Depuis le 23 janvier, les États caribéens se trouvent pris dans un décisif ballet diplomatique international au sujet de l'impasse politique vénézuélienne, et tout dernièrement en tant que co-architectes du “mécanisme de Montevideo”, le plan en quatre points de sortie de la crise vénézuélienne proposé par le Mexique, l'Uruguay et la Communauté caribéenne ou CARICOM lors d'une réunion la semaine dernière en Uruguay.
Un membre en particulier de la CARICOM a pourtant quelques doutes sur sa position quant aux ressortissants vénézuéliens qui ont cherché refuge à l'intérieur de ses frontières. Alors que les camions transportant l'aide humanitaire financée par les USA arrivaient à la frontière vénézuélienne la semaine dernière, le gouvernement de Trinité-et-Tobago éludait les questions au Parlement sur sa reconnaissance ou non de l'existence d'une crise humanitaire au Venezuela, réitérant sa position diplomatique de “non-ingérence et non-intervention” prise par le pays dans le cadre de la CARICOM.
Trinité, la plus grande des deux îles formant l’État de Trinité-et-Tobago, est située à seulement 11 km au nord du Venezuela. Depuis que la situation politique et économique a empiré au Venezuela, l'île connaît un afflux de Vénézuéliens fuyant les pénuries et les violences. Les uns arrivent clandestinement par le littoral sud de Trinité, les autres par les ports du pays. Des estimations laissent penser que le pays a reçu dans les 60.000 migrants, un nombre important pour un pays comptant 1,3 millions d'habitants.
La décision de Trinité-et-Tobago de rapatrier 82 Vénézuéliens en avril 2018 a été sévèrement critiquée par l'UNHRC, qui a qualifié la mesure d’ “expulsion forcée” en violation du droit international. Maintenant que l'attention mondiale est tournée vers l'impasse politique au Venezuela, l'absence de vision cohérente du pays sur la migration est examinée hors de ses frontières.
Législation incomplète
Si le conseil des ministres a bien adopté une politique nationale en matière de réfugiés et d'asile remontant à 2014, elle n'est pas mise en œuvre. Dans sa déclaration au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), le gouvernement a indiqué que bien qu'ayant adhéré à la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, et qu'étant signataire de la convention de l'ONU contre le crime organisé transnational et de la convention de l'ONU sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et membres de leurs familles, une absence de législation “a entravé l'application de principes appropriés de protection des réfugiés et demandeurs d'asile.”
Conséquence, les demandeurs d'asile et personnes ayant le statut de réfugié de l'UNHCR se retrouvent traités comme des migrants sans papiers, et nombre d'entre eux atterrissent au Centre de rétention d'immigrés, sont exploités par des employeurs, voire, selon un rapport de janvier 2019 de Refugees International (RI), “contraints à devenir illégaux”. En l'état des choses, les Vénézuéliens souhaitant obtenir la protection de Trinité-et-Tobago relèvent des dispositions de la Loi sur l'immigration, qui stipule que les migrants sans papiers peuvent être détenus, mis à l'amende, et en toute probabilité, expulsés.
Après le sauvetage la semaine dernière à Trinité de 19 adolescentes supposées Vénézuéliennes des griffes d'un vaste réseau de prostitution et de trafic de drogue, il y a eu des appels renouvelés à autoriser les Vénézuéliens à travailler dans le pays. Les enfants de réfugiés et de demandeurs d'asile ne sont pas non plus admis à fréquenter les écoles publiques du pays.
La Communauté de l'Eau vive, l'organisation caritative catholique partenaire opérationnel de l'UNHCR à Trinité-et-Tobago, s'efforce de mettre en pratique un Plan régional d”intervention pour les réfugiés et migrants, conçu pour répondre aux besoins des Vénézuéliens fuyant leur pays.
Le journaliste trinidadien Wesley Gibbings a laissé entendre que la législation (ou son absence) n'était pas le seul écueil, notant aussi sur Twitter que :
No doubt, some of the xenophobia being exhibited in #Trinidad stems from the fact that some continued to assert that #Venezuela‘s humanitarian crisis had been externally-generated propaganda and not lived experience.
Pas de doute, une partie de la xénophobie qui s'exhibe à Trinité découle de ce que certains ont continué à affirmer que la crise humanitaire du Venezuela était une propagande de provenance extérieure et non une expérience vécue.
Ailleurs dans la région
Trinité-et-Tobago et le Venezuela ont des relations diplomatiques étroites de longue date. Pays producteur de pétrole et de gaz, le pays a profité de l'offensive du président vénézuélien décédé Hugo Chávez pour une augmentation des prix du pétrole, et a signé l'an dernier un important contrat gazier avec le successeur aux abois de Chávez, Nicólas Maduro, qui selon certains détracteurs pourrait expliquer la réticence du gouvernement trinidadien à appeler crise humanitaire la situation du Venezuela.
Mais si le pays ressent le souffle sa proximité avec le Venezuela, la situation dans les autres États de la Caraïbe n'est guère différente.
Selon un article co-écrit par Rochelle Nakhid, la coordinatrice régionale de la Communauté l'Eau vive pour l'UNHCR, parmi les pays de a Caraïbe, “seul le Bélize possède une législation, tandis que la Jamaïque et Trinité-et-Tobago ont une politique des réfugiés mais pas de loi.” Nakhid reste toutefois optimiste que le processus de rédaction pour incorporer les protocoles internationaux de migration puisse “être entrepris d'une manière louablement participative” avec les parties prenantes, notamment les services de l'Immigration.
Pendant ce temps, les réfugiés manifestent contre l'incapacité de Trinité-et-Tobago à se montrer à la hauteur de ses obligations internationales sur les questions migratoires, pendant que les diplomates soulignent la nécessité de la mise en place d'une structure appropriée.