Trinité-et-Tobago procède à l'expulsion de femmes et enfants pour des questions de « sécurité nationale »

Un groupe de demandeur·euse·s d'asile comprenant 16 enfants débarquent pour la seconde fois sur le sol de Trinité-et-Tobago, le 24 novembre 2020, en raison d'une décision judiciaire qui requiert leur comparution à une audience d’habeas corpus. Capture d'écran du débarquement extraite d'une vidéo de Trinidad and Tobago Newsday, qui a été postée sur la chaîne YouTube du journal.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient à des pages en anglais. 

Des discussions très vives ont animé la blogosphère de Trinité-et-Tobago concernant l'expulsion de 16 mineur·e·s et 11 adultes vénézuélien·ne·s — y compris 9 femmes —  qui ont été, selon certaines sources, expulsé·e·s peu de temps avant leur audience d’habeas corpus [fr] prévue le 22 novembre à 14 heures. Il s'agit d'une requête que le ministre de la Sécurité nationale Stuart Young a justifiée comme faisant partie de ses attributions de protection du pays.

Après les inquiétudes suscitées par l'incapacité à localiser le navire devant les ramener au Venezuela, et par la description des actions de Trinité-et-Tobago comme étant « cruelles, douloureuses et inhumaines », faite par le président par intérim autoproclamé du Venezuela Juan Guaidó, non seulement le groupe a été retrouvé, mais une juge trinidadienne, Justice Avason Quinlan-Williams, a également ordonné que l'État les ramène à Trinité-et-Tobago pour leur audience devant le tribunal.

Les demandeurs et demandeuses d'asile ont regagné les rives de Trinité le 24 novembre, où ils ont été salué·e·s par leurs proches qui résident sur l'île :

Aucun mot. Aucun. https://t.co/8TiIW2hGBq

— Wesley Gibbings (@wgibbings) Le 24 novembre 2020

Le problème a été porté à l'attention du public par l'avocate Nafeesa Mohammed, qui a démissionné de son poste de dirigeante politique adjointe du Mouvement national du peuple (PNM) au pouvoir, à peine quelques semaines avant les élections générales [fr] de Trinité-et-Tobago qui ont eu lieu le 10 août.

Nafeesa Mohammed a déclaré que le groupe avait été arrêté initialement le 17 novembre au sud de Trinité-et-Tobago, à environ 11 kilomètres au nord du Venezuela. La crise politique et socio-économique qui perdure dans ce pays d'Amérique du Sud a contraint des milliers de personnes à chercher asile à Trinité-et-Tobago.

Cependant, dans ce cas particulier, il y a eu des sujets d'inquiétude à propos du bien-être des enfants notamment, ce qui a poussé Nafeesa Mohammed à adresser un courrier au chef de l'immigration pour réclamer un dialogue. Bien que des actes de naissance et d'autres documents pertinents aient été communiqués au service d'immigration du pays, ils n'ont pas été acceptés. En apprenant que l'expulsion était imminente, Nafeesa Mohammed a réussi à faire avancer la date de l'audience devant le tribunal, mais cela n'a servi à rien. Elle a depuis laissé entendre que les actions de l'État à cet égard allaient à l'encontre de ses obligations internationales et souhaite qu'une enquête soit ouverte sur l'affaire.

Stuart Young, le ministre de la Sécurité nationale de Trinité-et-Tobago, a tenu une conférence de presse le 24 novembre, pour se pencher sur la situation et « envoyer quelques signaux très forts » en ce qui concerne la sécurité nationale et les lois qui ont été mises en place en vue de la maintenir.

Formulant ses observations dans le contexte de la pandémie de COVID-19, Stuart Young a noté que les frontières de Trinité-et-Tobago étaient fermées aux ressortissants et non-ressortissants, et cela depuis le 17 mars, peu après l'enregistrement du cas index du virus. Toute personne qui souhaite entrer dans le pays pendant que la fermeture des frontières est toujours en vigueur doit obtenir une autorisation du ministre en personne.

Compte tenu de ces paramètres, a poursuivi Stuart Young, les Vénézuélien·ne·s en question ont enfreint les lois de l'immigration de Trinité-et-Tobago, la règlementation sanitaire et la politique du gouvernement. Nafeesa Mohamed insiste, cependant, sur le fait que les membres du groupe ayant été expulsés étaient négatifs au test du COVID-19.

Soulignant que l'on « ne pouvait pas reprocher légitimement et à juste titre » au gouvernement de s'occuper de questions de migration non-nationale sans un pilier humanitaire, Stuart Young a réitéré :

It is not up to any one person — in a democracy, it doesn't operate like that. It's not up to lawyers, it's not up to courts, it's not up to anyone to just change the law according to how they feel. This government has always approached the issue of non-national migration with a balance that includes the humanitarian aspect.

Cela ne repose pas sur une seule personne, quelle qu'elle soit —  dans une démocratie, cela ne fonctionne pas de cette manière. Ni les juristes, ni les tribunaux, ni qui que ce soit d'autre n'a le pouvoir de changer la loi selon son ressenti. Ce gouvernement a toujours abordé la question de la migration non-nationale avec un équilibre qui comprend l'aspect humanitaire.

Au début de l'année 2019, cependant, alors même que les nations des Caraïbes ont tenté de s'engager [fr] dans une diplomatie internationale décisive au regard de l'impasse politique du Venezuela, Trinité-et-Tobago semblait réticente à la qualifier de crise humanitaire, préférant plutôt faire écho à la position diplomatique de la communauté des Caraïbes (CARICOM) de « non-interférence et de non-intervention ».

En juin de cette année-là, le gouvernement de Trinité-et-Tobago a tenu sa promesse de régulariser la situation des demandeur·euse·s d'asile vénézuélien·ne·s. Un grand nombre des conditions et privilèges associés à ce processus d'enregistrement ont, depuis, été étendus au-delà de la limite initiale d'un an. Ils sont tous cités par Stuart Young comme preuve de la considération du gouvernement pour l'aspect humanitaire, bien que les choses restent floues quant à savoir ce qui doit se passer une fois l'extension arrivée à terme.

Les agences internationales n'ont pas toujours reconnu le caractère humanitaire des politiques du gouvernement de Trinité-et-Tobago. En avril 2018, le rapatriement de 82 Vénézuélien·ne·s a fait l'objet de critiques sévères de la part du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui a qualifié cette décision d'« expulsion forcée », en violation de la loi internationale.

Trinité-et-Tobago a adhéré à la Convention de 1951 sur les réfugiés et est signataire de la Convention des Nations Unies contre le crime organisé transnational, de la Convention des Nations Unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles, ainsi que de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Lors de sa conférence de presse, Stuart Young a fustigé « les agences internationales » pour avoir fait circuler des statistiques suggérant qu'il y aurait un nombre beaucoup plus important de demandeur·euse·s d'asile vénézuélien·ne·s dans le pays que celui effectivement enregistré pendant le processus de deux semaines en juin 2019.

Cependant, un article de Global Voices datant du 4 juin 2019, établit que le HCR a estimé « la population concernée » de Trinité-et-Tobago à ce moment-là à plus de 10 000 personnes — parmi lesquelles, 800 réfugié·e·s et 9 985  demandeur·euse·s d'asile, dont la plupart venaient du Venezuela. Le décompte final de demandeur·euse·s d'asile enregistré·e·s s'élève à 16 523.

À la fin de l'opération, Trinité-et-Tobago a institué une obligation de visa pour tous les ressortissants vénézuéliens souhaitant entrer dans le pays. Les non-nationaux non enregistrés pourraient faire l'objet d'une expulsion.

En déclarant qu'il « comprenait l'émotion » de la situation, Stuart Young a mis en garde celles et ceux qui tentent de « manipuler l'histoire comme étant celle des femmes et des enfants ». Pour de nombreux internautes sur les réseaux sociaux, cela constituait, en revanche, le cœur du sujet :

Ainsi donc, des arrangements sont effectués au commissariat de Cedros pour procéder à l'expulsion de 16 enfants vénézuélien·ne·s, y compris des bébés et des enfants âgés de 2 à 8 ans.

Leurs pères détiennent des permis du ministère de la Sécurité nationale / des certificats de demandeurs d'asile / des Nations Unies. Ils ont tous des parents ici.

Depuis quand soutenons-nous la séparation des familles ?

L'avocate Nafeesa Mohammed a confirmé que certains parents des enfants étaient enregistrés à Trinité-et-Tobago, tandis que les autres étaient titulaires de cartes émises par le HCR. Le ministre Stuart Young a répliqué que les Vénézuélien·ne·s qui détenaient des cartes d'enregistrement et faisaient entrer des amis ou de la famille dans le pays enfreignaient la loi et seraient expulsé·e·s, ajoutant que l'enregistrement au HCR ne donnait à personne le statut de résident permanent dans le pays.

Il a aussi soulevé des inquiétudes concernant les situations de cette nature qui représenteraient un signal d'alarme au regard du trafic d'êtres humains, puisque des réseaux actifs étaient présents à Trinité-et-Tobago, et que des membres des forces de l'ordre et des autorités de contrôle aux frontières étaient suspectés d'être impliqués.

Bien que se référant à la Loi sur l'immigration [pdf] de Trinité-et-Tobago, qui comportait une clause mentionnant une classe de personnes « indésirables » dont l'entrée dans le pays pouvait être interdite et offrant « un niveau de protection supplémentaire », le ministre Stuart Young a déclaré que, tout en étant inquiet pour la sécurité du groupe, il devait respecter la loi, qui était « claire et ne pouvait être contredite ».

En ce qui concerne le protocole du tribunal, il a noté :

The persons were returned to Venezuela before any court order was made. So, there is no longer any jurisdiction, there is no breach, there is no misinforming the court or anything like that.

Les personnes ont été renvoyées au Venezuela avant qu'une décision judiciaire ne soit rendue. Ainsi, il n'y a plus de juridiction, il n'y a pas d'infraction, il n'y a pas d'information mensongère transmise au tribunal ou quoi que ce soit de semblable.

Néanmoins, le tribunal a réussi à s'assurer que le groupe revienne sur le territoire de Trinité-et-Tobago et que les enfants soient remis à la garde de leurs parents.

La procédure judiciaire suit son cours, mais au tribunal de l'opinion publique, beaucoup ont déjà jugé que les agissements de Trinité-et-Tobago étaient « moralement défaillants ».

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