Vol au-dessus de la blogosphère irakienne

La revue de blogs d’aujourd’hui est consacrée à la vie quotidienne en Irak. Partagez quelques moments de la vie quotidienne des blogueurs irakiens,découvrez quelle est la différence entre les garçons et les filles, et apprenez l’importance de la rue Mutanabbi…Mais tout d’abord, mes condoléances les plus sincères vont à Neurotic Wife [En], qui a perdu sa tante récemment. Elle est en deuil non seulement de sa parente mais de tous ceux qui ont perdu leur vie en Irak. Voici ses propres mots:

« Quand mon frère m’a annoncé que ma tante était décédée, voici quelques semaines, je n’ai rien dit pendant quelques secondes. Je devais contrôler toutes les émotions qui me submergeaient. Je ne voulais pas m’effondrer en sanglots au bureau. Je ne voulais pas montrer mes larmes à qui que ce soit. J’ai tout gardé au fond de moi, mais à l’instant où je suis rentrée dans ma chambre, quelques heures plus tard, j’ai tout laissé sortir. Toute ma tristesse, ma colère, mes frustrations. J’ai verrouillé la porte, je me suis cachée dans un coin, et j’ai pleuré. Pleuré comme je n’avais jamais pleuré avant. J’ai pleuré si fort que je me suis étouffée sur mes larme. Je suppose que je ne voulais pas que ça s’arrête avant que tout sorte.
« J’ai réalisé que cet endroit est malsain. Très malsain pour notre équilibre mental. Quoi que vous fassiez pour le cacher, quoi que vous fassiez pour prétendre que vous contrôlez la situation aussi bien que les autres gens, il arrive un moment où vous craquez. La mort de ma tante a été le déclencheur que mon cerveau attendait pour craquer. Mes mots, les mots que je tape sont vides. J’ai réalisé que je ne peux rien faire pour ramener ma tante à la vie. Il n’y a rien que je puisse faire pour faire revenir toutes les belles personnes qui ont perdu leur vie. Perdu leur vie à cause de l’Irak. Oui, ma tante a perdu la vie à cause de cet endroit. S’il y avait eu assez de bons médecins pour diagnostiquer le cancer, elle n’aurait pas fini ainsi. Si mon autre tante avait eu son vaccin contre la tuberculose, elle ne serait pas morte d’une maladie dont le traitement est disponible facilement dans le monde entier, sauf en Irak ! Si le mari de ma tante avait survécu à sa dépression, consécutive à ce qui s’est passé autour de lui durant la première guerre du golfe, il n’aurait pas choisi de renoncer. Oui, tous ceux que j’ai aimé, tout ceux que je chérissais, tous ceux qui m’ont donné de beaux souvenirs d’enfance dans cet endroit, ont disparu. Disparus par la faute de ce pays. Partis, à cause de l’Irak ».

Si vous ne lisez qu’un seul billet cette semaine, lisez celui-ci :
Les condoléances en Irak sont inévitablement assorties d’histoires morbides sur d'autres morts tragiques. Mais, bizarrement, ces histoires servent à réconforter la famille en deuil. Marshmallow26 explique :

« La plupart des visiteurs qui présentent leurs condoléances racontent d’autres tragédies sur comment ils ont perdus des proches, comment ils ont été tués de façon barbare, ou torturés avant de mourir, ou décapités…La raison pour laquelle ils racontent ces histoires vraies est qu'ils veulent réconforter la famille en deuil , lui montrer que la mort de leur fils/fille/père/mère/etc. a été plus douce que certaines autres. Et aussi, pour renforcer leur foi en Dieu, car beaucoup de gens accusent Dieu ou doutent quand ils perdent quelqu’un, et laissent le diable corrompre leur cœur et leur esprit sur Dieu.”

Et cela fonctionne. L’amie de V a perdu son père d’une crise cardiaque et raconte à V l’histoire qu’une famille venue présenter ses condoléances lui a confié.« Tu ne va pas le croire, Marsh !!!C’était un désastre !! La mort de mon père n’est rien comparée à celles de ces jeunes hommes trahis !! J’ai l’impression que c’est à moi de présenter mes condoléances, et pas à eux ».

Les bombes explosent trop fréquemment en Irak pour les distinguer les unes des autres. Mais l’attentat de la rue Mutanabbi, lundi dernier, était particulier. On dit que les Egyptiens écrivent et que les Iraquiens lisent. Et au centre de cette culture de la lecture, il y avait la rue Mutanabbi, où se trouvaient certains des librairies les plus célèbres de Bagdad. Irak Pundit [En] nous raconte l’histoire de cette rue :

« L’image poignante de cette rue en ruines, avec ce nuage de papiers en flammes qui flottait au-dessus des résidents choqués, était le symbole non seulement d’un attentat contre les Bagdadi, mais aussi contre la mémoire et le cœur de cette ville.
“C’est vrai que la rue Mutanabbi était à une époque le rendez-vous des intellectuels de Bagdad. Si Le Caire est la capitale des écrivains arabes, la rue Mutanabbi était celle où l’on allait feuilleter les nouveaux arrivages de livres, arabes ou étrangers. Sous la monarchie imposée par les Britanniques, qui régnait sur l’Irak nouvellement créé, les journalistes, les poètes et les intellectuels se réunissaient là pour débattre des changements qui balayaient un Moyen Orient alors en voie de modernisation et optimiste. Vers le milieu du siècle, la monarchie avait disparue, et les poètes iraquiens lançaient le mouvement « Vers libres » qui révolutionnait la poésie arabe. Eux aussi se réunissaient dans les cafés de la rue. Mais c’était avant que Saddam essaye de paralyser l’âme iraquienne. Saddam a censuré beaucoup de livres, et remplissait la rue Mutanabbi de ses informateurs ».

Treasure Of Baghdad [En] fait le deuil de cette rue en lui dédiant un photo-montage et écrit :

« Le marché des livres, où j’ai passé les meilleurs moments de mon enfance, de mon adolescence, et de ma jeunesse, a été détruit par une voiture piégée qui a mêlé le sang des lecteurs, des acheteurs et des vendeurs avec des papiers et du feu, exactement comme Hulagu a un jour brûlé la grande bibliothèque de Bagdad et jeté les livres dans le Tigre, mélangeant ses eaux avec l’encre des livres »

Histoires

Chikitita [En]a toujours été fascinée par les livres, et tout spécialement ceux qui ont été censurés sous le régime de Saddam. Celui qu’elle recherchait tout particulièrement était « Le Prince » de Machiavel, car des amis lui avaient dit : « C’est en fait la Bible de Saddam. J’ai entendu dire que tout ce qu’il faisait était basé sur ce que ce livre lui conseillait. » Les seuls exemplaires disponibles en Irak était lourdement censurés. Elle écrit :« Après l’invasion, j’ai commencé à chercher partout une version non censurée, jusqu’à mettre la main dessus en 2005. C’est drôle, je n’ai jamais réussi à le lire jusqu’à ce jour. Je ne comprends pas très bien pourquoi ! Peut être parce que le lire a cessé d’être une aventure risquée ou peut-être parce que la traduction semble mauvaise. Voilà deux ans que je l’ai acheté, il prend la poussière maintenant, et je n’arrive pas à avoir envie de le toucher.
Il y a quelques semaines, j’ai lu un titre d’article dans la presse : « Homme arrêté pour possession de livre censuré ». J’ai immédiatement contacté un ami par messagerie instantanée: « Waou, ils censurent encore des livres ? Bienvenue dans la démocratie!!!””

Najma [En] a participé à un pique-nique organisé par sa classe à l’université et a découvert la différence essentielle entre les filles et les garçons. Préparez vous à parfaire votre éducation:

« Les garçons sont si différents des filles, ils connaissent tant de poésies, de styles différents. Je ne comprenais pas la plupart des poèmes irakiens, mais j’ai aimé les écouter déclamer avec tant d’aisance ».
Je voulais me promener un peu avec mon amie et laisser les garçons passer le temps comme ils l’entendaient, mais ils avaient laissé leurs téléphones portables et appareils photo dans nos sacs à main car ils étaient en train de jouer au football…
[plus tard] Ils ont fait des imitations de nos professeurs, dont une de notre professeur de programmation, qui me fait toujours beaucoup de compliments : « Excellent, Najma, excellent, excellent, Najma… » Certains conférenciers ont des habitudes drôles que je n’avais jamais remarquées et dont j’ai pris conscience quand ils en ont parlé. Je me concentre tellement sur les cours que je remarque rarement quelque chose de drôle, alors que les garçons n’arrêtent pas de rigoler ».

Sunshine [en]nous livre des instantanés de quelques unes de ses journées:

« J’ai eu mes notes, ma famille était ravie, mais je n’étais pas contente et mes yeux se sont remplis de larmes. Je n’aime pas avoir moins de 95% en Anglais. J’étais très inquiète pour les notes en physique, mais j’ai eu 83%, une des meilleures notes !
J’ai eu 90% en chimie, 100% en religion, 95% en Histoire, 94% en géographie, 91% en biologie. J’ai eu 96% en math (ça m’a contrariée, j’avais eu 100%) . J’ai eu 85% en arabe, le professeur a noté « Très bien, l’arabe est très difficile ». En Français, j’ai eu 90%. Le plus drôle, c’est que j’ai eu 82% en art, ahahahaha, je n’ai pas assisté à un seul cours d’art…[…]

J’ai appris une nouvelle choquante : la pauvre veuve qui faisait le ménage de ma salle de cours a été tuée. Je suis vraiment désolée pour ses enfants, ils ont perdus leurs parents, et la femme de ménage qui travaillait avant elle a aussi été tuée…[…]

J’ai lu mes 700 mails et répondu à la plupart d’entre eux…[…]

Mon père avait un travail à faire dans un village près de Mossoul, appelé Bahseeka. Grand-père, maman, Miriam, Yosif, et moi sommes allés avec lui. Nous avons passé une journée formidable. Ils ont une belle ferme, les fermiers étaient au travail, c’était marrant de les regarder. Grand-père a suggéré d’aller visiter un vieux der [monastère], près de Bahsheeka, c’était superbe. Nous avons visité la grotte d’abord, puis l’église. Son nom est Der Mar Mattie[Monastère Saint Mathieu], et, surprise, nous y avons rencontré des scouts qui jouaient de la musique, ensuite, nous sommes allé voir l’intérieur de l’église, nous avons visité les cellules des moines, et celles des chapelains, et nous avons lu leurs histoires. J’ai vu un moine, je l’ai abordé pour lui demander l’histoire du Der. Nous avons parlé pendant un moment, il m’a raconté l’histoire et l’histoire du moine Mattie. Nous avons pris beaucoup de photos, et nous sommes rentrés à la maison, nous avons déjeuné, puis l’électricité est revenue à 16h30.
Je travaillais sur l’ordinateur quand les tirs ont commencé, des mortiers sont tombés sur le quartier, cela a duré une heure, trois mortiers sont tombés dans la rue, deux dans la rue derrière notre maison et un devant notre maison”.

La situation le jour suivant ne s’est pas améliorée…

“A 13h, maman et moi étions dans le jardin, Mariam était dans le jardin de derrière, Yosif était en train de courrir, il voulait aller au jardin sans ses chaussures, mais notre oncle l’a rattrapé dans le couloir, papa a couru à l’étage pour chercher les chaussures de Yosif, Grand Mère était derrière la maison en train d’amener de l’essence, la femme de mon oncle était dans le salon.
BOOOM, énorme explosion (un camion citerne plein d’explosifs a sauté près de ma maison), mes oreilles n’entendaient plus rien! Deux secondes plus tard, encore BOOOM, maman a commencé à courir en criant “Mariam ! », j’étais paniquée, il y avait une fumée épaisse partout , je criais en courant, je voulais rejoindre Miriam:”Quelque chose est tombé sur notre maison”, “Mariam, où es-tu?”. Je me suis arrêtée un instant pour regarder. Les fenêtres étaient cassées, et le verre me tombait dessus, j’ai commencé à pleurer, à crier “Mariam” , je me suis retournée et j’ai vu que l’explosion n’avait pas eu lieu dans la maison, je suis rentrée et tout le monde était vivant !!! Un vrai miracle !

Celui qui voyait ma maison à ce moment ne pouvait pas croire que nous étions vivants, quand papa nous a vus, il a commencé à pleurer.
J’étais mortellement inquiète avant de voir les membres de ma famille, j’avais peur qu’ils soient blessés. Je ne peux remercier Dieu assez, maman a acheté deux moutons, et a distribué la viande aux mendiants et aux orphelins (c’est ainsi que nous remercions Allah(dieu))
Nous avons déblayés les débris et le verre pendant trois jours.

Notre maison est faite de briques, de ciment et de fer, voilà pourquoi elle ne s’est pas écroulée, et n’a pas été irrémédiablement endommagée.
Beaucoup de verre est entré dans mes mains et celles de maman pendant que nous travaillions, mais nous sommes vivants, et c’est le plus important.
Dieu merci, Grand-père n’était pas à la maison, il était de l’autre côté de la ville, il prend des comprimés de Warfarin parce qu’il a eu récemment un accident vasculaire cérébral, et ce médicament provoque des hémorragies quand on se coupe.
J’étais tellement fatiguée, je me suis réveillée le matin et j’ai travaillé TOUTE LA JOURNEE, sans dormir assez , sans manger bien, et j’ai perdu trois kilos.
85 innocents ont été blessés, et plus de 25 sont morts. Puisse Dieu nous protéger tous”.

En effet, puisse Dieu nous protéger tous.

Salam Adil

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