Début d'une nouvelle ère pour Twitter : est-il temps pour les acteurs de la société civile de trouver une autre plateforme?

Source de l'image : Celtikipooh. Attribution-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-ND 2.0) 

Le fait qu'Elon Musk, l'homme le plus riche du monde, ait racheté Twitter et introduit toute une  série de changements sur la manière dont la plateforme fonctionne n'est plus un scoop pour personne. Le changement le plus commenté est sans doute l’introduction d'un abonnement de 8 dollars par mois en échange d'un compte vérifié. L'entreprise a licencié de nombreux salariés, parmi lesquels des cadres supérieurs. Au moment de la rédaction de cet article, le renvoi de  toute l'équipe en charge des droits humains a aussi été annoncé! Tandis que tout ce remaniement suscite des débats autour de la politique technologique, je me demande souvent quelles seront les conséquences pour nous tous.

Lorsque je parle de « nous », je veux dire tous ceux et celles dont le travail dans les domaines de la gouvernance, des droits humains et de la justice sociale est absolument essentiel, et qui n'ont plus besoin de compter uniquement sur les outils de communication traditionnels (lesquels sont fortement réglementés) pour pouvoir partager leur travail ou atteindre leur audience; et tous ceux et celles qui ont trouvé une voix et une audience grâce à Twitter ou à d'autres réseaux sociaux similaires.

Twitter donne le sentiment d'appartenir à une communauté de différentes manières. De nombreuses communautés marginalisées ont découvert en Twitter un endroit sûr où se mobiliser et exister. Grâce à la plateforme, des citoyens et acteurs de la société civile victimes de répression ont pu s'exprimer et demander des comptes à leurs gouvernements respectifs. Elon Musk lui-même a décrit Twitter comme un espace publique numérique. En résumé, la plateforme est devenue si populaire qu'il est impossible de lui donner une définition unique et objective. Aujourd'hui, Twitter ne se limite plus à une simple guerre idéologique entre libéraux et conservateurs symbolisée par les désaccords politiques entre les Démocrates et les Républicains aux États-Unis. Le reste du monde joue maintenant un rôle essentiel dans la manière dont la plateforme fonctionne.

Ces dernières années, Twitter a été  vivement critiquée (à juste titre) pour ne pas prendre assez de mesures afin de lutter contre la désinformation, les fausses informations, et autres préjudices qui circulent sur la plateforme. Selon de nombreux critiques africains, les efforts engagés pour remédier à ces problèmes sont très insuffisants lors d'élections et lors d'autres évènements durant lesquels la désinformation et le harcèlement en ligne sont souvent en nette augmentation. L'autre problème évoqué est le manque de visibilité de Twitter sur le continent africain : l'entreprise n'a ouvert son premier bureau en Afrique que récemment et la majorité du personnel a déjà été renvoyée. Certains disent même que Twitter aurait fait semblant de miser sur l'intégration dans la composition de ses équipes, estimant que le manque de compréhension des contextes locaux paralyse les efforts déployés pour modérer le contenu de la plateforme d'un point de vue non occidental.

Le souhait d'Elon Musk d'acheter Twitter a aussitôt déclenché des débats autour de son implication pour certains sujets d'actualité telles que la liberté d'expression. Twitter ne signifie pas la même chose pour tout le monde. Pour certains, la plateforme représente un moyen de rester en contact avec ses amis et de faire des blagues alors que d'autres l'utilisent pour promouvoir leurs entreprises et activités. Pour les investisseurs, Twitter est synonyme de business. Pour d'autres encore, elle est une source d'information et un moyen de communication alors que pour ceux qui comme nous oeuvrent pour les droits numériques, Twitter est considérée comme la plateforme où la démocratisation de l'information est la mieux représentée.

Le rachat de Twitter est une opération financière qui profite à la fois au vendeur et à l'acheteur. Les belles paroles d'Elon musk comme quoi Twitter continuerait à être une tribune de libre expression ou à promouvoir la démocratie n'ont pas figuré en tête des négociations qui ont conduit à sa vente.

Bien qu'Elon Musk ait déclaré acheter la plateforme dans le but de préserver la liberté d'expression, il n'a pas fallu longtemps avant de constater que ses intentions ont toujours été purement financières. Il pense avoir trop payé pour Twitter et a hâte de récupérer ses fonds, outre le fait qu'il doit maintenant rembourser un emprunt de près de 13 milliards de dollars pour son achat. Bien que Musk n'ait pas agi par idéologie, sa décision de racheter Twitter comporte indiscutablement des implications idéologiques. La stratégie commerciale d'Elon Musk et ses penchants idéologiques nous affecteront tous de manière significative.

Le problème n'est pas seulement la forte probabilité d'un abonnement de 8 dollars par mois pour continuer à bénéficier du badge bleu de certification de nos comptes et de ceux de nos organisations; mais, suite aux récents et sans doute prochains licenciements, notamment de l'équipe en charge des droits humains, nous devons aussi faire face au désintéressement de Twitter de supprimer tout contenu préjudiciable publié sur la plateforme et de lutter contre la désinformation et les fausses informations. Et Twitter avait soi-disant été rachetée dans le but de garantir la liberté d'expression!

Aussi, il est difficile de séparer les points de vue idéologiques de Musk de la forme ou de la direction que Twitter va prendre dans les prochaines années. Les penchants idéologiques socialistes de Jack Dorsey ont en grande partie façonné le Twitter que nous connaissons tous aujourd'hui. Les récents choix politiques d'Elon Musk qui, à la veille des élections de mi-mandat aux États-Unis, a appelé les Américains à voter républicain,  contredisent sa prétendue neutralité. Ce n'est pas un hasard si la droite était ravie du rachat de Twitter par Elon Musk. La plateforme va sans aucun doute d'ici peu adopter une nouvelle position idéologique, chose que je ne juge ni bonne ni mauvaise ; c'est ainsi.

Toutefois, il est préoccupant de constater que les changements proposés jusque là par Elon Musk reflètent un manque de priorité quant aux questions fondamentales qui nous concernent tous telles que la sécurité, la désinformation, la manipulation des électeurs, ou encore les violences en ligne sur Twitter. Elon Musk a licencié un bon nombre de ses employés les plus qualifiés et compétents, et notamment la totalité de l'équipe en charge des droits humains! La quasi-totalité des salariés de l'unique bureau de Twitter en Afrique ont été renvoyés alors que près de 10 pays africains se préparent à des élections prévues pour 2023. Récemment, dans une étude d'évaluation concernant les élections présidentielles qui viennent d'avoir lieu au Kenya , la Fondation Mozilla a jugé insuffisante la performance des principaux réseaux sociaux, dont Twitter. Le rapport met en évidence le manque d'avis et d'avertissements sur le contenu de la plateforme dans sa lutte contre la désinformation, alors que les publicités à caractère politique ont intensifié la propagande. À cet effet, les plateformes doivent faire davantage d'efforts.

Quant à l'avenir de Twitter, nous nous devons de relancer le débat sur les pouvoirs considérables que nous avons donnés aux réseaux sociaux et sur la trop grande dépendance que la plateforme exerce sur ceux travaillant dans les domaines de la justice sociale, de la gouvernance, des droits humains, et de la démocratie. Nous devrons choisir entre soit accepter son nouveau patron, soit quitter cette plateforme que nous avons adopté au fil des années. Nous devrions peut-être en trouver une autre ? Nous pouvons heureusement envisager d'autres options comme de rester et d'aider à façonner le nouveau Twitter. Ce serait peut-être judicieux. Suite aux craintes exprimées par des associations civiles, Elon musk a maintenant promis de restaurer les outils de modération qu'il avait désactivés au début de sa prise de pouvoir. Nous devons nous mobiliser, exprimer nos inquiétudes et nouer le dialogue avec le nouveau dirigeant de Twitter avant d'envisager d'autres options.

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