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L'exposition MATRIX 185 d’Ali Banisadr au Musée d'art Wadsworth Atheneum est la première exposition solo de l'artiste irano-américain aux États-Unis. Elle a débuté le 22 octobre 2020 et se tiendra jusqu'au 14 février 2021.
Dix tableaux et deux gravures de Banisadr s'ajouteront à la sélection des œuvres de la Collection Wadsworth choisies par l'artiste, tout comme le collage vidéo que Banisadr a créé pour montrer d'autres œuvres des collections du musée. Le contenu visuel et narratif de ses œuvres est influencé par son expérience de la guerre, et son contact avec la culture pop, le cinéma, les romans graphiques et la peinture européenne. Sur la page qui lui est dédiée sur le site du Met, l'artiste déclare peindre les bruits et les images de la guerre.
Ali Banisadr est né à Téhéran en 1976 et a immigré aux États-Unis à l'âge de 12 ans pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988). En l'an 2000, il s'est installé à New York, a obtenu sa Licence en Arts plastiques et plus tard son Master à l'École de Beaux-arts de New York.
Aujourd'hui âgé de 44 ans, il est l'un des artistes les plus prometteurs et les plus couronnés de succès des États-Unis. De plus, ses peintures sont collectées par les plus grands musées à travers le monde, notamment, le Metropolitan Art Museum de New York, le Musée d'art contemporain de Los Angeles, le Centre Pompidou de Paris et le British Museum de Londres.
Les tableaux de Banisadr sont esthétiques, hypnotiques et possèdent plusieurs dimensions. Ils invitent le visiteur à faire le voyage dans un monde imaginaire rempli d'éléments familiers et étranges qui créent un réseau de sens, de formes et de couleurs. Ses peintures pourraient aussi évoquer le souvenir des géants comme Francisco Goya, Pieter Bruegel et Hieronymus Bosch, même si à plusieurs égards, son énergie, son langage symbolique, ses paysages, ses personnages tout comme le monde cryptique et codé qu'il crée, font de lui un artiste à part. Il crée une combinaison magique de l'harmonie et du chaos qui maintient le visiteur à distance et fait appel à une interprétation personnelle et unique des tableaux.
Ci-dessous, un extrait de l'interview :
Omid Memarian (OM) : Vous ne travaillez que sur un seul tableau à la fois. Pourquoi et comment est-ce que ça marche ?
Ali Banisadr: When I begin a new painting, it becomes a very involved process. Once I start a painting, we open up a dialogue that leads to a lot of research, reading, looking at art works in relation to the painting in progress, etc. My mind becomes very much occupied by the painting and if I opened another dialogue with another painting, it would just become overwhelming.
Ali Banisadr (AB) : Quand je commence un nouveau tableau, ça devient un processus qui absorbe énormément mon attention. Une fois que j'ai commencé un tableau, j'ouvre un dialogue qui conduit à de nombreuses recherches, des lectures, la contemplation d'œuvres d'art en rapport avec le tableau sur lequel je travaille, etc. Mon esprit est alors très occupé par ce tableau et si j'ouvrais un autre dialogue avec un autre tableau, je serais simplement submergé.
OM : Vous avez passé votre enfance en Iran et êtes arrivé à San Diego à l'âge de 12 ans. Comment est-ce que votre expérience en Iran a affecté plus tard votre travail, particulièrement en tant qu'artiste peintre et dans votre vie aux États-Unis ?
AB: It's hard to say. Of course, everything you experience in some way affects your work. One thing I can say is that it is helpful to be able to think about things through the lenses of two different cultures at once. Instead of having just one point of view, you can listen to different voices which may sometimes be in opposition. I feel it's a healthy way to understand the world and I've always liked the idea of multiple points of view. There is never just one way or a single answer.
AB : C'est difficile à dire. Bien entendu, toutes nos expériences de vie affectent d'une certaine façon notre travail. Une chose que je peux relever, c'est qu'il est utile de regarder les choses à travers deux cultures différentes en même temps. Au lieu d'avoir un seul point de vue, nous pouvons écouter les différentes voix qui peuvent parfois être en opposition. Je pense que c'est un moyen sain de comprendre le monde et j'ai toujours apprécié l'idée d'avoir plusieurs points de vue. Il n'y a pas qu'une seule voie ou qu'une seule réponse.
OM : En l'an 2000, vous êtes allé à New York pour étudier à l'École des arts visuels et plus tard vous avez obtenu votre Master en Arts plastiques à l'École des Beaux-Arts de New York. Comment les études ont-elles changé ou façonné votre vision et contribué à votre créativité et à votre travail ?
AB: When I went to school I was ready to learn as much as I could. I was thirsty for it because I had spent a lot of time experimenting on my own to get an understanding of what lies inside of myself and what it wants. Then I just had to learn some structure to be able to unveil it.
AB : Quand j'étais en école d'art, j'étais prêt à apprendre autant que possible. J'avais soif de connaissance et je passais beaucoup de temps à faire des expériences par moi-même afin de comprendre ce qui se cachait en moi et ce que je voulais. Ensuite, il suffisait de maitriser une certaine structure pour être capable de le révéler.
OM : Vous êtes l'un des artistes du moment les plus talentueux et aussi les plus couronnés de succès aux États-Unis et vos œuvres ont été exposées/collectionnées par les plus grands musées/collectionneurs. Comment est-ce que ce niveau de succès affecte votre travail ?
AB: When I am painting, my goal is to turn off my rational thinking—”the voices of others,” as Guston has said—and to think in a different way—visual thinking. So I don't think these external forces factor into my practice of painting.
AB : Quand je peins, mon objectif est de me détacher de ma pensée rationnelle — “des voix des autres” comme le dit Guston — et de penser de manière différente, de manière visuelle. Alors, je ne pense pas que ces forces extérieures entrent en jeu dans ma pratique de la peinture.
OM : Quelle est votre définition du succès pour l'art et les artistes ?
AB: Each work should be better than the last one; each work should teach me new things.
AB : Chaque œuvre d'art devrait être meilleure que la précédente ; chaque œuvre d'art devrait m'enseigner de nouvelles choses.
OM : Comment décririez-vous la technique et le style de narration dans votre peinture, en rapport avec les autres peintures que vous auriez étudiées ou qui vous auraient influencé ?
AB: In this case, I would just refer to the paintings themselves. It is a hard thing for me to try to break down words; one has to simply look at the paintings, and all those traces of past, present and future can reveal themselves, but they come and go like dreams, not easy to grasp and pin down.
AB : Dans ce cas de figure, je préfère parler uniquement des tableaux eux-mêmes. J'ai du mal à décomposer les mots. Simplement en regardant les peintures, toutes ces traces du passé, du présent et du futur peuvent se révéler. Cependant, elles vont et viennent comme des rêves qui ne sont pas faciles à saisir et à cerner.
OM : Qu'en est-il de la tradition iranienne du 19e siècle de la peinture des cafés ? Que saviez-vous de cette tradition étant jeune et après, à l'âge adulte ? Est-ce que cette tradition a fait partie d'une quelconque façon de votre imagination visuelle ?
AB: It is a very interesting way to be able to tell a story; what I like about it is that they are worlds within worlds. You can have the same person shown in the story when they are young and then when they are old. It's a bit like a time machine, which I appreciate and think about within my own work.
AB : C'est une façon très intéressante de raconter une histoire. Ce que j'apprécie à ce sujet c'est qu'il s'agit de mondes à l'intérieur des mondes. Vous pouvez avoir la même personne qui apparait dans l'histoire quand elle est jeune, et puis d'un coup elle est vieille. C'est un peu comme une machine à voyager dans le temps, que j'apprécie et à laquelle je pense dans mon propre travail.
OM : La bonne musique et les romans ont été deux de vos sources d'inspiration. Comment ces deux formes artistiques se sont-elles frayé un chemin dans votre peinture ?
AB: Music goes inside of my body and it turns into visual worlds. Novels and poetry can also provoke powerful imagery but also create a musical orchestra. Films can have a combination of sounds and imagery, but also movement. They are all a point of reference that comes and goes as I am painting. Since I don't use any references, they sort of become a part of my visual vocabulary to refer to when I am working.
AB : La musique pénètre dans mon corps et se transforme en mondes visuels. Les romans et la poésie peuvent aussi provoquer une imagerie puissante, mais aussi créer un orchestre musical. Les films peuvent combiner les sons, le langage visuel mais aussi les mouvements. Ils sont tous des points de référence qui vont et viennent au fur et à mesure que je peins. Étant donné que je n'utilise aucune référence, la musique et les romans sont devenus une partie de mon vocabulaire visuel auquel je me réfère quand je travaille.
OM : Quel est votre processus intellectuel et créatif de mise en scène, qui fait que tous les tableaux partagent les mêmes caractéristiques et particulièrement un haut niveau de symbolisme ?
AB: Each time I start working, it's like a dive into the abyss and the unknown. When I am not painting, I am doing a lot of research based on the content I am interested in at the time—this can be triggered by a current event topic, but I am not just satisfied with that immediate topic. I like to research its history, see echoes of it in the past, in books written about the subject, art which was made about the subject, so, in a way, I fall into a rabbit hole of research with each painting and these contents may or may not work their way into the painting.
AB : Chaque fois que je commence à travailler, c'est comme si je faisais un saut dans l'abysse et dans l'inconnu. Quand je peins, je fais beaucoup de recherches à partir du contenu sur lequel se porte mon intérêt du moment—cela peut être déclenché par les sujets d'actualité, mais je ne me satisfais pas de cette immédiateté. J'aime faire des recherches sur l'histoire de l'événement, en voir des reflets dans le passé, faire des recherches dans les livres sur ce sujet, rechercher les œuvres qui ont été produites à ce sujet. Ainsi, d'une certaine façon, chaque tableau me plonge dans un dédale de recherches et ces contenus peuvent se retrouver ou non dans l'œuvre.
OM : Dans une interview, vous avez déclaré : “Je veux que mes tableaux donnent ce sentiment de métamorphose, où l'on regarde les choses se transformer en quelque chose d'autre. Parce que c'est le reflet le plus authentique de l'imagination, de la mémoire et des rêves—les choses changent toujours.” Comment est-ce qu'une telle philosophie a grandi en vous, quels éléments vous ont aidé à les façonner ?
AB: I was always interested in how imagination, memory, dreams and hallucinations work. All these elements have shaped our world and connect us with things that go beyond our rational thinking. This fascinates me.
AB : Je me suis toujours intéressé à la manière dont l'imagination, la mémoire, les rêves et les hallucinations fonctionnent. Tous ces éléments ont façonné notre monde et nous connectent avec des choses qui vont au-delà de la pensée rationnelle. Cela me fascine.
OM : À quoi fait référence le titre de votre tableau de 2019, Thought Police ?
AB: The title refers to George Orwell's 1984 novel which I have been thinking alot about lately, such a prophetic novel, especially for our time!
AB : Ce titre fait référence au roman de George Orwell, 1984, sur lequel je réfléchissais beaucoup ces derniers temps, quel roman prophétique, particulièrement pour notre temps !
Ali Banisadr a également participé à la sélection d'une partie de la collection Wadsworth (Goya, William Blake, Hiroshige, Max Ernst, etc) pour une exposition. Son exposition solo au musée Bekani à Athènes en Grèce se tiendra du 3 novembre au 30 janvier 2021. Enfin, il publie chez Rizzoli une monographie qui sortira au printemps prochain afin de coïncider avec l'exposition à la galerie Kasmin de New York.
Crédit photos : Jeffrey Sturges et Adam Reich