Zimbabwé : les survivants du génocide de « Gukurahundi » luttent en faveur de leur reconnaissance 

Illustration de Rex Opara sur Minority Africa, utilisée avec permission.

Cet article a été initialement publié par Minority Africa. Une version abrégée est reprise sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

[Sauf d'indication contraire, tous les liens mènent vers des sites en anglais]

Alors que le mandat de 10 ans de la Commission nationale pour la paix et la réconciliation (NPRC) au Zimbabwe, dont le but est d'apporter la paix et la réhabilitation aux survivants et aux familles des victimes des atrocités passées, touche à sa fin, un sentiment omniprésent de désillusion envahit ceux qui avaient placé leurs espoirs dans ce processus.

La commission, créée en 2013 dans le cadre d'une nouvelle constitution, a été initialement saluée comme une lueur d'espoir, promettant la vérité et la fermeture pour les victimes et leurs familles, mais nombreux sont ceux qui estiment qu'elle n'a pas tenu cette promesse.

« Pour moi, le NPRC n'est qu'un cirque », a déclaré Duncan Maseko, 51 ans, à Minority Africa. Son père faisait partie des victimes enlevées il y a 30 ans. «Mon seul souhait est d'avoir des informations complètes sur les restes de nos proches ».

Génocide de Gukurahundi

Au début des années 1980, le Zimbabwe a été témoin d'un conflit armé brutal résultant de tensions politiques entre le ZANU-PF [fr] et le PF-ZAPU [fr], deux anciens mouvements de libération dirigés respectivement par Robert Mugabe [fr] et Joshua Nkomo [fr] . Le gouvernement, sous la direction du Premier ministre Mugabe, a déployé une unité militaire spécialisée connue sous le nom de Cinquième Brigade dans les régions occidentales du pays – bastions de l’opposition ZANU-PF . Cela a abouti à un génocide dévastateur entre 1982 et 1987, connu sous le nom de Gukurahundi [fr] (un terme en langue shona [fr] signifiant au sens large « la première pluie qui emporte l'ivraie avant les pluies de printemps »). Plus de 20 000 personnes ont été tuées et nombre d’entre elles ont subi d’horribles atrocités, notamment des enlèvements, des actes de torture et des viols.

Le père de Maseko, Sam, était un ancien de l‘Armée révolutionnaire populaire du Zimbabwe (ZIPRA), combattant pendant la lutte armée qui a abouti à l'indépendance du Zimbabwe en 1980. Il a été enlevé à son domicile à Bulawayo, la deuxième plus grande ville du pays, le 11 février 1984 , par des agents de la sécurité de l'État et, comme des milliers d'autres, n'a jamais été revu par ses proches.

La plupart des personnes ainsi arrêtées se sont retrouvées à Bhalagwe, un camp de détention de style nazi situé à 100 km au sud de Bulawayo, où elles ont été horriblement torturées, nombre d'entre elles jusqu'à la mort.

Au moment où une paix froide [fr] a été trouvée  grâce à un Accord pour l'unité déséquilibré de décembre 1987, un véritable génocide avait eu lieu contre la minorité tribale Ndebele [fr].

Le combat pour sa fermeture

Depuis la signature de l’Accord d’unité, les efforts déployés par les survivants et les familles des victimes du génocide de Gukurahundi pour obtenir une clôture se sont heurtés à la résistance des gouvernements successifs du Zimbabwe pendant plus de trois décennies.

L'ancien président Robert Mugabe a reconnu ces atrocités comme un « moment de folie », mais a résisté aux appels en faveur d'une commission-vérité et réconciliation [fr] similaire à celle de l'Afrique du Sud post-apartheid. Le président Emmerson Mnangagwa, accusé d'être impliqué dans les atrocités, a tenu des réunions consultatives, mais les soupçons quant à l'engagement du gouvernement ont persisté, notamment en raison de tentatives d'exhumation de charniers sans que les responsabilités soient pleinement rendues. Des membres des  familles de victimes et des groupes de défense des droits humains ont accusé le gouvernement de tenter d'empêcher une comptabilité historique plus approfondie du génocide.

Des organisations comme Ibhetshu LikaZulu, qui a fait ériger trois plaques commémoratives pour les victimes de Gukurahundi à Bhalagwe, détruites par des agents de sécurité présumés, s'opposent avec véhémence à toute implication du gouvernement dans le processus de guérison.

Dans un communiqué, le coordinateur du groupe, Mbuso Fuzwayo, a déclaré : « En aucune circonstance, il ne devrait y avoir d’exhumations et de réinhumations contrôlées par le gouvernement des victimes du génocide de Gukurahundi. »

NPRC : Une promesse non tenue

Le NPRC, bien qu'initialement considéré comme une lueur d’espoir, a connu des difficultés tout au long de son existence en raison d’un manque de ressources et de volonté politique. Sa création a été longue et controversée, et elle n’a fonctionné que cinq ans sur les dix années prévues. En 2019, Concilia Chinanzvavana, un député de l'opposition, a demandé à la Haute Cour de Harare de prolonger la durée du NPRC jusqu'en 2028 afin de récupérer les cinq années perdues avant son instauration. Cependant, le gouvernement a fait appel devant la Cour suprême et a obtenu l'annulation du jugement, comme le rapporte l'Annuaire africain des droits de l'homme.

La décision de la Cour suprême de ne pas prolonger le mandat du NPRC a laissé les survivants désillusionnés, affirmant que pratiquement rien n’a été réalisé en termes de guérison et de réhabilitation des victimes de Gukurahundi et d’autres brutalités politiques.

L'incapacité du NPRC à mettre un terme à l'oubli des victimes de Gukurahundi reflète un problème plus large de manque de volonté politique et de reconnaissance des atrocités passées au Zimbabwe. Les survivants et les défenseurs des droits humains appellent à une intervention et à une enquête internationales pour remédier aux injustices historiques et ouvrir la voie à une véritable guérison et réconciliation. Malgré les efforts locaux, la lutte pour la vérité, la justice et la réconciliation au Zimbabwe se poursuit, et les blessures du passé resteront ouvertes pour beaucoup.

En conclusion, comme le souligne le livre « Unspeakable Truths: Transitional Justice and the Challenge of Truth Commissions » (Des vérités indicibles : la justice transitionnelle et le défi des commissions-vérité) du professeur Priscilla Hayner, experte en justice transitionnelle, aucun pays au monde n'a jamais évolué sans que les injustices du passé n'aient été véritablement corrigées.

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