Au Bénin, la législation punitive sur le journalisme en ligne fait reculer la liberté d'expression

Capture d'écran de la chaîne YouTube de l'ORTB

L'application du code du numérique aux journalistes web complique la pratique du journalisme en ligne au Bénin, mettant ainsi en péril la liberté de la presse dans le pays.

La révolution de l'écosystème des médias par le numérique a occasionné de nombreux défis suite à  l'apparition de nouveaux médias tels que la presse en ligne, la web radio et la web télévision. Mais paradoxalement, ces changements ont aussi contribué au musèlement de la liberté d'expression.

En effet, au Bénin, le paysage médiatique est marqué par un foisonnement de médias : une quinzaine de chaînes télé, plus de 70 radios, une centaine de presse écrite et des presses en ligne qui ne cessent d'être créées au jour le jour pour une population estimé à plus de 13 millions d'habitants. La constitution du pays garantit la liberté de presse, de même la Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication (HAAC) assure la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse. La HAAC assure également la protection des journalistes par le truchement du code de l'information et de la communication tout en supprimant les délits de presse.

La reconfiguration de l'espace médiatique par les nouvelles technologies de l'information et de la communication a eu pour consequence de faire émerger une nouvelle législation. Cette dernière s'est ajoutée au code de déontologie de la presse et s'applique aux journalistes depuis 2018: il s'agit du code du numérique. qui impose de nombreuses restrictions. Par exemple, l'Article 550, alinéa 3 stipule:

Quiconque initie ou relaie une fausse information contre une personne par le biais des réseaux sociaux ou toute forme de support électronique est puni d'une peine d'emprisonnement d’un (01) mois à six (06) mois et d’une amende de 500 000 FCFA (803 dollars américains) à un 1 000 000 FCFA (1 606 dollars américains), ou de l'une de ces peines seulement.

Suite à l'adoption de ce code, le classement de Reporters sans frontières (RSF) fait remarquer une chute sans précédent de la liberté de la presse au Bénin qui passe ainsi de la 78ème place en 2017 à la 112ème place en 2023 .

Comme en témoigne le bureau d’Amnesty International Bénin, le code en question y est pour beaucoup :

Plusieurs arrestations

En décembre 2019, les autorités judiciaires ont fait usage du code du numérique pour arrêter le journaliste Ignace Sossou. Il lui est reproché des actes de harcèlement par le biais des réseaux sociaux. Le journaliste avait publié sur son compte X (ex-twitter) des critiques attribuées à Mario Metonou, procureur de la République, intervenant lors d’une conférence organisée à Cotonou par Canal France International (CFI Médias), sur la coupure de l'internet le 28 avril 2019, jour du vote des législatives :

Son incarcération avait suscité l'indignation de nombreuses organisation de défense de la liberté de presse de par le monde. Dans une publication du 27 février 2020, le Bureau d'Afrique de l'ouest et centrale d’Amnesty International alertait sur le réseau X que le journalisme n'est pas un crime:

En juin 2020, le journaliste a été libéré. Mais, les mêmes motivations qui ont conduit à l'arrestation d'Ignace Sossou ont été utilisées dans des cas concernant d'autres journalistes.

Ainsi, en novembre 2021, Patrice Gbaguidi et Hervé Alladé ont été interpellés.  Ils ont été arrêtés à la suite d'une plainte pour diffamation d'un douanier qui fait référence à un de leurs articles paru en août. En décembre de la même année, ils ont été condamnés pour 6 mois de prisons et à payer une amende de 500.000 FCFA (803 dollars américain). L'information a été relayée par Reporters sans frontières sur son compte X :

Le cas le plus récent est celui de Virgile Ahouansè, journaliste et promoteur de la web radio Crystal News. Son arrestation fait suite à la diffusion d'une enquête sur des présumés faits d'exécution extrajudiciaire menée à l'École primaire publique de Dowa situé à Porto-Novo (capitale du Bénin) le 17 novembre 2022. Il est arrêté et gardé à vue du 20 au 22  décembre 2022.

Il a ensuite été accusé de “diffusion de fausses informations par voie électronique” par la chambre correctionnelle de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) du Bénin. Le 15 juin 2023, il a été condamné à 12 mois de prison avec sursis et d'une amende de 200.000 Fcfa (322 dollars américain).

Le code du numérique menace la liberté de la presse

A l'ère du numérique où tous les grands médias utilisent l'internet pour être plus proche des téléspectateurs, auditeurs et lecteurs, les menaces qui pèsent sur les journalistes ne sont plus seulement l'affaire des journalistes web mais de tous.

Interrogé par Global Voices via WhatAapp, Virgile Ahouansè pense que le code du numérique ne menace pas que la sécurité des journalistes web. Il affirme plutôt que:

C'est la sécurité des journalistes en général qui est menacée. Pas seulement ceux des journalistes en ligne. Mais des journalistes en général.

Au nombre des menaces auxquelles les journalistes béninois travaillant par voie numérique font face régulièrement figure la privation de liberté, et quelques fois l'intimidation.

Ce fut le cas du journaliste Ignace Sossou, qui dans un premier temps avait été sommé de supprimer les infos relayées sur ses réseaux sociaux. À ce propos, le 6 mai 2020, Ginette Fleure Adandé, journaliste de Voxafrica écrivait :

Le procureur accuse le journaliste d’avoir sorti ses propos de leur contexte et lui enjoint, épaulé par les équipes de CFI, de supprimer ces publications. Ce qu'a refusé Ignace Sossou, prenant une telle injonction comme une violation de ses droits.

Eu égard des nombreux défis auxquels la presse béninoise fait face de nos jours, le professionnalisme des journalistes est de plus en plus questionné. Romuald Vissoy, journaliste et enseignant, interviewé via WhatsApp par Global Voices préconise ceci :

Pour leur sécurité, les journalistes numériques doivent se démarquer des activistes du web. Il faut qu'ils soient professionnels et connus des autorités qui régulent les informations dans le pays.

Nécessité de s'organiser

Pour donner plus de voix et se faire entendre, les journalistes du numérique auraient intérêt à créer une communauté pour défendre leurs droits. C'est ce que pense Ozias Houngue , journaliste et rédacteur en chef de Libre express interviewé par Global Voices via WhatsApp:

(…)Je crois qu'il est important pour eux de se retrouver en une organisation pour défendre leur droit. Dans n'importe qu'elle démocratie, quand vous ne vous réunissez pas pour défendre vos droits, vous n'obtenez pas de grands changements. J'invite toutefois les journalistes à faire leur travail tout en respectant le code du numérique.

Dans le même sens, en décembre 2019 lors d'une conférence de presse, Zakiath Latondji , présidente de l'Union des professionnels des médias du Bénin (Upmb) appelle les journalistes à plus de professionnalisme et au respect de l'éthique et de la déontologie.

Malgré les conditions difficiles d'exercice du métier de journaliste dans notre pays, l'Union des professionnels des médias du Bénin invite tous les professionnels des médias à faire de l'éthique et de la déontologie des boussoles dans la collecte, le traitement, la publication et diffusion de l'information.

Face à toutes ces mesures coercitives, l'exercice du métier de journaliste, surtout pour celles et ceux qui travaillent en ligne, et la liberté de presse au Bénin sont plus qu'en danger.

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