En Bulgarie, le Parlement et un établissement de formation pédagogique lauréats des “Prix Big Brother”

Alexander Kashumov, Directeur de l'équipe juridique de l'ONG Programme d'Accès à l'information lors de son allocution à la remise des Prix Big Brother bulgares à Sofia, le 3 février 2019. Photo: Irina Aleksova / Internet Society – Bulgaria, CC-BY.

Après une interruption de six ans, les principales organisations bulgares de droits numériques ont ranimé leur version des Prix Big Brother, une cérémonie d'”anti-récompenses” conçue pour faire honte aux violateurs des droits à la vie privée et de la protection des données.

Imaginés par l'organisation internationale de droits humains Privacy International en 1998, les Prix Brother ont été adoptés par de multiples organisations de la société civile en Europe et au-delà. L'événement vise à mieux sensibiliser aux graves problèmes liés au mauvais usage des données personnelles et aux dommages qu'il peut causer aux individus, et au sociétés en général.

Lors d'une cérémonie du 3 février 2019 à Sofia, les lauréats 2018 ont été proclamés : le parlement bulgare,et le Centre de formation et de qualification de pédagogues spécialisés Sàrl, un institut pédagogique connu, ont été couronnés.

Internet Society-Bulgarie et Access to Information Program en Bulgarie avaient lancé un appel à sélection d'instances publiques, de sociétés privées ou d'individus ayant violé la vie privée des citoyens et usé abusivement de leurs données. Les particuliers ont pu envoyer leurs propositions jusqu'au 24 janvier dernier délai.

“Notre but est de montrer à l'opinion les problèmes, et d'en accroître la prise de conscience”, a déclaré un représentant de l'Internet Society de Bulgarie.

Avec la collecte, le stockage et le traitement par les entreprises et les institutions privées d'énormes quantités de données personnelles (souvent dans l'illégalité), à la poursuite d'un marketing plus efficace et d'un plus grand contrôle social, le comité organisateur a reçu de nombreuses propositions. ISOC-Bulgaria sollicitait les suggestions du public, invitant quiconque à envoyer des propositions via des commentaires de blogs (qui pouvaient être envoyés anonymement) ou via Facebook. Leur évaluation a été faite par un jury de personnalités publiques bénévoles, composé d'avocats, d'universitaires, de consultants, de journalistes et de militants des droits civiques.

Le jury a ensuite décerné deux prix : un pour l'institution d’État et l'autre pour l'organisme privé qui ont excellé dans la violation de la vie privée des citoyens.

Le siège de l'Assemblée nationale (parlement) de Bulgarie. Photo dans le domaine public via Wikipédia.

La concurrence était vive entre les institutions étatiques proposées : l'Agence de sécurité nationale, le Ministère public et la Commission anti-corruption, mais au final c'est à l'Assemblée nationale de Bulgarie qu'est allé le Prix Big Brother 2018, saluant son adoption d'une loi sur les données personnelles.

Outre l'établissement de nouvelles normes censées protéger les données des citoyens du mésusage par les entreprises et institutions, la loi fixe des règles spécifiques pour les journalistes et leur activité, quand elle touche aux vies et activités des individus. La loi instaure des restrictions autour des effets qu'aura la divulgation des données sur la vie personnelle du sujet, des circonstances dans lesquelles les données personnes sont connues d'un journaliste, et de l'incidence des données personnelles ou de leur divulgation pour l'intérêt public.

La totalité de ces dispositions, lorsqu'elles sont sujettes à l'interprétation tant des organes de médias que des tribunaux, pourrait se traduire par une menace à la liberté de la presse, en particulier quand il s'agit de rapporter les activités des agents publics.

Le membre du jury et spécialiste des médias Georgi Lozanov a expliqué plus en détail :

Самите критерии са добри. Те наистина помагат на защитата и са по посока на тази чувствителност, която нараства. Въпросът е, че те могат да имат страничен ефект, да нарушат едно друго право – правото на свободно изразяване и на свобода на словото. Могат да се превърнат в предписания за действия при упражняване на журналистическата професия, а такъв тип предписания са фактически цензура. Така че наградата не е толкова за самите критерии, които са в защита на личните данни, колкото за това, че не е предвиден риск те да се превърнат в заплаха за свободата на словото.

Pris seuls, les critères ont du bon. Ils aident en effet  à la protection, et vont dans le sens d'une plus grande sensibilisation. Le problème qu'ils nous posent, c'est qu'ils peuvent avoir des effets indésirables, et ont un effet adverse sur un autre droit humain — le droit à la liberté d'expression et à la liberté de la presse. Ils peuvent être utilisés comme règles de déontologie du journalisme, ce qui dans la pratique peut se traduire par une censure de fait. Le prix ne s'attache donc pas tant aux critères qu'à la prise en compte du risque de les transformer en menace à la liberté de la presse.

Dimitar Ganchev, qui est membre du conseil de direction de l'ISOC-Bulgarie, a ajouté qu'une autre raison pour laquelle le parlement l'a emporté était que le vote sur la loi de protection des données a eu lieu sans réel débat et avec une très faible présence de ministres.

Il a souligné que les critères énumérés dans la loi sont si extensifs — et les amendes si élevées — que le résultat pourrait être l'auto-censure :

Рискът е изключително сериозен. Точките, по които могат да бъдат атакувани, не са малко – те са цели десет.

Le risque est extrêmement sérieux. Ces lois fournissent dix points pouvant être utilisés pour monter des procédures contre les journalistes.

L'organisme du secteur privé qui a remporté le Prix Big Brother est le Centre de formation et de qualification de pédagogues spécialisés Sàrl, grâce à une fuite massive de données personnelles qui a affecté plus de 9.000 étudiants et plus de 2.000 parents. Des listes de leurs données personnelles ont été exposées au public à travers divers mécanismes, parmi lesquels la mise en ligne de coordonnées sur un important réseau social.

La cérémonie des Prix Big Brother – Bulgarie a eu lieu au Club des écrivains “Peroto” [“La Plume”] à Sofia, la capitale bulgare, le 3 février 2019. Photo: Irina Aleksova / Internet Society – Bulgarie, CC-BY.

Les autres concurrents dans la catégorie des entités privées étaient l'exploitation forestière municipale d'Elin Pelin, l'université St. Kliment Ohridski de Sofia, et Trimoncium, un centre médical à Plovdiv.

Bien qu'aucun des lauréats n'ait répondu à l'invitation à la cérémonie, les organisateurs ont dit leur satisfaction que l'événement ait eu une bonne couverture de la presse, contrairement aux autres années, quand les médias en avaient à peine parlé.

Créés par Privacy International, ces Prix s'inspirent du personnage de Big Brother du roman de George Orwell “1984”, qui symbolise la dérive de l’État vers une surveillance absolue, et l'assurance des besoins élémentaires de ses sujets au prix d'une totale annihilation des libertés humaines. Le logo de l'anti-prix est un brodequin militaire écrasant une tête humaine, autre référence à une scène de ce livre culte.

La première cérémonie des Prix Big Brother a eu lieu au Royaume-Uni. Depuis, un nombre croissant de mouvements de droits humains affiliés décernent les prix dans une vingtaine de pays. A part la Bulgarie, la version européenne de la récompense existe aussi aux Pays-Bas et en Allemagne.

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