Antilles françaises : la chasse aux limicoles, une tradition tenace !

La barge hudsonienne fait partie des espèces chassées, et menacées, dans les Antilles françaises. Photo de Tom Benson sur Flickr, CC BY-NC-ND 2.0.

[Sauf indication contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt].

Malgré l'évolution de la société, certaines coutumes sont tenaces. Héritée de l'époque coloniale, la chasse aux oiseaux de rivage, ou limicoles, est toujours pratiquée dans les îles françaises [fr] de la Martinique et de la Guadeloupe, ainsi que, dans une moindre mesure, à la Barbade, une île anglophone à l'est des Antilles. En Amérique du Sud, cette activité est surtout présente en Guyane française et au Suriname.

Les oiseaux de rivage [fr] ont des tailles et des silhouettes très différentes en fonction des espèces : certains sont imposants, comme le majestueux courlis courlieu ou l’échasse d'Amérique, reconnaissable par ses longues pattes, et d'autres sont plus petits, comme le bécasseau minuscule ou l’élégant bécasseau à échasses [fr]. La plupart d'entre eux sont des voyageurs au long cours, une spécificité qui les rend extraordinaires. Grâce à leur profil aérodynamique, certaines espèces peuvent parcourir plus de 5 000 kilomètres sans s'arrêter. En automne, lors de la migration, de nombreux oiseaux effectuent une halte dans les zones humides et le long du littoral antillais pour se reposer et reconstituer leurs réserves. Ils s'abritent dans les zones humides qui servent de refuge à certaines espèces pendant la période hivernale. Toutefois, des milliers de spécimens y sont chassés à des fins récréatives.

Pour de nombreux migrateurs, le voyage se termine dans les Antilles françaises. L'organisation non gouvernementale régionale BirdsCaribbean a partagé l'histoire tragique de Machi et Goshen, deux oiseaux suivis par satellite et abattus dans un marais en Guadeloupe alors qu'ils avaient réussi à éviter l’ouragan Maria lors de leur migration. Cet événement a éveillé les consciences des défenseurs de la nature à travers les Amériques.

Machi and Goshen were two Whimbrels fitted with satellite tracking tags by scientists at the Center for Conservation Biology. We learned that these two sturdy birds took detours around the violent tropical storms of 2011 and made their way further south through the eastern Caribbean. Machi, in particular, had taken some extraordinary trips in his lifetime, clocking many thousands of miles since he was first tagged in 2009. But in 2011 – just ten years ago now – a sad fate awaited them. News broke that Machi had been shot by hunters at a swamp in Guadeloupe. The news of Goshen’s death, in the same area, swiftly followed. They had weathered the storms, only to end their lives at the barrel of a gun.

Machi et Goshen, deux courlis corlieu, avaient été équipés de balises satellitaires par les scientifiques du Centre for Conservation Biology (Centre pour la biologie et la conservation). Nous avons appris que ces deux oiseaux en bonne santé avaient réussi à éviter les violentes tempêtes tropicales de 2011 et à poursuivre leur route vers le sud en passant par l'est des Antilles. Au cours de sa vie, Machi a réalisé des voyages extraordinaires et a parcouru plusieurs milliers de kilomètres depuis 2009, année de son premier marquage. En 2011, il y a tout juste 10 ans, les deux oiseaux ont connu un destin tragique : Machi a été abattu par des chasseurs dans un marais en Guadeloupe et la mort de Goshen a été annoncée peu de temps après. Les deux courlis avaient affronté des tempêtes pour périr sous les balles des chasseurs.

À la suite de cet événement, plusieurs organisations, dont BirdsCarribbean, ont rapidement lancé une campagne épistolaire auprès des autorités françaises qui ont reçu des centaines de courriers demandant de durcir la réglementation de la chasse dans les Antilles françaises. En Guadeloupe, ces efforts ont porté leurs fruits puisque les restrictions ont été renforcées et le nombre de captures par espèce est dorénavant limité. Dans chaque territoire français d'outre-mer, les conditions d'exercice sont désormais réexaminées une fois par an pour être ajustées, puis un arrêté fixe les règles.

Cette année, des groupes de protection de la nature se sont mobilisés pour s'opposer aux arrêtés relatifs aux saisons de chasse 2020-2021 dans les îles françaises. Des scientifiques et des particuliers inquiets pour la population de barge hudsonienne, une espèce particulièrement menacée, ont envoyé plus de 1 000 courriers pour demander une suspension de la chasse de cette espèce en Guadeloupe. Ils ont également demandé un moratoire en Martinique sur dix espèces d'oiseaux de rivage et quatre espèces de passereaux en mauvais état de conservation. Un juge a partiellement répondu favorablement [fr] à ces demandes.

BirdsCaribbean a récemment publié une vidéo sous-titrée en anglais, en français et en espagnol, pour mettre en lumière ce problème. ATTENTION, certaines images peuvent choquantes.

Depuis les années 90, la situation des oiseaux de rivage et de leurs défenseurs s'est améliorée à la Barbade grâce au déclin de la chasse. L'île a conservé quelques zones humides naturelles et la plupart des marais aménagés autrefois par les chasseurs ont été fermés. Selon BirdsCaribbean, la jeunesse barbadienne ne semble pas intéressée par cette activité qui est également devenue couteuse. Une association de chasseurs de la Barbade, Barbados Wildfowlers Association, s'est également autodisciplinée en limitant le nombre de prises. En 2008, la première zone humide interdite à la chasse, à savoir le refuge de Woodbourne Shorebird, a vu le jour. Par ailleurs, des actions sont menées pour réhabiliter le marais de Graeme Hall afin de le transformer en sanctuaire naturel et de créer le premier parc national de l'île.

BirdsCaribbean demeure toutefois très préoccupée par la situation :

Here are two facts that are indisputable: Firstly, shorebirds are declining at an unprecedented rate. Taking the example of the Lesser Yellowlegs, its numbers have fallen by 60-70 percent since the 1970s!

Secondly, we believe that we can make a difference if conservationists and hunters work together to build a well-managed, sustainable hunting program. Historically, hunters have played an important role in conservation; for example, the nonprofit Ducks Unlimited has worked with landowners and federal and state agencies to conserve, restore, and manage millions of hectares of wetland habitats for ducks, other wildlife, and people. The dialogue among all stakeholders must continue. We all know that regulations and monitoring are essential, going forward, or the steady decline in shorebirds, most of which are migratory, will continue with disastrous results. So, enforcement of the laws that already exist, and development of future ones, is vital.

Deux points sont indiscutables : premièrement, les populations de limicoles déclinent à un rythme sans précédent. Depuis les années 70, les effectifs de petit chevalier ont notamment chuté de 60 à 70 %.

Deuxièmement, nous sommes convaincus que les défenseurs de la nature et les chasseurs peuvent collaborer pour élaborer un plan de gestion cynégétique bien encadré et durable. Par le passé, les amateurs de chasse ont déjà joué un rôle important dans la conservation de la nature. L'association Ducks Unlimited a travaillé avec les propriétaires fonciers et les autorités régionales et nationales pour préserver, restaurer et gérer plusieurs millions d'hectares de zones humides utiles aux populations locales et abritant de nombreux animaux, dont plusieurs espèces de canards. Le dialogue doit être maintenu avec toutes les parties prenantes. Nous sommes conscients que l'encadrement et la surveillance devront se poursuivre pour éviter le déclin des populations de limicoles principalement composées d'espèces migratrices. Sans ces mesures, les conséquences pourraient être désastreuses. Il est donc essentiel de faire respecter les lois existantes et d'en adopter de nouvelles.

La dimension humaine est centrale pour préserver la nature. Dans les Antilles, les populations de limicoles, dont les effectifs diminuent rapidement, sont soumises à des pressions d'origine anthropique. Elles sont liées principalement au changement climatique, mais aussi à la pollution et à la destruction des habitats naturels causée par la création d'infrastructures sur le littoral, notamment pour le secteur touristique. Les enjeux liés à la chasse peuvent être résolus grâce à une plus grande coopération et à une évolution des comportements.

Avertissement : L'auteure est une ornithologue passionnée et la secrétaire de BirdsCaribbean.

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