Taïwan craint de n'être qu'une monnaie d'échange pour Donald Trump face à la Chine

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Le président-élu Donald Trump a tweeté le 2 décembre que la présidente de Taïwan, Tsai Ing-Wen, lui a téléphoné pour le féliciter de sa victoire à l'élection américaine, rompant avec des décennies de protocole des Etats-Unis. Peu après, il interrogeait dans une interview : “Je ne sais pas pourquoi nous devons être liés à une politique d’une Chine unique, à moins que nous passions un accord avec la Chine pour obtenir d’autres choses, y compris sur le commerce”.

Comme l’explique à juste titre Wikipédia, la politique “d'une seule Chine” se réfère au concept selon lequel il n'existe qu'un unique Etat appelé “Chine” ; les pays qui souhaitent des relations diplomatiques avec la République Populaire de Chine doivent donc rompre toutes relations officielles avec la République de Chine (Taïwan) et réciproquement.

Sitôt après la diffusion de l'interview de M. Trump sur Fox News, la Formosan Association for Public Affairs, (FAPA, l'Association formosane des affaires publiques), une organisation à but non lucratif basée à Washington, avec pour objet l'édification d'un soutien mondial à l'indépendance de Taïwan, publiait une déclaration :

We at FAPA are heartened to see President-elect Trump challenge the outdated “One China Policy”. Taiwan has never been a part of the People’s Republic of China.

However, Taiwan’s right to self-determination and democracy should not be a bargaining chip. Using Taiwan in any sort of “deal” with China is against the very ideals on which our nation is founded.

Nous, FAPA, sommes encouragés de voir le président-élu Trump défier la dépassée “politique d'une seule Chine”. Taïwan n'a jamais été une partie de la République populaire de Chine.

Pour autant, le droit de Taïwan à l'autodétermination ne devrait jamais été une monnaie d'échange. Se servir de Taïwan pour quelque “marché” que ce soit avec la Chine est contraire aux idéaux mêmes qui fondent notre nation.

Cette déclaration reflète l'incertitude de nombreux Taïwanais qui se demandent si M. Trump ne fait qu'utiliser un levier pour négocier avec la Chine, ou s'il veut réellement réévaluer la relation américano-taïwanaise.

Ainsi, June Lin, chargée de programme politique à cette même Association formosane des affaires publiques, n’apprécie pas du tout que Trump aligne la “politique d'une seule Chine” avec d'éventuels accords commerciaux. Citant Trump, elle commente :

“I fully understand the ‘one China policy,’ but I don't know why we have to be bound by a ‘one China policy’ unless we make a deal with China having to do with other things, including trade.”
假裝很灑脫傲嬌 但交換條件講ㄉ蠻細ㄉ
「誰管你啊 ~除非你給我A跟B跟C,不然我才不理你ㄋ。」
如果這句話放在他的twitter大寫的字會是TRADE????
真的是好煩啊….

“Je comprends parfaitement la ‘politique d'une seule Chine’ mais ‘Je ne sais pas pourquoi nous devons être liés à une politique d’une Chine unique, à moins que nous passions un accord avec la Chine pour obtenir d’autres choses, y compris sur le commerce”.
Trump s'est voulu libre et simple, mais il est très clair sur le marchandage : ‘Qu'est-ce que ça peut faire [la politique d'une seule Chine] ?—Sauf si vous me donnez A, et B et C, je m'en ficherai complètement’.
Si ses propos étaient mis sur son compte Twitter, je suppose que le mot en capitales serait COMMERCE ????
C'est embêtant…

Alors que la géopolitique évolue en mers de Chine du Sud et de l'Est, les USA semblent se rapprocher de plus en plus d’un nouveau paradigme en manifestant leur puissance militaire. Sous l'administration du président Barack Obama, le gouvernement américain a renforcé ses liens stratégiques avec Taïwan. Le Congrès des Etats-Unis a voté en avril de cette année le Taiwan Relations Act (loi sur les relations avec Taïwan) et les “Six Assurances”, qui réaffirme la position de Taïwan comme “important partenaire” des USA.

En mai, lors du vote par la Chambre des Représentants du budget militaire pour 2017, un amendement donne instruction au Secrétaire américain à la Défense d'accorder à l'armée taïwanaise le statut d'observateur dans les manoeuvres de la marine appelées Rim of the Pacific Exercise (RIMPAC). S'ajoutant à cela, le 8 décembre, le Sénat des Etats-unis a adopté le projet de loi annuel de politique de défense, comportant une disposition recommandant la conduite d'échanges militaires annuels de haut niveau avec Taïwan.

Bien que la sortie de Trump sur Twitter ait été interprétée comme une réaffirmation plus décidée du partenariat stratégique, les Taïwanais s'inquiètent tout de même que Trump, homme d'affaires, ne se serve de Taïwan qu'à fins de négocier un meilleur accord commercial avec la Chine. Taïwan est un pays indépendant de facto, mais les autorités de Chine continental voient cela d'un autre oeil, et n'apprécient guère les prises de position qu'elles perçoivent comme une reconnaissance du gouvernement taïwanais.

Quel est au juste le statut de Taïwan ? Lire : Taïwan, pays véritable, île autonome, territoire perdu ou province chinoise ?

Qui plus est, certains Taïwanais étaient informés de la présence à Pékin de l'ancien Secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger au moment où Trump tweetait à propos de son entretien téléphonique avec la présidente taïwanaise. Pour ceux-ci, la conduite de Trump incarne la politique étrangère à la mode Kissinger, centrée sur l'imprévisibilité. Mais Taïwan pourrait-elle survivre sous une telle politique étrangère, celle-là même qui a vu les USA bombarder le Cambodge, le Laos et le Vietnam à la fin des années 1960 jusque dans les années 1970 ?

Jou Yi-Cheng, militant social et personnalité retraitée de la politique, a aussi des doutes sur les négociations à la hussarde de Trump avec la Chine :

新的美國對中對台政策,還需要一點時間鋪陳。外交政策圈的論述戰還未全面開打。川普先生的步調太快,把全世界趕著跑。川普先生的生意作風是先把標的物(貿易)講清楚,籌碼擺上來(台灣,一個中國政策),讓雙方(美中,沒有台灣)快速進入談判。[…]
外交還是要談理念、理想。利益是核心,但不能只談利益。虛虛實實,互相掩護。美國正當性會削弱。美國在全世界會有更多麻煩。

Le développement de la nouvelle politique américaine vis-à-vis de la Chine et vis-à-vis de Taïwan devrait prendre plus de temps. Le débat entre les décideurs de la diplomatie n'a pas encore débuté. M. Trump va vite et entraîne le monde entier en avant avec lui. Le style en affaires de M. Trump est de fixer clairement l'objectif (càd le commerce) et de mettre la monnaie d'échange (càd Taïwan, la politique d'une seule Chine) sur la table pour passer à la négociation bilatérale (entre les USA et la Chine mais sans Taïwan) aussi rapidement que possible. […]
La diplomatie doit traiter le concept et la vision. Le bénéfice est le centre, mais ne peut rester seul. Idéologie et intérêt concret vont de pair. [Sans le discours idéologique] la légitimité des Etats-Unis sera affaiblie, et les ennuis suivront.

Si Trump tente d'utiliser Taïwan comme monnaie d'échange, la Chine quant à elle n'a pas l'air de vouloir jouer. Les politiques chinois considèrent Taïwan comme l'un des intérêts essentiels de la Chine, impossible à marchander. Ils préféreraient en réalité négocier avec les Taïwanais un nouveau cadre pour les deux rives du détroit, car s'agissant de Taïwan ils ont bien plus à proposer (ou à faire pression).

Il se trouve pourtant des Taïwanais pour croire que la crise ouvre une opportunité même si Taïwan sert de monnaie d'échange dans des négociations sino-américaines. L'économiste Yu-His Liu écrit :

人生在世,不怕被人利用,只怕沒人要利用你。所謂交易,重點在於是否能互惠互利、各取所需。台灣人無須自我膨脹,但也無須失敗主義,盲目抗拒進場聽牌。與其如履薄冰,不如迎向改變。[…]我們要知道自己要甚麼[…]我們必須提醒自己,人不能用極惡或極善來二分,任何議題也不能用「全有或全無」做為行動方針。

Nous ne devrions pas avoir peur d'être utilisés par autrui si nous voulons survivre dans le monde. C'est quand personne ne veut vous utiliser que vous devez vous inquiéter. Quand on parle de conclure un accord, le plus important est de savoir si les deux côtés profitent de l'accord et obtiennent ce qu'ils veulent. Les Taïwanais ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers, mais il ne faut pas [non plus] succomber au défaitisme et refuser aveuglément d'entrer dans le jeu. Au lieu d'être peureux, prenons les changements avec sérénité. […] Il faut que nous sachions ce que nous voulons. […] Nous devons nous rappeler que nous ne pouvons pas tomber dans un manichéisme classant chacun en bon ou mauvais et laisser la  stratégie du “tout ou rien” guider nos actions.

Un utilisateur appelé Azuel a analysé la situation sur PTT, le système de panneau d'affichage électronique le plus populaire à Taïwan, et son commentaire fait écho au propos de Liu :

接下來每一步對台灣來說都是兢兢業業如履薄冰
台灣就是支點,可以被維持,也可能因為一點點的偏移而破壞整個平衡
算計是一定要每天都根據新的情況算下去的,沒有不會改變的季節
不過這起手的牌,在可見的時間範圍內算是好牌
河牌一張張掀開的時候,隨時要注意牌桌上所有對手的表情了

Taïwan a besoin d'être très, très prudent à chaque pas, nous marchons sur une fine couche de glace.
Taïwan est le pivot [de la balance]. Il peut tenir l'équilibre, mais une minime erreur de jugement peut défaire l'équilibre.
Il faut recalculer sur la base de la nouvelle situation que nous trouvons chaque jour. Il n'y a pas de saison immuable.
Pour résuler, cette première carte peut être considérée comme une bonne dans le futur prévisible, mais il nous faut observer attentivement les mimiques de tous les joueurs lorsque les cartes sont soulevées une par une.

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