Une vraie « Trini » a tiré sa révérence, mais sa vie devrait enseigner aux Trinbagoniens comment être de bons citoyens.

Capture d'écran de Kathryn Stollmeyer-Wight extraite de la vidéo YouTube de HG Caribbean intitulée « The Many Uses of Calabash ! » (Les nombreuses utilisations de la calebasse).

[Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages en anglais]

Mes souvenirs au sujet de ma rencontre avec Kathryn Stollmeyer Wight ne sont plus exacts ; mais une fois que je l’ai fait, j’ai eu l’impression de la connaître pour toujours. A en juger la vague de chagrin qui a suivi l'annonce de son décès par sa fille le matin du 16 février, nul doute qu'une grande partie de Trinité-et-Tobago a ressenti exactement la même chose. Qu'ils l'aient connu personnellement ou qu'ils n'aient interagi  avec elle qu'à travers Facebook, ils partageaient un lien particulier. Kathryn Stollmeyer Wight, voyez-vous, était ce que pratiquement chaque citoyen de ce pays revendique fièrement : une Trini. Mais, comprenons-nous ce que cela signifie vraiment ?

Kathy savait depuis quelque temps que sa mort était proche. Atteinte de fibrose pulmonaire, une maladie pulmonaire héréditaire incurable à l'origine du décès de sa mère, elle faisait des chroniques sur son expérience de la maladie sur Facebook, où elle partageait presque tout. Toutes ses publications étaient publiques, qu’il s’agisse de parler de sa famille et des amis, partager ses opinions sur des questions politiques ou sociales, rire à des blagues ou simplement de dispenser la sagesse.

Facebook était son village. Aujourd’hui encore, l’histoire de l’arrivée de Kathy sur ce réseau social m'amuse. À cette époque, la population de Facebook était beaucoup plus jeune, et son fils a plaisanté que ce serait probablement une perte de temps pour elle, car elle n’aurait pas beaucoup d’amis. Lorsque Kathy m’a raconté cela au milieu des années 2000, elle avait déjà probablement plus de 1 000 amis sur Facebook. Au moment de sa mort, le groupe d’amis de Kathy avait atteint presque 5 000 personnes, avec environ 2 000 followers.

Elle utilisait Facebook pour rassembler les gens ; ce qui explique partiellement pourquoi toutes ses publications étaient publiques. L’autre raison, je suppose, était du fait qu’elle n’avait rien à cacher. Elle n’était pas du genre à dire une chose publiquement et une autre sous les toits. Ce que vous voyiez, c’est ce que vous obteniez. Et ce que vous obteniez c’était une Trinbagonienne chaleureuse, accueillante, au grand cœur, toujours prête à inclure quelqu’un de nouveau, à tendre la main à quelqu’un de marginal, apprendre quelque chose qu’elle ne connaissait pas auparavant, sourire, rire, faire des choses qui aident les gens, et à faire briller la lumière, sa lumière éblouissante.

Le niveau d’attention que la mort de Kathy a suscité est habituellement réservé aux personnes ayant excellé dans une discipline particulière, ayant défendu des causes spécifiques, ayant été des figures publiques ou politiques, ou ayant pratiqué la musique, la culture ou les arts : des actions qui ont tendance à impacter les gens. Kathy a marqué les esprits par sa seule présence — ce qui ne signifie pas qu’elle n’a rien fait du tout. Au contraire, elle a beaucoup réalisé, mais pas que dans un seul domaine.

Née en 1956, Kathryn était l’unique fille d’une famille de quatre enfants nés de Jeffrey et Sara Stollmeyer. Elle a grandi dans la vallée verdoyante de Santa Cruz, une zone rurale située au nord de Trinité où sa famille cultivait du cacao et d’autres fruits. Cet environnement a nourri sa vénération pour le monde naturel et lui a permis d’apprécier très tôt la valeur de la communauté. Lors d’une interview en 2020, elle a rappelé que « tout le monde vivait de la propriété et se débrouillait. Si vous aviez un poulet, vous pouviez le partager avec toute la communauté ».

Elle a fréquenté le Lycée Bishop Anstey à Port-d’Espagne, puis est allée à l’université au Canada, mais les hivers froids et sombres ont eu raison de sa sensibilité caribéenne. Avant d’avoir achevé ses études universitaires, elle est retournée à Trinité où elle a été recrutée comme une enseignante à Montessori. La mère de l’un de ses étudiants a eu à travailler aux compagnies aériennes British West Indies Airways (BWIA) et Trinidad and Tobago’s national airline (depuis qu’on l’a rebaptisée Caribbean Airlines). Elle était enthousiaste à l’idée de travailler comme hôtesse de l’air. Non seulement elle aimait interagir avec les gens (Kathy était sociable depuis toute petite), mais aussi pouvait voyager partout dans le monde, visiter les musées, et admirer d’extraordinaires créations artistiques. C’était tout à fait dans ses cordes.

À 20 ans, elle a été recrutée chez BWIA où elle a travaillé pendant 18 ans, occupant jusqu’au poste de commissaire de bord. Elle est restée passionnée de la compagnie nationale, qu’elle a soutenue, même après sa retraite. Elle a aussi maintenu de bonnes relations d’amitié avec ses collègues de BWIA. Kathryn Stollmeyer Wight s’est mariée à Gregory Wight, l’amour de sa vie, son partenaire et meilleur ami avec qui ils ont eu trois enfants: Sophie, Ada Kate et Jeffrey Hugh. Elle et « Gregors », comme elle l’appelait, partageaient une même vision du monde enracinée dans le fait qu’ils étaient Trinidadiens avant toute autre chose.

Lorsque le père bien-aimé de Kathy, joueur de cricket antillais et sénateur indépendant de Trinité-et-Tobago, est décédé des suites des blessures lors d’un cambriolage en 1989, ce fut une période éprouvante. Une autre personne aurait pu laisser ce meurtre l’endurcir, la rendre amère ou lui donner envie de partir. Trinité-et-Tobago peut parfois être un endroit cruel, mais Kathy a toujours choisi d’en voir la beauté et d’essayer de la rendre plus douce. Pour ce faire, elle a fait appel à sa communauté large et diversifiée. Avec ses collègues de BWIA, par exemple, elle préparait et distribuait des repas à des organisations locales à but non lucratif comme Kids in Need of Direction. Elle a souvent défendu le travail important d’organisations telles que la section locale Habitat for Humanity (Habitat pour l’humanité), essayant toujours de faire la différence à partir de la base.

Pendant de nombreuses années, elle a été l’une des principales sources de motivation de son quartier de Blue Range, où sa maison tarabiscotée aux couleurs vives renvoyait affectueusement à son enfance campagnarde. Si un non Trinbagonien voulait comprendre le sens d’être un citoyen de ce pays, il trouvait la réponse dans la maison de Kathy, qu’elle ouvrait à tous ceux qui en avaient besoin et qui servait également de siège pour collecter des dons et les distribuer aux personnes dans le besoin. De son dense jardin tropical (qu’elle entretenait avec amour et avec la compétence d’un horticulteur professionnel) à l’éventail d’œuvres d’art locales qui ornaient les murs de sa maison, en passant par la compassion dont elle faisait preuve tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, Kathy portait haut les couleurs de son pays. Elle était une excellente décoratrice d’intérieur et avait un instinct naturel pour le design — même son écriture était de l’art. Elle utilisait régulièrement et fièrement des objets locaux dans son décor et lors de ses réceptions, mais son appartenance à la Trinité allait bien au-delà de l’aspect extérieur ; elle jaillissait du plus profond de son cœur généreux.

. Elle a essayé de faire la différence en devenant membre d’un parti politique pendant une courte période, mais en fin de compte, la plupart de son travail a été fait par elle-même, avec un peu d’aide de ses amis. Lorsqu’elle a appris le sort de Judah Lovell, par exemple, un jeune garçon gravement brûlé lors d’un accident dû à l’éclatement d’un bambou en 2009, Kathy a joué un rôle déterminant en l’aidant à obtenir les soins médicaux dont il avait tant besoin. Comme tant d’autres, ce jeune garçon faisait partie de la vague régulière de visiteurs qui sont venus voir Kathy avant son décès.

Pour cela, et pour tant d’autres choses, en 2013, son alma mater, Bishop Anstey, a honoré Kathy en lui décernant le tout premier prix People’s Choice de l’association des anciens élèves pour avoir aimé tous ceux qui l’entouraient de la même manière qu’elle aimait ses proches;  soutenu et mis en valeur tout effort, aussi petit soit-il, sur la voie de la beauté et de la créativité, de la bonté et de l’identité trinitaire ; été un phare;  compris que le don sincère ne fait que se multiplier ; nous avoir rappelé à quoi ressemblent l’amour, la vulnérabilité et la vérité ; pour s’être impliquée ; pris la parole et défendu ; fait tant de choses importantes que nous échangeons trop facilement contre une démonstration creuse de notre identité trinitaire.

Un jour, alors qu’elle discutait des défis auxquels notre pays était confronté, Kathy m’a raconté qu’elle avait demandé à son père s’il avait l’impression d’avoir fait une différence pendant son mandat de sénateur. Il a répondu qu’il n’en était pas sûr. Je suis sûr, en revanche, que Kathy a fait la différence — et chaque jour de son long adieu sur Facebook, elle nous envoyait un message : maintenant, c’est à nous d’être de vrais Trinis.

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