« Milk Tea Alliance » : des internautes asiatiques contre le contrôle chinois sur le net

Milk Tea Alliance, image de Stand News. Utilisée avec son autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en français, ndlt.]

Les nationalistes chinois qui ont déployé des efforts considérables pour contrôler la parole sur Twitter, plateforme inaccessible aux Chinois ordinaires, n'en avaient pas imaginé les conséquences.

Découvrez la « Milk Tea Alliance » (l'Alliance du thé au lait), une coalition d'internautes hongkongais, taïwanais et thaïlandais visant à mettre fin à l'intimidation chinoise sur Twitter.

Elle est née en avril 2020, suite à des escarmouches entre internautes nationalistes chinois et thaïlandais.

Quatre photos de paysages urbains que le célèbre acteur thaïlandais Vachirawit Chiva-aree, ou Bright (@bbrightvc), a retweeté [en] ont mis le feu aux poudres. Hong Kong était l'une de ces villes. Le tweet mentionnait malencontreusement que les photos avaient été prises dans « quatre pays ».

Des nationalistes chinois ont alors déferlé sous le tweet désormais supprimé, car il soutenait d'après eux l'indépendance de Hong Kong. Même si Bright s'est très vite excusé, qualifiant son tweet d'« indélicat », les trolls nationalistes ne se sont pas arrêtés là et ont fouillé ses réseaux sociaux.

Ils sont ainsi remontés jusqu'à une de ses amies, Weeraya Sukaram, ou Nnevvy (@nvy_weeraya) sur Twitter. Elle avait partagé un post se demandant si le COVID-19 ne venait pas d'un laboratoire de virologie de Wuhan.

Les nationalistes ont aussi déterré un post Instagram de 2018 dans lequel Bright la complimentait pour son look « chinois », Nnevvy lui répondant qu'elle préférait le « style taïwanais ».

Ces internautes chinois ont pris le commentaire de Nnevvy comme anti-chinois et en faveur de l'indépendance taïwanaise, commençant à la troller avec le hashtag #Nnevvy.

Celle-ci a finalement dû protéger ses comptes Instagram et Twitter.

Contrôler la parole en ligne

Depuis 2014, le gouvernement chinois resserre son étreinte [en] sur un espace d'information déjà étouffé.

Les célébrités, comme les stars de la pop, qui ne sont pas originaires de Chine continentale et rencontrent du succès sur le marché chinois, doivent de plus en plus souvent promouvoir une image positive de la Chine, ou tout au moins suivre le discours officiel de Pékin.

C'est pourquoi des stars taïwanaises et hongkongaises ont récemment été contraintes de manifester [en] leur amour de la Chine.

Les nationalistes chinois d'internet ont bien aidé les censeurs officiels dans leur travail. Ils trouvent généralement des déclarations de célébrités qui s'écartent du discours officiel et les dénoncent aux autorités en appelant à les boycotter.

Cette façon de contrôler la parole a désormais atteint Twitter, bien que la plateforme ne soit pas accessible aux internautes chinois sans proxy.

Ainsi, Daryl Morey, manager général des Houston Rockets, a l'an dernier mis le feu à Twitter lorsqu'il a écrit en soutien aux manifestations hongkongaises contre le projet de loi d'extradition.

Le tweet a rapidement déclenché une crise entre la Chine et la NBA (National Basketball Association) pour qui l'audience chinoise est un marché vital. Morey a été obligé de présenter ses excuses [en].

Bright est un acteur devenu populaire en Chine suite à la diffusion en ligne de la comédie romantique thaïlandaise 2gether.

Non contents du tollé qu'ils ont provoqué sur Twitter, les nationalistes chinois ont exposé les discours politiquement incorrects de Bright et Nnevvy sur des plateformes chinoises, tel Weibo [zh], l'équivalent chinois de Twitter comptant 300 millions d'utilisateurs mensuels.

Ils y ont appelé au boycott de 2gether tout en mobilisant les internautes chinois pour inculquer à la Thaïlande le principe d'une seule Chine sur Instagram et Twitter.

Voici un de leurs tweets typiques :

#nnevvy
Il n'y a qu'une seule Chine 🇨🇳 Il n'y a qu'une seule Chine 🇨🇳 Il n'y a qu'une seule Chine 🇨🇳 Il n'y a qu'une seule Chine 🇨🇳 Il n'y a qu'une seule Chine 🇨🇳 Il n'y a qu'une seule Chine 🇨🇳 Il n'y a qu'une seule Chine 🇨🇳 Il n'y a qu'une seule Chine 🇨🇳

— Mable (@Mable66401914) 11 avril 2020

Le retour de flamme

L'opposition à cette campagne a commencé avec des tweets individuels écrits par des internautes thaïlandais sous le hashtag #nnevvy. Les thèmes allaient du COVID-19 au complexe de Winnie l'ourson du président chinois Xi Jinping.

Je soutiens vraiment la politique d'« une seule Chine ».

Je veux dire, une Chine, pas deux ou trois.

Comme ça on peut avoir Un Taïwan, Un Hong Kong, Un Tibet, etc. #nnevvy

— ตำปูพริก7เม็ด (@TampooPrick7Med) 14 avril 2020

Apprends-moi à manger des chauve-souris

— Shipper🚢 (@Tichaploy) 11 avril 2020

mon pays est peut-être pauvre, mais le tien il pue

— 🏳️‍🌈🇹🇼🇭🇰ทิฟชอบเฟยแมวเต็งหนึ่ง (@tiffanywilsonxo) 11 avril 2020

De nombreux internautes thaïlandais ont aussi pointé du doigt le manque de liberté numérique en Chine :

Salut Xi Jinnie l'ourson
Tes citoyens utilisent des VPN pour regarder des trucs interdits en Chine et suivre un acteur thaïlandais, et en plus ils menacent la vie privée de sa copine.
#nnevvy

Svp les Chinois si vs pouvez quitter le réseau chinois. Allez voir ce qu'il se passe dans le « VRAI MONDE », pas ce q votre gvt veut que vs voyez et croyez. Et respectez le droit humain de parler, pas juste d'étaler de la merde sur les gens qui pensent pas comme vs. #China #taiwannotchina #HKnotchina #nnevvy

— เลงผอด (@Malangpod) 11 avril 2020

Alors que les nationalistes chinois dénonçaient la pauvreté en Thaïlande et se moquaient du gouvernement, de nombreux Thaïs les encourageaient avec ironie.

Si t'as dit que le gvt et la 👑 thaï sont aussi pourris
Ouais, je suis carrément d'accord 🤣 t'as trop raison mdrrrrr 😂😂😂 #nnevvy

Les nationalistes chinois ont fini par écrire en code dans les commentaires de ce genre de postes, utilisant par exemple NMSL qui signifie « ta mère est morte ».

L'internaute thaïlandais @sleepless a posté une photo de clavier pour se moquer des commentateurs engagés par les autorités chinoises, connus sous le nom de Wumao (les 50 centimes) :

Alors que les échauffourées s'intensifiaient, des internautes hongkongais et taïwanais se sont mobilisés pour soutenir les Thaïlandais.

Vers mi-avril cette solidarité a donné naissance à la Milk Tea Alliance.

Victoire pour la #MilkTeaAlliance 🇹🇼🇹🇭🇭🇰 #Taiwan #Thailand #Hongkong #Milktealogy

La coalition, formée il y a presque un an, avait commencé comme une réponse au contrôle de la parole par les nationalistes chinois. Aujourd'hui, elle offre une base prometteuse pour mener d'autres combats dans la région.

Une campagne récente menée par la Milk Tea Alliance consistait à soutenir la pétition en ligne contre le projet de barrage chinois sur le Mékong, qui aurait causé de graves sécheresses [en] au Vietnam, au Laos, au Cambodge et en Thaïlande. Elle a vite recueilli des dizaines de milliers de signatures.

Buvez un thé lacté au taro aujourd'hui. 😋#ชานมข้นกว่าเลือด

Chers membres de la #MilkTeaAlliance,

Veuillez signer la pétition suivante pour #ArrêterLeBarrageDuMékong.

Le barrage chinois du Mékong provoque des sécheresses car il limite le débit du fleuve. On doit y mettre fin.

Merci ! 🙏👇🇹🇭🇹🇼🇭🇰https://t.co/rYNkpPm5tJ pic.twitter.com/twaDIzX0GB

— Cha ✋☝️ (@chahongkong) 17 avril 2020

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