L’article d'origine a été publié en anglais le 7 octobre 2020.
[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]
« Comment vivre, quand la lumière du jour tue ? » C'est la question que pose l'écrivaine jamaïcaine primée et militante écologiste Diana McCaulay dans son cinquième roman intitulé Daylight Come, publié par Peepal Tree Press le 24 septembre.
L'histoire commence en 2084 sur une île fictive des Caraïbes, Bacaju. Alors qu'elles sont au bord du désespoir, une adolescente et sa mère décident de fuir leur ville et les conditions dévastatrices provoquées par le changement climatique. Dans l'espoir de survivre, elles s'aventurent dans les collines, sous un soleil de plomb, ne sachant pas à quoi s'attendre.
Ce récit peut sembler dystopique pour certains, mais pour Diana McCaulay, il est presque réel. Malgré leur faible empreinte carbone, les îles des Caraïbes sont aux premières loges du changement climatique mondial. Depuis la mi-mai, la saison cyclonique 2020 dans l'Atlantique Nord a déclenché des cyclones tropicaux à un rythme sans précédent, et la région a constamment souffert [fr] d’ouragans par le passé. Elle a également subi des sécheresses de plus en plus longues et persistantes, des pénuries d'eau, des températures élevées, et des périodes de précipitations diluviennes.
Alors que la Semaine du climat de New York vient juste de s'achever, j'ai interviewé Diana McCaulay par courrier électronique sur les questions complexes concernant la crise climatique dans le contexte des Caraïbes.
Emma Lewis (EL) : Qu'est-ce qui vous a incitée à écrire ce roman ?
Diana McCaulay (DMC): About three summers ago while travelling, I read an article about construction workers in the Middle East falling from scaffolding due to the heat, and I started to think about what would happen if it became too hot to work outside. When I returned to Jamaica, I started paying close attention to all the people working outside. What would happen if no work was possible outside for much of the year? That was the kernel of the idea for “Daylight Come.” I went on to imagine what kind of world might emerge — would people start to work at night and sleep in the day? But suppose there was one person, a teenager, who could not sleep?
Diana McCaulay (DMC) : Il y a environ trois étés, alors que je voyageais, j'ai lu un article qui racontait que des ouvriers du bâtiment au Moyen-Orient tombaient des échafaudages à cause de la chaleur. Alors, je me suis demandée ce qui se passerait s'il faisait trop chaud pour travailler dehors. À mon retour en Jamaïque, j'ai commencé à prêter une attention particulière à tous les gens qui travaillent à l'extérieur. Qu'est-ce qui se passerait si aucun travail n'était possible à l'extérieur pendant la majeure partie de l'année ? Cette question a été la petite étincelle qui a donné naissance à l'inspiration pour Daylight Come. Mon imagination m'a amenée à concevoir le genre de monde qui pourrait émerger — est-ce que les gens commenceraient à travailler la nuit et à dormir le jour ? Mais supposons qu'il y ait une personne, une ado, qui n'arrive pas à s'endormir ?
EL : Votre roman s'adresse aux jeunes adultes. Est-ce un genre important pour vous ?
DMC: I never have any audience in mind when I write [but] I seem most inclined to write about young people in the 12- to 16-year-old age group and my writing style is simple, so two of my books have been received as young adult books. That genre is important to me because I loved reading myself from a very early age, so I like the idea of reaching a young audience.
DMC : Je ne tiens compte d'aucune audience en particulier quand j'écris [mais] je semble être plus encline à écrire à propos de jeunes entre l'âge de 12 et 16 ans, et mon style d'écriture est simple. C'est pourquoi, deux de mes livres ont été considérés par le public comme s'adressant à de jeunes adultes. Ce genre m'importe beaucoup, car j'ai moi-même commencé à lire à partir d'un très jeune âge, du coup, j'aime beaucoup l'idée que mes récits touchent une audience plus jeune.
EL : La perspective mère-fille met en évidence les aspects générationnels du débat sur le changement climatique. Y a-t-il un décalage entre les générations à cet égard ?
DMC: I do think there is a disconnect — even anger — because successive generations of older people have caused or tolerated the problem, while young people are the ones who are going to have to deal with it. I’m not sure I think about it as bridging a gap in understanding so much as a need for urgent action by young people. This is their fight, their future, their world. Older people need to support them with information, guidance, funding, and access to power.
DMC : Je pense qu'il y a un décalage, et même de la colère, car plusieurs générations consécutives de personnes plus âgées ont suscité ou enduré ce problème, et ce sont les jeunes qui devront se charger de le résoudre. Je préfère penser qu'il y a un besoin urgent d'intervention de la part des jeunes plutôt que de penser qu'il s'agit de combler les lacunes de compréhension. Ceci est leur bataille, leur futur, leur monde. Les personnes plus âgées se doivent de les soutenir avec des informations, des conseils, du financement, et l'accès au pouvoir.
EL : Le changement climatique peut être un sujet assez difficile à communiquer. Quelle est la meilleure façon de s'adresser aux différentes audiences locales ?
DMC: The language of science is not very useful in communicating a crisis, I’ve found. Science is measured, unfolds slowly and speaks about probabilities and uncertainties, while people want precise predictions. I think the climate crisis message should nest in love for home place, in rootedness, in appreciation of a particular way of life. It should speak about rights and justice and fairness — because it is a profoundly unfair situation that developed countries have constructed high standards of living on fossil fuel energy and now countries who have not enjoyed these standards of living are being asked to NEVER have them.
In terms of reaching local audiences, l learned from my experiences with an anti-litter campaign that music, performance, humour and animation are most effective, but it’s a challenge to communicate danger in that way. The difficulty with climate crisis messaging to the public is the call to action. I don’t agree with making this about individual action, important as that is — you know, the encouragement to save energy and save water — it’s too late for that. The climate crisis is a problem of governments and corporations and economic systems. It’s a problem of power.
DMC : Je trouve que l'utilisation du langage scientifique n'est pas très utile pour communiquer une situation critique. La science est mesurée, elle se déploie doucement, et elle parle de probabilités et d'incertitudes, alors que les gens veulent des prévisions précises. Je pense que le message de la crise climatique devrait noyer dans l'amour du pays, dans l'enracinement, dans l'appréciation d'un certain mode de vie. Il devrait parler de droits, de justice, et d'équité — car on se trouve dans situation totalement inique où les pays développés ont bâti des niveaux de vie élevés qui dépendent des énergies fossiles, et maintenant les pays qui n'ont pas profité de ce niveau de vie élevé, se le voient arraché des mains pour toujours.
Pour ce qui est de toucher des audiences locales, j'ai appris, grâce à une campagne anti-déchets, que le plus efficace est de passer par la musique, la performance, l'humour et l'animation. Cependant, il est difficile de communiquer le danger de cette façon. La difficulté avec le message de la crise climatique pour le public est l'appel à l'action. Je ne suis pas d’accord avec le fait de réduire cela à l'action individuelle, aussi importante soit-elle – vous savez, l’encouragement à économiser l’énergie et l’eau – il est trop tard pour cela. La crise climatique est le problème des gouvernements, des entreprises et des systèmes économiques. C’est un problème de pouvoir.
EL : Quels genres d'histoires devrions-nous raconter sur le changement climatique ?
DMC: Facts and information are important, but it’s a call to the emotions that causes people to care, to act. I’d like to see more near-future stories — much climate fiction is set very far in the future, so people can tell themselves that this is a long way off and might never happen.
DMC : Les faits et les informations sont importants, mais c'est un appel aux émotions qui fait que les gens s'y intéressent et agissent. J'aimerais voir plus d'histoires sur l'avenir proche — beaucoup de fictions sur le climat se passent dans un avenir très lointain, et donc les gens peuvent se dire que c'est lointain et que ça n'arrivera peut-être jamais.
EL : Quelles actions en particulier aimeriez-vous voir se produire dans les Caraïbes au cours des cinq prochaines années ?
DMC: The disconnect I see in the region is between rhetoric and action. We’re certainly talking a good talk, we go to all the conferences, we send in our reports, we sign up to conventions, we celebrate small, local projects. But if you look at the development decisions currently being taken, they’re consistent with a development model that we should already have left behind.
For example, Jamaica has recently permitted a very large hotel in a pristine mangrove area right on the coast, we have a city bypass planned which will take out mangroves, and we’re intending to build an industrial zone and housing on an aquifer replenishment area. In terms of actions, I’d like to see the establishment of no-build zones due to climate vulnerability. I’d like to see us beginning to plan managed retreat from the coastline — so much of our critical infrastructure is at or near sea level.
I’d like to see a reframing of how tourism is marketed, which is entirely a fantasy; you know, those empty, over-raked beaches with all the native vegetation removed. I’d like to see us urgently removing people who are already living in hazard-prone areas, [like] on the banks of rivers or storm water courses. I’d like to see serious protection of all our fresh water resources, as well as those natural resources we know give us resilience to the effects of the climate crisis, like forests, reefs and seagrass beds. And I’d like to see an energy transition, which is somewhat underway, but still based on natural gas, which is a fossil fuel, and not proceeding fast enough.
DMC : Le décalage que je perçois dans la région se trouve entre le discours et l'action. Il est certain que nous parlons beaucoup, nous allons à toutes les conférences, nous envoyons nos rapports, nous nous inscrivons à des conventions, nous célébrons de petits projets locaux. Mais si vous considérez les décisions de développement actuellement prises, elles sont cohérentes avec un modèle de développement que nous aurions déjà dû abandonner.
Par exemple, la Jamaïque a récemment autorisé un très grand hôtel dans une zone de mangrove intacte sur la côte. Nous avons prévu un contournement de la ville qui détruira les mangroves, et nous avons l'intention de construire une zone industrielle et des logements sur une zone de reconstitution de l'aquifère. En ce qui concerne les actions, j’aimerais voir la création de zones interdites à la construction en raison de la vulnérabilité climatique. J’aimerais que nous commencions à planifier un retrait du littoral — une grande partie de nos infrastructures essentielles se trouve au niveau de la mer ou à proximité.
Je rêve d'une redéfinition de la façon dont le tourisme est promu : vous savez, ce fantasme des plages vides et aplanies à outrance, sans aucune végétation naturelle. J’aimerais que nous évacuions de toute urgence les gens qui vivent déjà dans des zones à risque [comme] sur les bords de rivières ou des cours d’eau pluviales. J’aimerais observer une protection importante de toutes nos ressources en eau douce, ainsi que de toutes ces ressources naturelles qui, comme nous le savons, nous permettent d'être résilients face aux effets de la crise climatique, comme les forêts, les récifs et les herbiers marins. Et j’aimerais voir une transition énergétique, qui est quelque peu en cours, mais toujours basée sur le gaz naturel, un combustible fossile, et qui ne progresse pas assez vite.
EL : Daylight Come laisse entendre que l'existence humaine sera mise à l'épreuve dans un futur proche. Y a-t-il de l'espoir dans tout cela ?
DMC: In terms of hope or hopelessness, I think of it as what we should do, how we should act, what the solutions might be, what are the priorities. Tropical ecosystems WILL heal themselves if you give them a chance — and more quickly than many other types of ecosystems. We’ve already lost a lot, but we still have much that is worth protecting, and we should be determined not to lose even more.
DMC : En ce qui concerne l'espoir ou le désespoir, j'y pense en termes de ce que nous devrions faire, comment nous devrions agir, quelles pourraient être les solutions, et quelles sont les priorités. Les écosystèmes tropicaux se guériront d'eux-mêmes si vous leur en donnez l'opportunité — et plus rapidement que de nombreux autres types d'écosystèmes. Nous avons déjà beaucoup perdu, mais il nous reste beaucoup à protéger, et nous devrions être résolus à ne pas perdre encore plus.
EL : Le nombre de jeunes militants pour l'action climatique, dans les Caraïbes et ailleurs, ne fait que croître. Quel message aimeriez-vous faire passer à ces jeunes activistes ?
DMC: You have more power than you realize. Use it. Organize. Find allies. Speak out. You don’t have to know everything about the science — what you need is concern. Outrage. Determination. Courage.
DMC : Vous avez plus de pouvoir que vous ne le pensez. Utilisez-le. Organisez-vous. Trouvez des alliés. Exprimez-vous. Vous n’avez pas besoin de tout savoir sur la science — ce dont vous avez besoin, c’est de la préoccupation. Indignation. Détermination. Courage.