«Good Night Imperial Pride » : comment des militants berlinois collectent des fonds pour l'armée ukrainienne

Photo de l'une des campagnes de l'initiative, extraite de la page Facebook du GNIP avec autorisation

Un an après le début de l'invasion russe de l'Ukraine, des groupes de la société civile ukrainienne et russe ont mis en place diverses formes d'aide à l'Ukraine. Voici le premier de deux entretiens que Global Voices a menés avec deux initiatives locales différentes. L'une d'entre elles, basée en Allemagne, soutient les combattants de l'armée ukrainienne et sensibilise la gauche européenne à l'impérialisme russe. L'autre, basée à Saint-Pétersbourg, aide les réfugiés ukrainiens en Russie à rejoindre l'Europe.

Les entretiens sont diffusés de façon anonyme en raison des risques encourus par les militants. Dans ce numéro, nous discutons avec des membres de l'initiative Good Night Imperial Pride.

Global Voices (GV) : Comment vous est venue l'idée de créer une initiative portant un nom aussi inhabituel ? Pourquoi l'avez-vous choisi ?

Good Night Imperial Pride (GNIP) : Notre initiative a commencé par une campagne pour obtenir des dispositifs de vision nocturne pour l'armée ukrainienne. Le nom a été créé à partir de concepts visant à exprimer l'objectif de la campagne et l'essence de cette guerre. Deux groupes se sont associés pour créer « Good Night Imperial Pride » qui fait  référence au slogan traditionnel antifasciste « Good Night White Pride » qui s'oppose aux suprématistes blancs.

Ce nom était inhabituel, selon des camarades allemands. Il a été démontré que dans le milieu gauche européen, le terme « impérial » est clairement associé aux États-Unis. La gauche européenne accorde une grande importance à la critique de l'impérialisme américain. Il semble étrange que la Russie puisse être considérée comme un pays impérial. Ainsi, nous avons compris que nous avions encore beaucoup à faire.

GV : Quelles sont vos principales initiatives ?

GNIP : Nous fournissons du matériel aux militants anti-autoritaires sur le front en Ukraine [unité d'anarchistes ukrainiens, russes et biélorusses servant actuellement dans divers régiments de l'armée ukrainienne]. Avec l'aide d'initiatives amicales, nous collectons de l'argent, achetons et expédions du matériel en Ukraine. Nous avons continué à travailler séparément au cours des premiers mois d'une guerre à grande échelle. L'un d'entre nous était en train d'acheter divers équipements tels que des gilets pare-balles, des casques, des étuis et des silencieux. D'autres ont acheté des garrots, des lentilles de contact et d'autres articles de première nécessité pour arrêter les hémorragies.

En avril, nous avons ressenti le besoin d'autonomie financière et nous avons formé un groupe. Depuis, nous avons organisé des campagnes de collecte de fonds de manière autonome et nous avons continué à acheter du matériel. Nous avons mené une campagne pour acheter des drones, des voitures, des appareils de vision nocturne et des vêtements d'hiver.

Nous utilisons les réseaux sociaux, organisons des événements et vendons des produits dérivés pour collecter des fonds. Nous planifions deux manifestations : des réunions publiques et des célébrations. À Berlin, les raves sont le moyen le plus efficace de collecter des fonds, mais ils nécessitent également beaucoup de travail.

L'information et les activités éducatives sont l'une de nos autres tâches importantes. Nous écrivons des articles et organisons des conférences : nous expliquons comment fonctionne l'impérialisme russe et déboulonnons les mythes sur le nationalisme ukrainien [la prétendue persécution des russophones par la propagande russe / le nazisme]. Nous avons organisé une conférence en automne pour une amie anarcho-féministe originaire de Kherson sur la Makhnovshchina et l'histoire du mouvement anarchiste en Ukraine.

GV : Quelle est la base de votre soutien?

GNIP : Il est difficile de déterminer le nombre de personnes qui nous soutiennent aujourd'hui. Nous n'en avons pas beaucoup de connaissances personnelles ; nous recevons des dons mais nous ne savons pas qui les fait. La majorité des participants sont des gauchistes européens et américains qui souhaitent apporter leur soutien aux anarchistes et aux gauchistes sur le front en Ukraine.

Au départ, une certaine colonne vertébrale de soutien a joué un rôle important : les amis des communautés anarchistes ont aidé à faire connaître le GNIP et à gagner le soutien d'un public plus large. Merci à tous en Suisse, en Finlande et en Allemagne.

L'appui arrive parfois inattendu. Nous avons récemment pu collecter des fonds pour une fête d'anniversaire. Lors de notre conférence sur l'impérialisme russe, un homme nous an invités à parler du GNIP à ses amis et nous a demandé de lui offrir un don plutôt qu'un cadeau d'anniversaire.

GV : Qui sont les personnes que vous aidez ?

GNIP: Nous avons aidé une section anti-autoritaire – une unité de plus de 50 personnes dans la région de Kiev – dans les premiers mois d'une guerre à grande échelle. Vous trouverez sur ce lien une interview de ce peloton.

Après avoir résisté à l'attaque de Kiev, la section ukrainienne s'est dissoute et ses membres se sont dispersés dans divers départements. Actuellement, nous offrons notre soutien aux membres de la section anti-autoritaire ainsi qu'à d'autres partisans gauchistes.

Au cours de l'été, nous avons récolté des fonds pour acheter un drone pour l'unité de reconnaissance aérienne, où travaillent deux anarchistes de Kharkiv. Elle a fondé un centre socioculturel à Kharkiv avant la guerre et est féministe.

En automne, une somme de 7 800 euros a été recueillie pour l'acquisition d'une voiture destinée à un groupe d'émigrés politiques biélorusses, qui s'opposent à l'autorité et qui combattent actuellement sur le sol ukrainien.

Nous avons mené une campagne en décembre pour obtenir un rover d'évacuation pour un ambulancier. Il faisait partie du syndicat avant la guerre.

GV : Quels sont vos objectifs ?

GNIP : Élargir la base de soutien et multiplier les dons par 1,5 à 2 est la tâche immédiate. Nos objectifs politiques sont la victoire en Ukraine, la libération totale de ses régions [orientales] et la restauration des infrastructures. Et bien sûr, les pays voisins devront lutter contre les politiques impériales de la Russie, sinon il n'y aura pas de repos.

En ce qui concerne nos activités d'information, nous espérons que la gauche européenne partage un soutien inconditionnel à l'Ukraine.

GV : Que dites-vous aux personnes qui pensent qu'aider l'armée (ukrainienne ou autre) est immoral ?

GNIP : Cette question est souvent posée par des personnes qui ont des opinions pacifistes et qui proviennent de pays occidentaux où il n'y a pas de conflits. Nous expliquons que le pacifisme est une position favorable. Les peuples qui sont opprimés doivent se défendre afin de continuer à vivre. C'est une forme de défense personnelle.

Cependant, cela n'est pas un problème répandu sur la scène gauchiste, car il est admis que la violence peut être justifiée dans les luttes pour la libération contre l'oppression.

De plus, curieusement, nous avons rencontré une opinion parmi les Russes que nous connaissons concernant l'immoralité du soutien à une armée. Et c'est précisément [venant] d'eux qu'il est difficile de percevoir [autrement] comme du cynisme et de l'hypocrisie. L'Ukraine est soumise à une guerre coloniale agressive menée par la Russie, qui se livre également à un génocide. Comment peut-on l'arrêter sans utiliser une arme?

GV : Y a-t-il des résultats dont vous êtes fier ? Y a-t-il eu des échecs ?

GNIP : Jusqu'à présent, il ne semble pas y avoir eu d'échec. Chaque objectif de collecte de fonds est un motif de fierté.

GV: Comment réussissez-vous à vous impliquer dans le militantisme tout en assumant d'autres responsabilités?

GNIP : Notre petite équipe nous permet de prendre rapidement des décisions. Nous cherchons à établir des priorités et à répartir les responsabilités. Il y a des personnes qui peuvent consacrer plus de temps au GNIP, tandis que d'autres en consacrent moins.

Après l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie, pour l'un d'entre nous, donner la priorité au militantisme a signifié reporter ses études d'un semestre et prendre de longues vacances au travail.

Il est difficile pour un autre [membre] de concilier le militantisme avec le travail et d'autres engagements, mais le militantisme est un besoin pressant. Comment gérer autrement l'angoisse, la tristesse et la colère qui ne cessent de se manifester? Il est nécessaire de prendre des mesures pour mettre fin à la guerre et gagner l'Ukraine.

Heureusement, nous avons fait la rencontre de nombreuses personnes et d'équipes incroyables qui nous soutiennent, mènent des campagnes avec nous, nous fournissent des contacts et des idées. Nous sommes membres d'un réseau de soutien modeste, mais dynamique qui nous permet de poursuivre notre progression.

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