Au Nigéria, les entreprises chinoises sont accusées de maltraitance, entachant les relations bilatérales

Le président Muhammadu Buhari avec Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, à Abuja, au Nigeria. Image de la page Facebok de la Villa présidentielle d'Aso Rock, le 5 janvier 2021.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages web en anglais, ndt.]

Le Nigéria est une destination phare pour de nombreuses entreprises manufacturières chinoises qui se sont implantées à Lagos, Ogun et Benin City, villes situées dans le sud-ouest du pays, au cœur du delta du Niger, région riche en pétrole.

Toutefois, ces entreprises chinoises abusent, exploitent et maltraitent trop souvent leur personnel nigérian, qui vit dans ce que le législateur nigérian Ndudi Elumelu a décrit comme des « conditions d'asservissement ». Au fil des années, les allégations de racisme, violences physiques, violences sexuelles, blessures et même de mort d'ouvriers locaux, en raison de la négligence ou de l’approbation explicite des patrons chinois, ont fait la une des journaux. Les répercussions de ces actes présumés ont été minimes.

L'étude de l’ Observatoire civique des médias de Global Voices sur l’initiative « Belt and Road » chinoise  a identifié deux grandes catégories d'infractions commises par ces entreprises au Nigéria : les accidents du travail, dûs à l'absence de normes de sécurité, et le travail forcé. Ces histoires et allégations, partagées entre autres par des journalistes ou des témoins, dans les journaux nigérians et sur les médias sociaux, constituent un récit qui dépeint les propriétaires d'usines et les hommes d'affaires chinois au Nigéria comme des personnes abusives et indifférentes à la santé et aux droits de leurs employés. Bien que toutes les allégations n'aient pas été prouvées, l'ensemble ternit néanmoins l'image de la Chine dans le pays en tant qu'employeur équitable et partenaire bienveillant.

George Ofosu et David Sarpong, chercheurs à l'université allemande Justus-Liebig de Gießen et à l'université anglaise Brunel de Londres, affirment dans leur analyse qualitative de la documentation évaluée par des pairs et portant sur la « main d’œuvre employée par la Chine » en Afrique, que « les pratiques de travail des entreprises chinoises engendrent des abus par le biais de la précarisation du travail, de la faible rémunération et d'un manque général d'adhésion à la sécurité professionnelle ».

Le silence du gouvernement fédéral face à ces infractions présumées aux lois nigérianes du travail du pays et aux conventions internationales du travail, commises par des propriétaires d'entreprises chinoises, met en évidence la relation asymétrique entre ces deux pays.

Accidents de travail

Onyinye est morte brûlée vive

Onyinye dans une ambulance après l'incendie (contenu explicite, pour public averti).

Les médias sont notre voix puisque nous n'avons personne qui se battra pour nous on les utilise pour demander à notre gouvernement de nous venir en aide nous ne pouvons pas perdre nos collègues (AFLAN) aux mains de Chinois négligents

Onyinye « Onyi » Onwuegbusi, traductrice chez Wihu Limited, une usine chinoise située le long de la voie express Lagos-Ibadan à Isheri, dans l'État d'Ogun, a péri brûlée vive le 9 juillet 2021, en raison d'une négligence présumée de ses employeurs chinois. L'incendie a également coûté la vie à trois autres employé·es nigérian·es.

Les entreprises chinoises présentes au Nigéria se soucient peu de leur personnel, traitent les travailleurs comme des animaux et ne prennent pas de mesures de sécurité sur le lieu de travail. Leur négligence a entraîné la mort de 4 citoyen·nes nigérian·es innocent·es qui travaillaient pour gagner leur vie.

Sola Akinsehinwa, membre du conseil d'administration de l'Association nigériane des traducteurs de langues étrangères (AFLAN), qui s'est entretenue avec Global Voices via WhatsApp et par courriel, affirme que « ces femmes ont senti l'odeur du gaz et ont découvert que la société chinoise avait installé une conduite qui passait par la cuisine du dortoir où les victimes préparaient leur repas. Une étincelle d'attrape-mouches a provoqué l'explosion ».

Large conduite de gaz de la société  chinoise Wihu à Lagos. Image Photo fournie par Sola Akinsehinwa et reproduite avec son autorisation

L'usine Wihu ne possédait ni extincteur ni ambulance, selon un utilisateur de Twitter. En raison d'une grève des médecins nigérians ce jour-là, les victimes n'ont pas reçu de soins médicaux rapides, ce qui a finalement entraîné la mort d'Onyi et de trois autres personnes. 

Les délégués de l'AFLAN, dont Onyi était membre, ont été menacés et se sont vu refuser l'accès à la direction de l'usine chinoise. « C'est après l'incident qu'ils [Wihu Limited] se sont équipés d'extincteurs, comme l'ont raconté les ouvriers qui les ont achetés. Ils ont fait ça pour essayer de brouiller les pistes », a ajouté Akinsehinwa.

Le 10 septembre 2021, Global Voices a contacté Markus, un responsable de Wihu qui n'a pas fourni son nom de famille par téléphone, afin d'obtenir la version de la société. Le responsable avait accepté de répondre aux questions via WhatsApp mais ne l'avait pas fait à la date de publication.

Dans une affaire similaire, en février 2018, le gouvernement de l'État de Lagos, capitale économique du Nigéria, a tenu la direction de l'entreprise chinoise Hongxing Steel Company Limited responsable d’un accident qui a défiguré Chris Abiodiun, un contractuel. Celui-ci a subi des brûlures au visage et sur une grande partie des membres supérieurs lorsque du métal en fusion a jailli devant lui le 1er octobre 2017. La société a refusé de l'indemniser de manière adéquate pour les blessures subies lors de l'accident. 

Les réactions franches du gouvernement de l'État de Lagos, de la Chambre des représentants, de la chambre basse du Nigéria, et du parlement de l'État d'Ogun aux infractions commises par les entreprises chinoises en matière de droit du travail contrastent clairement avec le silence du gouvernement fédéral. Elles peuvent résulter de l'indépendance de ces échelons et niveaux gouvernementaux qui ne sont pas directement impliqués dans la mise en œuvre des objectifs de diplomatie et de politique étrangère nigériane avec la Chine, chasse gardée du gouvernement fédéral.

Travail forcé

En mars 2020, au plus fort de la pandémie de COVID-19, PslamB, un utilisateur de Twitter, a affirmé dans une série de tweets que Hufua Plastics Industry Company Limited avait enfreint de manière flagrante les directives de confinement édictées par le gouvernement nigérian. Hufua Plastic a retenu de force plus de trois cents employés nigérians dans son usine d'Ibafo, dans l'État d'Ogun, a-t-il précisé.

Ils n'étaient pas satisfaits, maintenant ils forcent leurs employés à travailler (soit tu viens travailler soit t'es viré), disant que le gouvernement ne les a pas contactés personnellement parce que ce sont des organisations privées ; ces gens ne se soucient même pas du fait qu'ils sont à l'origine du problème…

L'entreprise aurait menacé de licencier les employés qui s'opposeraient au travail forcé et les aurait obligés à vivre à l'usine afin de continuer à travailler. Elle n'a pas non plus respecté les protocoles COVID-19 dans les bâtiments, au détriment de la santé de son personnel nigérian. 

Le même genre de traitements inhumains a été infligé en avril 2020 aux employés nigérians de l'entreprise chinoise Goodwill Ceramics, Ogun Guangdong Free Trade Zone Igbesa, dans le sud-ouest du Nigéria. Les ouvriers, qui ont été « retenus à l'intérieur de l'entreprise pendant deux semaines de confinement sans être nourris correctement », ont été priés de partir sans compensation adéquate, selon le journal en ligne SaharaReporters.  

En juillet 2020, la police nigériane a arrêté un couple chinois à Abuja, la capitale du Nigéria, pour avoir enfermé leurs huit employés de maison nigérians dans leur appartement pendant quatre mois lors du confinement. Le couple a été dénoncé par un habitant à la police qui les arrêtés, a rapporté le journal nigérian The Punch. Ils n'ont toutefois pas encore été reconnus coupables d'avoir commis un crime, ce qui est courant dans ces cas-là. 

Un mois plus tard, en août 2020, Inner Galaxy Steel Co, dans l'État d'Abia, au sud-est du Nigéria, a été décrit dans une série de tweets comme « un camp chinois d'esclaves des temps modernes, à l'intérieur même du Nigéria », par quelqu'un affirmant en avoir été témoin et postant avec le compte Twitter @truthfully83. Ce dernier a également fait état de racisme et d'agressions sexuelles à l'encontre du personnel nigérian de la part des managers chinois : « Tous les Nigérians de cette société sont tenus d'appeler leurs employeurs chinois MAÎTRE ou MAÎTRESSE […] Les hommes sont agressés physiquement, tandis que leurs consœurs sont agressées sexuellement. Les maîtres chinois se vanteront de vous tuer et de s'en tirer ». 

Cette affaire n'a abouti à rien. @truthfully83 a déclaré que soit un « atterrissage en douceur » a été négocié pour la société « en échange de pots-de-vin », soit « d'autres suivent simplement les instructions de certains milieux pour éviter une réaction brutale du gouvernement chinois. » Les avocats de la société Inner Galaxy ont rejeté ces allégations qu'ils ont présentées comme des attaques « fausses, non fondées, dommageables et incroyables » envers l'entreprise. 

Dynamique du pouvoir entre la Chine et le Nigéria

Une boutique chinoise sur l'île de Lagos, au Nigéria. Image de Kaizen photography via Wikimedia Commons, 27 mars 2016.

La Loi nigériane sur le travail et la Loi sur l'indemnisation des employés de 2010 protègent les salaires, garantissent une indemnisation adéquate et criminalisent le travail forcé et toute forme de discrimination, avec des sanctions spécifiques lorsque les infractions sont établies par une décision de justice. 

L'incapacité à appliquer ces lois aux migrants chinois itinérants qui font des affaires au Nigéria « met en lumière la faiblesse et la non-application du droit du travail que l'on trouve dans de nombreux pays africains », écrit Socrates Mbamalu, un journaliste nigérian. Par conséquent, « la responsabilité première de protéger les droits des travailleurs incombe au gouvernement fédéral et aux autorités des états qui doivent faire respecter les codes du travail », a déclaré à The African Report Eric Olander, rédacteur en chef du China Africa Project.

Les infractions au droit du travail commises par les entreprises chinoises dans le pays sont susceptibles de se poursuivre car, entre autres, la corruption par les Chinois des agents chargés de faire appliquer la loi nigériane est monnaie courante. En outre, le gouvernement nigérian semble préférer se murer dans le silence, afin de ne pas compromettre les intérêts chinois dans le pays, malgré l'attention médiatique portée à ces questions. 

« La Chine est un important bailleur de fonds pour les grands projets au Nigéria. On estime à 47 milliards de dollars le coût actuel des projets chinois. Nombre d'entre eux sont financés par des prêts chinois. Il sera difficile pour un pays qui dépend autant de la Chine de prendre des mesures contre Pékin », affirme Abdul-Gafar Tobi Oshodi, politologue à l'université de Lagos, au Nigéria. C'est la raison pour laquelle l'admonestation de Wang Yi, ministre chinois des affaires étrangères, aux entreprises chinoises pour qu'elles respectent le droit du travail nigérian a eu peu d'impact. 

Oreva Olakpe, chercheuse à la Canada Excellence Research Chair (CERC) de l'Université Ryerson sur la migration et l'intégration, affirme que « la diplomatie chinoise prône des idéaux de mutualisme, d'égalité et de respect…  La forte dépendance du Nigéria à l'égard de la Chine signifie qu'il n'a pas grande latitude quant aux initiatives à prendre dans le cadre des relations avec la Chine ». Les abus commis par les entreprises chinoises au Nigéria continueront tant que la dynamique du pouvoir entre les deux pays ne sera pas réciproque dans les faits.

Cet article fait partie d'une enquête de l'Observatoire civique des médias portant sur les récits concurrents concernant l'initiative chinoise Belt and Road et explore la manière dont les sociétés et les communautés ont des perceptions différentes des avantages et des inconvénients potentiels du développement mené par la Chine. Pour en savoir plus sur ce projet et ses méthodes, cliquez ici.

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