Dans le sud de la France, une chaîne de télévision privée fait preuve d'activisme linguistique en diffusant du contenu en occitan pour tout public et tout âge, que ce soit par l'intermédiaire des médias traditionnels ou des réseaux sociaux.
Pour les langues indigènes ou minoritaires, la présence en ligne est souvent un élément clé qui détermine leur survie au delà du 21e siècle, étant donné que sur les 7 000 langues parlées aujourd'hui dans le monde, la moitié sont menacées. De plus une langue disparaît toutes les quinze jours environ avec la mort du dernier locuteur.
Bien qu'étant multilingue depuis le début de son histoire, la France a imposé une politique monolingue dans l'éducation et dans la société dès la fin du XIXe siècle. Elle a ainsi réussi à presque éradiquer sa diversité linguistique de plus de 20 langues. Aujourd'hui, il y a un renouveau des langues non françaises – officiellement appelées langues régionales – dont l'une est l’ occitan ou langue d'oc et traditionnellement parlée dans le sud de la France.
Aujourd'hui, le nombre estimé de locuteurs d'occitan varie entre 300 000 et près d'un million de personnes. L'occitan retrouve aussi sa présence dans l'espace public, y compris dans les médias. Un acteur clé du paysage médiatique occitanophone est la chaîne de télévision privée ÒCtele qui diffuse uniquement en occitan depuis 2013.
Pour en savoir plus, lisez Press Freedom also means media in indigenous languages: The case of France's Occitan
Guillaume Saint-Cricq, qui est assistant de production à ÒCtele, a bien voulu répondre par email aux questions de Global Voices pour nous en dire plus sur le public occitanophone et sur l'avenir de cette langue dans les médias.
Filip Noubel (FN) Comment est née l'idée d'une chaîne de télévision privée diffusant en langues régionales, comme on les appelle en France ? ÒCtele bénéficie-t-il d'un soutien de l'État français ?
Guillaume Saint-Cricq (GSC) L’offre audiovisuelle en langues régionales a toujours été trop peu pourvue. Un constat partagé par Lionel Buannic, le directeur d’ÒCtele.
Lionel Buannic a été journaliste et notamment rédacteur en chef de TV Breizh de 2000 à 2005. Bretonnant et attaché à la culture régionale, il fonde LBgroupe et crée la webTV Brezhoweb en décembre 2006. Ce modèle de webTV et de diffusion de programmes en ligne est novateur à l’époque, Youtube à l’époque a moins de 2 ans. Le pari de lancer une chaîne de télévision sur internet et entièrement en Breton est assez osé.
La jeune société de production et chaîne de télévision grandit et en 2013, LB groupe inaugure sa deuxième chaîne : ÒCtele, en langue occitane cette fois-ci. À l’initiative de cette ouverture, des collectivités territoriales et notamment la Région Nouvelle-Aquitaine et le département des Pyrénées-Atlantiques qui cherchaient un opérateur pour produire et diffuser des émissions en occitan. Depuis 2022, une troisième chaîne existe, Galoweb, cette fois-ci en gallo, une langue d’oïl de la Haute-Bretagne.
La coopération avec les partenaires publics est importante et nécessaire car les chaînes en langues régionales ne peuvent se financer uniquement par des revenus publicitaires. L’audience générée n’est pas assez importante en témoigne TV Breizh qui a dû abandonner sa programmation en breton pour survivre. L’enjeu est également de permettre à une filière audiovisuelle en langue régionale de se développer avec à terme une offre médiatique plus élargie.
Notre modèle économique est donc assez différent d’une chaîne de télévision classique et ne repose pas uniquement sur des aides publiques, une partie des revenus du groupe provient également de la production de contenus audiovisuels à destination de collectivités et d’entreprises.
FN : Qui est votre public et comment évolue-t-il ? Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans votre stratégie d'engagement ? Quels sont les programmes les plus suivis ?
GSC: En tant que chaîne généraliste, notre audience est assez variée. Nous proposons des programmes pour tous les âges : pour les plus petits avec des comptines, des dessins animés pour les enfants, mais aussi des reportages et des entretiens pour ceux intéressés par des sujets de société. Nous avons également des programmes de fiction et de divertissement. Le but est de proposer n’importe quel contenu qu’on pourrait retrouver sur une chaîne « classique » mais en langue occitane.
Nous souhaitons développer notre audience et l’ouvrir à des non-locuteurs grâce à sous-titres en français notamment. De plus, d’ici la fin de l’année une nouvelle émission sera en ligne avec des cours d’occitan pour apprendre les bases.
Cette ouverture fait partie de la stratégie de socialisation et de normalisation de la langue pour sortir l’occitan de la sphère privée et l’imposer dans le domaine public comme une langue acceptable et un choix possible. Notre présence sur les réseaux sociaux en est un autre exemple en plus d’être une obligation pour notre communication et notre notoriété. Il est indispensable d’être sur les réseaux sociaux de nos jours, encore plus quand notre audience est répartie sur un territoire aussi varié et vaste qu’est l’Occitanie culturelle. La communication numérique est tellement importante qu’une baisse de notre présence sur les réseaux se répercute directement sur notre audience.
Les programmes les plus regardées sont généralement ceux qui traitent des sujets locaux comme notre émission Eveniments ou les programmes culturels comme Lo petit bal occitan ou A taula !. Les fictions (Lo rei que s’escon, Lo Jaç) et les entretiens (L'Emparaulada, Cara & Cara) sont aussi assez appréciés.
FN : Comment sont formé.es vos journalistes ? Existe-t-il en France des cursus pour les journalistes travaillant en langues régionales?
GSC: Il y a très peu de formation en langues régionales en France et essentiellement des filières littéraires ou d’enseignement. La professionnalisation peut être compliquée car à la maîtrise de la langue doivent s’ajouter les compétences techniques (montage, cadrage, écriture, production, réalisation etc.) et il n’existe pas de filière qui permette de réunir les deux.
Une partie des journalistes et salariés a eu la chance d’apprendre l’occitan soit dans sa famille soit durant sa scolarité et a pu faire des études dans un domaine sans occitan. Mais cette situation n’est pas la norme et il faut aussi s’appuyer sur des personnes ayant moins de connaissances et d’aisances en occitan cependant compétentes dans des domaines essentiels pour la production audiovisuelle.
Une des solutions est de recruter des personnes avec au minimum un intérêt pour l’occitan et de leur permettre d’apprendre la langue durant des formations professionnelles. Il faut voir cela au même titre qu’une formation que peut suivre un salarié pour se perfectionner ou gagner en compétence.
FN: Comment voyez-vous évoluer la législation autour des langues régionales en France ?
GSC: Il y a un regain d’intérêt des Français pour l’occitan comme le montre l’enquête sociolinguistique 2020 de l’OPLO et le soutien des collectivités territoriales pour l’occitan est aussi un bon signe. Mais le nombre de locuteurs et la présence de l’occitan est encore trop faible pour assurer une transmission naturelle. Après les initiatives et les actions des associations et des militants, il est important que l’État propose une politique d’enseignement de l’occitan à plus grande échelle et à tous les niveaux, notamment dans le supérieur.
Malheureusement il reste des blocages comme en témoigne la censure par le Conseil Constitutionnel de la loi Molac qui devait permettre une avancée en développant l’enseignement immersif au primaire.
Cependant on peut noter une amélioration et rester confiant quand on voit les collectivités territoriales donner de plus en plus d’importance aux politiques linguistiques et apporter une meilleure reconnaissance aux langues régionales.
Pour en savoir plus, lisez Reconnaissance des langues régionales: les pirouettes du gouvernement français
Voici le compte Instagram d'ÒCtele:
View this post on Instagram