La diaspora russe se joint aux manifestations mondiales marquant le premier anniversaire de l'invasion russe en Ukraine

Marche pour la libération de l'Ukraine à Berlin. Photo de Global Voices

Le 24 février 2023 a symbolisé l’An un de l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie, après celle survenue en 2014. Et pour célébrer ce premier anniversaire, des groupes de Russes de la diaspora se sont rassemblés pour manifester publiquement tout leur soutien à l’Ukraine ainsi que leur rejet de l’idéologie impérialiste et autocratique du Président russe, Vladimir Poutine.

Les Russes vivants au pays et à l’étranger n’ont pas assez protesté en 2014 lorsque la Russie a annexé certaines parties de l’Ukraine orientale et de la Crimée.  Mais, la donne a changé avec l’invasion de 2022. En Russie, le gouvernement tient à montrer une image d’unité avec des citoyens ralliés à la cause de Poutine.  En effet, le 23 février, des bus ont transporté environ 100 000 personnes au Stade Luzhki de Moscou pour participer à un grand rassemblement et un concert politique en soutien à ce qui est encore officiellement appelé en Russie « opération militaire ».   Pourtant, au cours de l’année 2022, il n’y a eu que 18 jours pendant lesquels personne n’a été arrêté dans le pays pour protestation à la guerre.

Mais, la réalité est différente à l’étranger. Plusieurs organisations de l'opposition relevant de la diaspora russe, ainsi que d’autres groupes d’individus, ont lancé un appel à action publique à s’unir et à se joindre aux Ukrainiens et à leurs partisans pour ainsi marquer de leur empreinte l’anniversaire du 24 février.

Parmi tant d’autres, il y a la Free Russia Foundation,  une ONG basée aux États-Unis qui milite en faveur de la démocratie en Russie :

Nous, citoyens russes, exigeons le retrait complet de toutes les troupes de l’armée russe du territoire ukrainien reconnu internationalement ! Montrons au monde entier que les Russes condamnent publiquement les actions du gouvernement russe. Où que vous soyez, rejoignez la manifestation anti-guerre organisée dans votre ville le 24 février ! pic.twitter.com/bjVTE4y7Yc

— Free Russia Foundation 4freerussia.org (@4freerussia_org) 22 février 2023

De nombreuses autres personnes ont lancé des appels similaires.  C’est le cas de Zhanna Nemtsova, la fille de Boris Nemtsov, leader de l’opposition assassiné. Elle a indiqué sur son compte Twitter qu’elle se rendrait à une manifestation à Lisbonne, invitant par la même occasion tous les Russes à s’unir aux Ukrainiens.

Demain et tout le weekend, des manifestations de protestation contre l'invasion russe en Ukraine seront organisées dans le monde entier. Je pense que nous devons manifester. Toutes les autres formes de solidarité autres que les manifestations de masse dans les rues sont nulles et sans effet. 1/4 pic.twitter.com/23MzgCcV4Z

— Zhanna Nemtsova (@ZhannaNemtsova)  23 février 2023

L’Anti-corruption Foundation, une organisation également basée aux États-Unis et associée à Alexey Navalny, opposant politique majeur de Poutine, actuellement emprisonné en Russie, a aussi lancé un appel à l’action :

Les Russes du monde entier organisent des manifestations contre la guerre !

Trouvez votre ville sur liste et joignez-vous à d’autres manifestants : https://t.co/jLrBREv51m 1/2 pic.twitter.com/Jf7JixPksn

— L’Anti-Corruption Foundation (@ACF_int)  23 février 2023

Ces appels ont reçu un écho favorable, donnant lieu à des manifestations publiques de tailles différentes organisées dans plus de 100 villes dans le monde, notamment à Berlin et à Prague, où Global Voices s’est rendu pour observer les événements.

Une capture d'écran de la Page Facebook de la manifestation de Berlin

À Berlin, la marche pour la libération de l’Ukraine a mobilisé plus de dix mille personnes et s’est achevée devant l’emblématique porte de Brandebourg. Le cortège est passé près de l’ambassade de Russie, située sur l’avenue Unter den Linden.

Les Ukrainiens, Allemands, Russes, et des personnes d’autres nationalités ont marché ensemble pour protester contre l’invasion russe en Ukraine.

Cette pancarte en russe brandie lors de la manifestation de Berlin se lit comme suit : « Mères russes, renversez Poutine! » Photo de Daria Dergacheva, utilisée avec autorisation.

Des manifestations disjointes à Prague

Prague est un important lieu symbolique pour les Ukrainiens, les Russes et les Biélorusses, trois communautés différemment touchées par la guerre.

Les Ukrainiens ont vécu dans l’ex-Tchécoslovaquie en tant que minorité reconnue depuis sa création en 1918, et représentaient environ 5 % de la population à l’est du pays. Après la création de la République tchèque en 1993, les Ukrainiens s’y sont installés principalement pour des raisons économiques. En 2021, cette communauté composée non seulement des travailleurs du secteur des services et de la construction, mais aussi des étudiants, du personnel médical et des investisseurs fortunés, s’était estimée à 200 000 personnes. Dès le début de la guerre, le 24 février 2022, de nombreux Ukrainiens se sont réfugiés en République tchèque:  près d’un million et demi d’entre eux y vivent actuellement.

La migration russe remonte à 1917, quand les sujets de l’Empire russe, s’opposant à la révolution bolchevique, cherchaient refuse dans toute l’Europe.  À cette époque, le gouvernement tchécoslovaque avait lancé un programme spécial appelé Ruská pomocná akce (Action d’aide russe) qui offrait un statut de réfugié et soutenait les écoles et les universités russes, ukrainiennes et biélorusses. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, et surtout après les armées du Pacte de Varsovie en 1968, le nombre de soldats soviétiques en fonction en Tchécoslovaquie et des membres de leurs familles a été estimé à plus de 110 000. Ils appartenaient à de nombreuses ethnies, dont les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses.

Une nouvelle vague de Russes a commencé à arriver au milieu des années 1990, notamment des hommes d’affaires, des étudiants et, au fil des ans, des opposants au gouvernement de Poutine. De nos jours, le nombre de Russes — dont certains ont la nationalité tchèque ou d’autres nationalités — vivant en République tchèque est estimé à 100 000.

Les Biélorusses présents depuis 1917, ont aussi commencé à arriver au milieu des années 1990 et forment aujourd’hui une communauté mixte de spécialistes des technologies de l’information, d’étudiants, d’opposants au Président Lukashenka, ainsi que de riches investisseurs.  Aujourd’hui, le nombre de Biélorusses est estimé à 4 000, même si en réalité la communauté est probablement beaucoup plus importante.

L’histoire de ces trois communautés en République tchèque, qui se chevauche parfois, mais diverge à bien des égards, explique probablement pourquoi le 24 février 2023 les Ukrainiens et les Russes ont entamé leurs manifestations séparément.

Du côté russe, la Russian Anti-War Committee, basée à Prague, a organisé une exposition sur la Place de la République, en plein centre-ville, pour présenter l’œuvre des bénévoles russes qui soutiennent l’Ukraine et les Ukrainiens. Entre autres initiatives présentées, figurent en bonne place la collecte de fonds, l’aide humanitaire, des cours de tchèque gratuits pour les réfugiés ukrainiens, l’aide à la recherche d’emplois en République tchèque et des programmes pour les enfants.

Exposition en plein air sur la Place de la République à Prague présentant le soutien indépendant de la Russie à l'Ukraine. Photo de Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

Anton Litvin, une figure emblématique du mouvement anti-Poutine de la diaspora russe basée à Prague, a prononcé un discours d’ouverture sous le drapeau blanc-bleu-blanc, qui symbolise désormais l’opposition à Poutine. Il a invité des dirigeants de la communauté à parler de leur travail et de leurs motivations.

Pour en savoir plus sur le drapeau blanc-bleu-blanc, lisez l'article : Pour certains Russes, un nouveau drapeau est symbole d'opposition à  Poutine

Certains des thèmes fréquents dans les discours prononcés le 24 février ont révélé les inquiétudes de la diaspora russe qui s’oppose à Poutine et soutient l’Ukraine. Ces inquiétudes renvoient à un profond sentiment de culpabilité et de honte d’être ou de parler russe, l’obligation morale de ne pas rester indifférent, la gratitude envers la société et les autorités tchèques, l’impact thérapeutique de l’aide apportée et, surtout, la nécessité de se décoloniser et d’être respectueux des sentiments des Ukrainiens. Plusieurs Russes vivant à l’étranger ont également reconnu le privilège qu’ils ont contrairement à leurs concitoyens qui s’opposent à leur gouvernement en Russie, où toute manifestation publique contre Poutine ou encore l’expression d’un sentiment anti-guerre est immédiatement et sévèrement réprimée.

À l’issue de ce rassemblement, Litvin a exhorté les autres citoyens à se joindre individuellement à la manifestation organisée par les Ukrainiens sur la place Venceslas, située à proximité de la Place de la République. Par ailleurs, il leur a demandé de ne brandir aucun signe de protestation en russe, y compris le drapeau blanc-bleu-blanc, pour respecter les sentiments des Ukrainiens.

De nombreux Ukrainiens accusent les Russes et les opposants actuels à Poutine d’être restés largement silencieux après l’invasion de 2014, et décrient donc leur présence aux manifestations de soutien à l’Ukraine.

Le drapeau blanc-bleu-et-blanc est le seul drapeau arboré par les Russes anti-Poutine sur la Place de la République à Prague. Photo de Filip Noubel, utilisée avec permission.

Lors de la principale manifestation organisée par les Ukrainiens sur la place Venceslas, d’autres drapeaux étaient exposés, comme le drapeau blanc-rouge-blanc anti-Lukashenka de l’opposition biélorusse, ainsi que des drapeaux ukrainien et tchèque.

Le drapeau biélorusse blanc-rouge-blanc  est le symbole de l'opposition à Loukachenko. Il était largement présent lors de la manifestation pro-Ukraine sur la place Venceslas à Prague. Photo de Filip Noubel, utilisée avec permission.

Photo de Filip Noubel, utilisée avec permission.

La banderole brandie ci-dessous résume l’attitude de nombreux Tchèques soutenant l’Ukraine : « Quand le dernier soldat ukrainien tombera, Poutine viendra vous chercher. »

Sur cette banderole affichée lors d'une manifestation à Prague, on peut lire: «Quand le dernier soldat ukrainien tombera, Poutine viendra vous chercher.» Photo de Filip Noubel, utilisée avec permission.

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