Turquie: l'accès à l'Internet restreint suite à l'explosion meurtrière d'Istanbul

Image d’Anna Berdnik. Utilisation libre sous la licence Unsplash.

Le 13 novembre, dans la plus grande ville de Turquie, Istanbul, les informations ont fusé concernant une explosion mortelle sur Istiklal, la rue piétonne la plus fréquentée de la ville. Bien que les détails de l'explosion fassent encore l'objet d'une enquête, les autorités annoncent qu'au moins six personnes ont été tuées et 81 autres blessées à la suite de l'explosion.

Peu après l'incident, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (RTÜK) — l'instance de censure en Turquie — a imposé aux médias une interdiction de diffusion, tandis que l'Autorité des technologies de communication et d'information (BTK) a commencé à réduire l'accès aux réseaux sociaux. Les autorités ont également ouvert une enquête sur 25 comptes provenant des réseaux sociaux pour avoir publié du contenu prétendument provocateur, suscitant la peur, la panique, incitant à la haine et à l'hostilité. Les législateurs turcs ont ratifié un nouveau projet de loi sur la désinformation en octobre dernier.

Si les journalistes sont au premier rang des personnes visées, la définition vague du projet de loi peut également imposer aux utilisateurs des réseaux sociaux d'être tenus responsables de tout message qu'ils partagent. « Tout utilisateur d'une plateforme de réseaux sociaux sera tenu responsable, dans le cadre de cette loi, de tout post/tweet/partage », a expliqué Emre Ilkan Saklica, responsable éditorial de la plateforme de vérification des faits Teyit.org, dans une interview accordée au département turc de la Deutsche Welle.

Une interdiction élargie des médias a été prononcée en relation avec l'explosion survenue à Istanbul cet après-midi par le 10e tribunal pénal de paix d'Istanbul. https://t.co/xWZJHBtble

— Yaman Akdeniz (@cyberrights) 13 novembre 2022

L'Open Observatory of Network Interference (OONI) a confirmé le ralentissement d'Internet :

🔴Aujourd'hui, suite à l'explosion à #Istanbul, certains fournisseurs d'accès à Internet en Turquie ont commencé à bloquer Twitter, Instagram, Facebook et YouTube.

OONI data: https://t.co/qZ7M8yiSO8 pic.twitter.com/8J88HxsGFt

— OONI (@OpenObservatory) 13 novembre 2022

Gazete Duvar, un média d'information en ligne turque, a publié un article intitulé : « Le monde parle de l'explosion alors que la Turquie ne peut pas le faire », présentant une collection de tweets de représentants éminents de la société civile discutant du ralentissement d'Internet et de l'interdiction d'accès.

En ce moment, le monde entier parle de la bombe qui a explosé en Turquie, sauf la Turquie elle-même. Car nous avons une interdiction de diffusion, et une interdiction d'accès. Et comme si cela ne suffisait pas, des enquêtes criminelles ont été ouvertes contre ceux ayant écrit sur l'explosion. Le monde entier peut écrire sur la Turquie, mais les citoyens de la République de Turquie ne peuvent ni écrire ni entendre ce qui est écrit.

— Kerem ALTIPARMAK (@KeremALTIPARMAK) 13 novembre 2022

Muharrem Ince, un politicien, a tweeté :

Le plus grand préjudice pour la Turquie ; au lieu d'assurer la sécurité de la vie des gens, cette mentalité malade impose à la hâte une interdiction de diffusion des informations concernant l'explosion et ralentit l'Internet !

— Muharrem İNCE (@vekilince) 13 novembre 2022

Un autre politicien, Ali Babacan, tweete à son tour :

Je peux partager ce tweet grâce à un VPN. Ceux qui imposent une interdiction de diffusion, soi-disant pour que le public ne panique pas, font davantage peur à tout le monde en supprimant l’entièreté des médias. @tcbestepe [Bureau présidentiel de la Turquie] ne portez pas atteinte à la liberté d'information du public, n'effrayez pas la nation.

— Ali Babacan (@alibabacan) 13 novembre 2022

Alors que de nombreux internautes ont déclaré avoir des difficultés à accéder aux réseaux sociaux, d'autres ont également exprimé leur inquiétude quant à la répétition d'une telle forme de censure lors des prochaines élections, l'année prochaine.

L'explosion à Istiklal s'est transformée en une opportunité pour censurer Internet. C’est aussi le signal qu'il pourrait y avoir cette même censure le jour des élections. Les partis d'opposition doivent anticiper cela et trouver des solutions à ce sujet, comme ils le feraient [trouver des solutions] pour protéger les votes.

— mustafahos (@mustafahos) 13 novembre 2022

Soner Cagaptay, un politologue turc, a déclaré au Guardian que le bâillon posé sur la bouche des médias et l'interdiction des réseaux sociaux allaient se retourner contre eux. « Je pense que c'est une tendance inquiétante car les gens veulent avoir des nouvelles. Chaque fois que vous réprimez la liberté de la presse dans un environnement d'informations de dernière minute, où les médias traditionnels sont empêchés de couvrir l'événement, les gens ont tendance à se tourner vers des sources alternatives. Il y a toujours un risque de propagation de fausses informations lorsque le gouvernement tente de réprimer les reportages », s'est exprimé le politologue.

Selon les informations locales, l'explosion s'est produite à 16h20, heure locale. Dans un communiqué, le président turc Recep Tayyip Erdogan affirme que l'explosion « sent le terrorisme. » Fuat Oktay, le Vice-président, a annoncé que l'acte était traité comme un « acte terroriste. » Le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, a déclaré quant à lui qu'il y avait deux possibilités sur la base des images obtenues par les caméras de vidéosurveillance, où l'on voit une femme portant un sac et portant un treillis militaire. « Soit il y avait une [bombe] dans ce sac et elle a explosé, soit quelqu'un l'a fait exploser à distance », ajoutant que « cela est considéré comme un acte terroriste. L'organisation terroriste dont il s'agit sera identifiée à l'issue de l'enquête. Il n'y a pas de données concluantes sur la scène du crime, à part des fragments. »

Les Turcs sont familiers de ces explosions meurtrières et des actes de terrorisme. Ils secouent le pays depuis 2015. En 2016, un kamikaze lié à l'organisation État islamique a fait cinq morts et 36 blessés sur Istiklal. La même année, un autre kamikaze a tué 13 personnes dans le quartier de Sultanahmet à Istanbul. La liste est loin d'être exhaustive.

Dans un entretien accordé au Guardian, Soner Cagaptay a confié : « Sans savoir qui est derrière cette attaque, le fait qu'il s'agisse de la première attaque terroriste en six ans rappelle les terribles souvenirs de la période 2015-16, où des centaines de personnes sont mortes à travers la Turquie. »

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