Les protestations ont commencé bien avant 2012, lorsque le militant écologiste et professeur d'université Dr Wayne Kublalsingh a entamé une grève de la faim en signe de protestation personnelle et publique contre la construction d'un tronçon d'autoroute litigieux entre Debe et Mon Désir dans le sud de Trinité. Il est devenu le visage d'un groupe appelé Highway Re-Route Movement (HRM). Le HRM a reçu l'assurance de l'actuel premier ministre Kamla Persad-Bissessar et d'autres membres de son parti lorsqu'ils étaient encore dans l'opposition, qu'aucune route ne serait construite à travers leur communauté, et que la lagune d'Oropouche, une zone écologiquement sensible, ne serait pas touchée par des travaux routiers potentiels.
Mais une fois que le Partenariat du peuple de Persad-Bissessar est arrivé au pouvoir aux élections générales de 2010, toutes ces promesses ont été oubliées. La construction a commencé pour de bon: des pelleteuses ont détruit le camp de protestation du HRM et le Dr Kublalsingh a été arrêté. Il a entrepris sa grève de la faim initiale cinq mois plus tard, et ne l'a achevé que lorsque, sous l'impulsion des groupes de la société civile, le gouvernement a accepté une évaluation indépendante du projet d'autoroute.
D'ici là, la plupart des gens ont compris que la contestation du Dr Kublalsingh était bien plus qu'une simple autoroute—c'était un principe. C'était pour demander des comptes aux élus. La transparence. La bonne gouvernance. Le développement qui respectait la communauté humaine et l'environnement. Il était, essentiellement, question de progrès—mais pas seulement le type de progrès qu'on peut facilement mesurer. Les ravages que le Dr Kublalsingh a contraint son corps à endurer pendant 21 jours en novembre 2012 interrogent: “En tant que citoyen, faites-vous assez pour votre pays?”
Le fait qu'un homme qui avait auparavant risqué sa vie et a réussi à cesser la construction de deux fonderies d'aluminium proposées dans le sud de Trinité a dû recourir à une grève de la faim pour avoir l'attention de son gouvernement suggère que la réponse est “Non”. Les grèves de la faim sont des choses qui se passent régulièrement à Cuba de Castro; le pis aller désespéré des gens sans pouvoir. Comment se fait-il que le Dr Wayne Kublalsingh a-t-il dû entamer une nouvelle famine pour avoir l'intérêt d'une grande partie des citoyens concernés? Est-ce une démocratie participative? Lorsque les gens sont en désaccord avec le statut quo, faut-il les ignorer? les dénigrer? Lorsque les gens posent des questions, faut-il tenter de les discréditer?
Les partisans du projet d'autoroute disent que le HRM est contre le développement. En réalité, le HRM demande au gouvernement de respecter son accord de prendre en considération les conclusions du rapport indépendant de Armstrong et modifier la portion de route de Debe à Mon Désir. Il a même fourni une solution de rechange. De réels progrès en matière de démocratie ont été accomplis ici. La souffrance du Dr Kublalsingh et le plein soutien du HRM envers lui ont suscité des actions positives et axées sur les solutions de la part de la société civile. Tout aussi important, le gouvernement a convenu de payer pour l'audit indépendant que les groupes de la société civile a présenté comme la solution à l'impasse.
Mais un problème de communication s'en est suivi. Dans une erreur malencontreuse, le HRM a accusé le gouvernement de n'avoir pas fait d'appel d'offre pour le projet. Afra Raymond, président du Conseil consultatif mixte, qui a aidé à négocier l'évaluation indépendante mettant fin à la première grève de la faim, pensait que la revendication est problématique pour deux raisons: premièrement, l'appel d'offre pour le contrat d'autoroute a été en réalité fait en 2010, et deuxièmement, selon Raymond, “les affirmations sans fondement du HRM. . . montrent un manque de connaissance des contenus du Rapport d'Armstrong.”
Tout discours significatif occasionné par le Rapport d'Armstrong a désormais dégénéré en insultes et vitriol du camp pro-autoroute, que le Premier Ministre a essentiellement appelé liberté d'expression tant qu’ “ils n'enfreignent pas la loi”. Apparemment, le président du pays n'a pas reçu cette note. Et vraisemblablement, il y a des priorités plus importantes pour un premier ministre que les préoccupations des citoyens qui sont représentés par un militant mourant.
Je suis las—et me méfie—des politiques patriarcales. Dans ce pays de “mange de la nourriture”, j'en ai tellement marre des politiques des relations publiques que je ne peux pas digérer un autre morceau. Pouvons-nous prendre du recul, ici? Pouvons-nous tout simplement. . . nous taire? Parce que comme l'a dit le groupe de rapso, 3Canal, “tout le monde parle, mais personne n'écoute,” et nous risquons tous de passer à côté du problème. Et si nous le faisons—si nous écartons le Dr Kublalsingh d'emblée comme un fauteur de troubles, un écolo, un dissident—nous ne comprendrons pas l'importance de la cause pour laquelle il se bat avant qu'il ne soit trop tard.
Alors arrêtons de parler et écoutons. Comme l'artiste Peter Minshall l'a dit, nous ne devons pas nous concentrer sur la question de savoir si le Dr Kublalsingh peut être comparé à Gandhi ou s'il aurait dû mettre sa vie en danger en se lançant dans une seconde grève de la faim. A ce stade, les projecteurs ne devraient même pas être sur Kublalsingh. Mais nous sommes trop habitués aux faux-fuyants et discours de voleur, alors nous pensons qu'il s'agit d'un ruban d'asphalte, alors qu'en réalité il est question de nos libertés et droits en tant que citoyens de Trinité-et-Tobago, que nous soutenions l'autoroute ou pas.
Si les communautés entre Debe et Mon Désir perdent leurs logements, leurs moyens de subsistance et leur sentiment d'appartenance, nous perdons quelque chose également. Si le Dr Kublalsingh et sa famille reculent devant les mots méchants d'une secte si sure de sa mission qu'ils ne peuvent pas écouter respectueusement un point de vue différent, notre liberté d'exprimer notre propre vérité devient un peu plus restreinte. S'il y a des tentatives de compromis et que le HRM n'est pas disposé à se plier, nous souffrons tous.
Je ne connais pas le Dr Wayne Kublalsingh, mais je sais ceci: l'homme a une vision. Il a vu le bout du chemin et il a mis ses actes en conformité avec sa parole. Ainsi, au lieu de se laisser distraire par une cacophonie de voix tumultueuse, soyons calme et écoutons le message du Dr Kublalsingh puisqu'il parle à travers son souffle laborieux. Écoutons les grognements des bulldozers qui refusent de s'arrêter suffisamment longtemps pour que tout le monde se regroupe et obtienne quelques explications. Soyons calme et ruminons sur la question que nous avons ignoré depuis beaucoup trop longtemps: “En tant que pays, que voulons-nous pour nous-mêmes?”