités de transition du pays ont signé un accord de paix avec le principal groupement rebelle, le Front révolutionnaire soudanais, ce dernier ayant poursuivi ses activités malgré la destitution de l'ancien président Omar el-Béchir l'année dernière.

Signé le 31 août à Juba, au Soudan du Sud, cet accord de paix historique a bénéficié d'un soutien substantiel à l'échelle régionale et internationale. Les pays de la Troïka, l'Union européenne, l'Égypte, ainsi que plusieurs nations du Golfe ont expressément appuyé cette initiative.

Regrettablement, cet épisode encourageant a été éclipsé par des inondations mémorables qui ont dévasté des régions entières, aggravant le déclin d'une économie déjà affaiblie.

La nouvelle a toutefois reçu un écho positif de la part des citoyen·nes soudanais·es sur les réseaux sociaux.

Waleed Ahmed, un blogueur soudanais, témoigne :

Nous sommes reconnaissant·es d'avoir eu la possibilité de regagner nos foyers aujourd’hui. Voici une vidéo dans laquelle on peut voir l'Armée de libération du Soudan [fr] (ALS), dirigée par Minawi, déclarer un cessez-le-feu en soutien au mouvement révolutionnaire du 16 décembre 2019.

[description vidéo]
Une vidéo de 40 secondes montre un groupe de soldats de l'Armée de libération du Soudan en ronde. Ils pointent leurs fusils vers le ciel, et scandent des slogans, tandis que l'un d'eux porte un drapeau bleu vert jaune, aux couleurs du mouvement.

Mini Arko Minawi [fr], le meneur de l'ALS, a indiqué :

La signature de l'accord hier va insuffler une dynamique nouvelle au pays, tant sur le plan politique que dans la société civile. Cela sera rendu possible grâce à la collaboration avec l'ensemble de nous ami·e·s et homologues de la région. Il est essentiel d'établir des bases solides pour la reconstruction de notre pays. 

Le Premier ministre soudanais, Abdalla Hamdok, a manifesté son soutien à l'accord de paix en déclarant :

L'état de paix décrété aujourd'hui dans l’État fraternel du Soudan du Sud est dédié à nos enfants né·es dans des camps de réfugié·es et de déplacé·es, ainsi qu'à nos mères et à nos pères qui aspirent à retrouver leurs villes et villages. À toutes les personnes qui attendent de la grande révolution de décembre, porteuse de promesses de retour, de justice, de prospérité et de sécurité.

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Des représentants politiques tiennent à bout de bras l'accord de paix, un livret bleu orné de lettres dorées. Une autre photo immortalise le moment de la signature de l'accord.

Selon les termes de l'accord, les groupes rebelles bénéficieront d'une autonomie dans les zones se trouvant sous leur contrôle, avec une supervision assurée par le gouvernement fédéral. Afin d'assurer une représentation équitable, un tiers des sièges parlementaires leur sera également attribué [ar]. Les individus ayant été persécutés sous l'ancien régime, notamment en raison de leur non-appartenance aux communautés musulmanes et arabes, bénéficieront également de garanties en termes de justice et d'égalité.

Cet accord de paix n'est pas le premier de l'histoire du Soudan. Certains internautes soutiennent que les accords de paix sont fréquents au Soudan et qu'ils ne sont pas nécessairement synonymes de paix et de stabilité.

Inbal Ben Yehuda a dénoncé cette situation :

Un événement qui se produit tous les 5 à 9 ans ne peut être qualifié de « moment historique », mais plutôt d'habitude.

Accord de paix d'Abuja – 2006
Accord de paix de Doha – 2011
Accord de paix de Juba – 2020

Attendons avant de crier victoire.

Un accord partiel

En dépit du caractère historique de l'accord, deux groupes rebelles majeurs ont fait le choix de ne pas le signer. Le SLMA, dirigé par Abdul Wahid al-Nur [fr], et le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord [fr] (SPLM-N), conduit par Abdelaziz al-Hilu, se sont tous deux abstenus en raison de divergences au sujet de l'identité nationale et de la procédure d'intégration des forces armées. 

Trois jours après la signature du traité de paix, le Premier ministre soudanais, Abdalla Hamdok, s'est rendu à Addis-Abeba, en Éthiopie, pour rencontrer al-Hilu afin de résoudre certains différends, comme l'a rapporté la Sudan Tribune.

Lors d'une réunion tenue secrète, le Premier ministre Abdallah Hamdok et Abdel Aziz al-Hilu ont cherché à trouver une issue favorable aux négociations de paix initiées par le gouvernement du Soudan du Sud.

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Abdallah Hamdok serre la main d'Abdel Aziz al-Hilu. Les deux hommes, assis côte à côte, arborent un large sourire.

La rencontre a abouti à la signature d'une déclaration commune visant à faciliter les pourparlers dans le cadre de l'accord de paix de Juba.

La version anglophone du traité a suscité de vives controverses sur les réseaux sociaux soudanais, notamment en raison de l’article 3 traitant de questions liées à l’État et à la religion : 

A democratic state must be established in Sudan. For Sudan to become a democratic country where the rights of all citizens are enshrined, the constitution should be based on the principle of ‘separation of religion and state’ in the absence of which the right to self-determination must be respected. Freedom of belief and worship and religious practice shall be guaranteed in full to all Sudanese citizens. The state shall not establish an official religion. No citizen shall be discriminated against based on their religion.

L’instauration d’un État démocratique au Soudan est impérative. Afin d’établir une démocratie respectueuse des droits de tous les citoyen·nes soudanais, il est crucial que la constitution intègre le principe de « séparation entre l’État et les cultes ». En l’absence de ce principe, il est nécessaire de garantir au minimum la liberté de conscience. Chaque citoyen·ne soudanais·e doit pouvoir bénéficier d'une totale liberté de culte. L’État ne doit imposer aucune religion officielle, et aucun·e citoyen·ne ne devrait être victime de discrimination en raison de ses croyances religieuses.

La population soudanaise est divisée sur ce sujet. Certain·es considèrent que la laïcité est garante de la protection des droits humains fondamentaux, tandis que d'autres estiment que le gouvernement de transition ne devrait pas être autorisé à prendre de telles décisions sans consulter la population par le biais d’un référendum.

À l'issue de la rencontre, la version arabophone du traité a été publiée sur le compte Twitter [ar] du Premier ministre. Toutefois, des discordances ont été observées par rapport à la version publiée en anglais dans la presse. Alors que la version anglophone du traité insiste sur l'importance capitale de l'instauration de la laïcité, le document en arabe ne préconise qu’un simple « débat » sur ce sujet si controversé.

Ces incohérences remettent en question les perspectives ouvertes par cet accord. 

À traité de paix mémorable, inondations mémorables

Alors que le traité de paix semblait ouvrir de belles perspectives pour le Soudan, le Nil sortait de son lit, annonçant une catastrophe humanitaire sans précédent.

D'après le rapport du Conseil national de la protection civile en date du 8 septembre, la crue du Nil a causé 103 décès, 50 blessés, la perte de 5 482 têtes de bétail, la destruction totale de 27 341 maisons, la destruction partielle de 42 210 maisons, des dommages à 179 infrastructures publiques et privées, la destruction de 359 magasins et entrepôts, ainsi que la dévastation de 1 703 hectares de terres agricoles.

Sur Twitter, YouStorm a publié une vidéo comparant le niveau du Nil entre le 16 juillet et le 30 août :

Inondations au Soudan. Comparaison du niveau de l’eau au nord de Khartoum entre le 16 juillet et le 30 août.

[vidéo]
La superposition des deux images permet de constater une importante crue du Nil en l'espace de 6 semaines.

Le 3 septembre, Ustaz Elmahi Sulieman, le gouverneur de l'État de Sinnar, a publié un message de détresse sur Facebook :

The levels of the Blue Nile this night witnessed a great rise accompanied by heavy rain, which led to the breaking of the covers and shields, ‘a simple dam built by sacks of the soil,’ of the city of Singa and Umm Benin areas, and the water began to flood the city and its homes, as well as the neighbourhoods of Umm Benin. Therefore, we launch a directive to all official bodies and an appeal to all civil authorities and organizations to come to the rescue of the citizens as soon as possible, and to provide shelter, medicines and food.

Cette nuit, le Nil Bleu a connu une forte crue causée par des pluies diluviennes, provoquant la destruction des protections dans la ville de Singa et la zone d'Umm Bénin, constituées de « simples barrages improvisés avec des sacs de terre ». L'eau s'est infiltrée dans la ville et à l'intérieur des habitations, touchant particulièrement le quartier d'Umm Bénin. C'est pourquoi nous lançons un appel à tous les organes officiels, à toutes les autorités et à toutes les associations. Nous les exhortons à venir en aide aux citoyen·nes le plus rapidement possible en leur fournissant un toit, des médicaments et de la nourriture.

La situation est critique :

Singa dans l'État de Sinnar. Une situation désastreuse provoquée par des pluies diluviennes ayant fait déborder la ceinture protectrice entourant la ville, le Nil Bleu a débordé et a inondé la ville.

[vidéo]
Images de deux rues inondées à Singa. Les résidents ont de l'eau jusqu'au niveau des mollets. Certaines personnes observent la scène tandis que d'autres vident les rayons des magasins, sans doute en prévision d'une nouvelle montée des eaux.

Des jeunes de l'île de Tuti ont construit un barrage pour empêcher la crue d'atteindre l'intérieur de l’île. Hassan Shaggag relate la scène et témoigne du courage dont ont fait preuve les habitant·es :

Voici les personnes qui contribuent à bâtir le Soudan… ce ne sont pas les mêmes que ceux et celles qui sont actuellement engagés dans la course au pouvoir.

[vidéo]
Trois hommes se tiennent aggripés les uns aux autres par les coudes, retenant tant bien que mal le passage de l'eau en faisant barrage de leurs corps. Pendant ce temps, d'autres personnes viennent disposer des sacs de terre pour former une digue.

Les Soudanais·es font face à une pénurie de produits de première nécessité tels que le pain, le gaz, les médicaments et l'électricité, qui est parfois coupée jusqu'à six heures par jour. Selon le professeur Steve Hanke, le taux d'inflation de la livre soudanaise dépasse les 202 %. À ce jour, les autorités de transition n'ont pas réussi à reprendre le contrôle du marché.

Maintenant qu'une perspective de paix se dessine à nouveau, comment le gouvernement entend-il améliorer la qualité de vie des citoyen·nes ?

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