Dans la soirée du dimanche 21 août 2022, au Pakistan, les utilisateurs de YouTube ont signalé des perturbations du service dans tout le pays. Ce soir-là, le rassemblement politique d’Imran Khan à Rawalpindi, dans le Pendjab, devait être retransmis en direct sur la plateforme. Ancien Premier ministre et président du parti Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), Imran Khan a été démis de ses fonctions en début d’année par une motion de censure votée au Parlement et orchestrée par le parti d’opposition Alliance démocratique pakistanaise. Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, la popularité de Khan s’est accrue grâce à son discours anticorruption, ainsi qu’à son opposition à la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis et ses positions apparemment antiaméricaines. Ses partisans, en grande partie anti-establishment, ont ouvertement condamné le gouvernement en place après son éviction.
Le PTI a pris le pouvoir lors des élections de 2013 dans la province de Khyber Pakhtunkhawa (KP), puis y a été réélu avec une majorité en 2018, ce qui a permis à Imran Khan de devenir Premier ministre. Durant les décennies qui avaient précédé, le Pakistan avait été gouverné en alternance par les militaires et les deux principaux partis politiques, le Parti du peuple pakistanais (PPP) et la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N). Ainsi, pour la première fois dans l’histoire du Pakistan, un parti politique non fondé sur une dynastie familiale accédait au pouvoir.
Le soir du rassemblement, NetBlocks, un observateur en ligne travaillant à l’intersection des droits numériques, de la cybersécurité et de la gouvernance de l’Internet, confirmait le blocage :
⚠️ Confirmé : Les mesures corroborent les rapports faisant état d'une perturbation de YouTube au Pakistan sur plusieurs fournisseurs d'accès à Internet ; l'incident survient alors que l'ancien Premier ministre Imran Khan diffuse des émissions en direct sur la plateforme malgré l'interdiction de l'autorité de régulation des médias PEMRA
📰 Rapport: https://t.co/mFBehYjlnY pic.twitter.com/CtD8vYX8f6
— NetBlocks (@netblocks)21 août 2022
Le 22 août, Netblocks nous informait à nouveau des problèmes d’accès à Internet dont était victime le Pakistan pour la deuxième fois en 24 heures :
⚠️ Confirmé : #Le Pakistan est à nouveau victime d'une panne d'Internet à l'échelle nationale, la deuxième en 24 heures ; l'incident touche plusieurs fournisseurs, dont PTCL, et les données du réseau en temps réel montrent que la connectivité est à 38 % des niveaux ordinaires 📉
📰 Précédemment : https://t.co/mFBehYjlnY pic.twitter.com/ytORvYcP9o
— NetBlocks (@netblocks) 23 août 2022
Ce n’est pas la première fois qu’Internet, ou une plateforme spécifique est mis hors service au Pakistan. En avril de cette année, Internet avait déjà été coupé dans tout le pays lorsque Imran Khan avait tenu un rassemblement politique après son éviction du pouvoir. Pendant le mois de Mouharram, au cours duquel un grand nombre de processions ont traditionnellement lieu à travers tout le pays, Internet et les services mobiles ont aussi été bloqués pour des raisons sécuritaires. En 2012 enfin, YouTube avait été interdit au Pakistan après la mise en ligne d’un film dont le contenu était considéré comme blasphématoire, mais l’interdiction avait été levée trois ans plus tard, après que YouTube eut été placé sous juridiction locale, permettant aux autorités de retirer du contenu de la plateforme à leur gré.
Dès que les gens ont constaté qu’ils ne pouvaient pas accéder en direct au rassemblement du PTI le 21 août, ils s’en sont plaints sur les réseaux sociaux.
Usama Khilji, militant des droits numériques, a également condamné cette situation :
L'organisme indépendant de surveillance de l'Internet @netblocks confirme la perturbation des services de @YouTube au Pakistan pendant le discours d'Imran Khan
C'est une censure arbitraire scandaleuse que @PTAofficialpk @GovtofPakistan doit expliquer. Aucune loi ne permet la censure politique des plateformes en ligne @SalmanSufi7 https://t.co/bVHF6Z8Y0X
— Usama Khilji (@UsamaKhilji) 21 août 2022
Les hashtags #UseVPN et #YouTubeDOWN ont fait le tour des réseaux sociaux lorsque les gens n’ont pas pu regarder le rassemblement en direct.
Pour Erum Zaeem, journaliste, il s’agit là de la pire forme de censure :
#YouTubeDOWN @YouTube au Pakistan est coupé
Juste pour empêcher le visionnage et la couverture en direct de Jalsa animée par le Président @PTIofficial @ImranKhanPTI à #RawalpindiNous sommes en 2022
Les Pakistanais sont confrontés à la pire forme de censure des médias et à l'interdiction de la liberté d'expression#PDM Voyous, votre temps est fini pic.twitter.com/p0yVKn0zW7— Erum Zaeem (@ErummZaeem) 21 août 2022
N'osez pas entrer dans Bani Gala, nous allons marcher vers toutes les maisons des politiciens.#banigala#martiallaw#usevpn#PakistanUnderFascism#ImranKhan#ImranKhanForPakistan#PTIRawalpindiJalsa
#عمران_خان_ہماری_ریڈ_لائن pic.twitter.com/yp7zUxYCct— Abdul Manan (@Abdul_Manan998) 21 août 2022
Après le rassemblement, Imran Khan a vivement critiqué le gouvernement pour avoir temporairement interrompu YouTube et bloqué l’accès à son discours :
Le gouvernement fasciste importé est tombé plus bas que jamais aujourd'hui en interdisant la couverture en direct de mes discours à la télévision et en bloquant temporairement YouTube pendant mon discours à Liaquat Bagh. Tout cela après l'intimidation continue des journalistes et le retrait des chaînes de télévision.
— Imran Khan (@ImranKhanPTI) 21 août 2022
Il s'agit non seulement d'une violation flagrante de la liberté d'expression, mais aussi d'un impact négatif sur l'industrie des médias numériques et sur les moyens de subsistance de nombreuses personnes. Ce qu'ils doivent comprendre, c'est que quoi qu'ils fassent, ils ne peuvent pas supprimer la volonté du peuple, qui est Haqeeqi Azadi.
— Imran Khan (@ImranKhanPTI) 21 août 2022
Ces perturbations ont eu lieu juste après que l’Autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques (PEMRA) a interdit la diffusion des discours en direct de M. Khan sur toutes les chaînes de télévision par satellite. La veille du rassemblement, Imran Khan avait menacé le PTI de porter plainte contre les dirigeants des partis rivaux, l’Inspecteur général de la police d’Islamabad et le Juge de district et de session supplémentaire, Zeba Chaudhry. Après l’interdiction, le PTI avait invité ses partisans à regarder le discours d'Imran Khan sur YouTube :
Les fascistes importés tentent d'interdire les discours d'Imran Khan à la télévision. Veuillez vous abonner à notre chaîne YouTube à l'adresse : https://t.co/pzk3rQp3du
Ils ont complètement perdu la bataille et utilisent maintenant le fascisme ; ils vont échouer ! #SauverlePakistan en élevant votre voix contre les fascistes ! #WeCantBreathe pic.twitter.com/ozC8Nu7FvB
— PTI (@PTIofficial) 20 août 2022
L’interdiction de la PEMRA a été vivement critiquée, notamment par l’activiste Usama Khilji sur Twitter :
Il est important de noter que les ordres de @reportpemra ne s'appliquent pas aux plateformes Web, notamment YouTube.
Il s'agit d'une censure politique arbitraire de la part de la @PTAofficialpk qui est le régulateur de l'Internet. Cela n'entre pas dans le cadre des pouvoirs de la PTA de censurer le contenu en vertu de la section 37 de la PECA, car
(1)— Usama Khilji (@UsamaKhilji) 21 août 2022
1. Les lois relatives aux réseaux sociaux (en vertu de l'article 37 de la PECA) sont en attente de révision par le Parlement sur ordre de la Haute Cour d'Islamabad, le 11 mai 2022.
2. Les lois (inconstitutionnelles) introduites par le gouvernement du PTI exigent que les plateformes retardent les diffusions en direct sur ses instructions, mais ce système n'est pas en place.
(2)— Usama Khilji (@UsamaKhilji) 21 août 2022
3. Ces lois ne stipulent pas le blocage de toute la plateforme en cas de poursuite du direct.
4. Les lois stipulent que même en cas d’urgence, la plateforme de réseaux sociaux dispose de 12 heures pour se conformer.
5. YouTube n’est pas une plateforme de réseaux sociaux, mais une plateforme de diffusion en continu de vidéos. (3)— Usama Khilji (@UsamaKhilji) 21 août 2022
@PTAofficialpk est responsable de savoir en vertu de quelle loi YouTube a été bloqué, et les rapports indiquent qu'il était fonctionnel sur certains FAI et pas sur d'autres.
CC: @SalmanSufi7 @Marriyum_A @ShazaFK @PTAofficialpk @reportpemra @CMShehbaz @ShaziaAttaMarri @afnanullahkh @RubinakhalidPPP
— Usama Khilji (@UsamaKhilji) 21 août 2022
En 2015, les discours et les photos du chef du Muttahida Qaumi Movement (MQM), Altaf Hussain, avaient déjà été interdits par la Haute Cour de Lahore pour ses propos « anti-armée ». En 2020, la PEMRA avait également interdit les discours incendiaires de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif à Londres contre le gouvernement PTI, le pouvoir judiciaire et l’armée. C’est la première fois en revanche que le discours d'Imran Khan est interdit à la télévision et bloqué sur YouTube.
Il s’agit d'une violation flagrante de la liberté d’expression et du droit à l’information en vertu des articles 19 et 19(a) de la Constitution pakistanaise ; mais, au fil des ans, la situation s’est détériorée et les gens ne peuvent plus s'exprimer sans craindre de subir des sanctions.