
Image sur une pancarte lors d'une marche pour protester contre la violence envers les femmes en Colombie. Photo prise sur le compte Fickr de La marche patriotique sous licence Creative Commons.
Deux faits divers survenus ces derniers jours en Colombie, l'assassinat de la journaliste Flor Alba Núñez et l'annonce de la mise en examen de la chanteuse et actrice Carolina Sabino pour délit d'avortement présumé, ont laissé un arrière-goût amer aux Colombiens qui se demandent si leur pays demeure une terre hostile pour les femmes.
Suite à l'assassinat de la journaliste de 25 ans d'une balle dans la tête le 10 septembre dernier, les associations de journalistes professionnels se sont immédiatement manifestées, exprimant leur rejet. La Fondation pour la liberté de la presse (FLIP) a de plus appelé le Parquet colombien à agir rapidement dans ce cas. Dans le même temps, Reporters sans frontières (RSF) a souligné qu'il fallait davantage prêter attention aux menaces reçues via Internet, comme cela s'est passé dans le cas de Núñez. Et l'ONG de conclure sur ces chiffres alarmants:
Colombia, el tercer país más mortífero para el gremio en el continente americano, se encuentra en el lugar 128, entre 180 países, en la Clasificación Mundial de la Libertad de Prensa 2015 de RSF.
La Colombie, le troisième pays le plus mortifère pour la profession sur le continent américain, se situe à la 128ème place, sur 180 pays, dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2015 de RSF.
Le blog Periodismo en las Américas [Journalisme dans les Amériques] recense les assassinats qui se sont produits dans le pays cette année:
Luis Carlos Peralta Cuéllar, director y propietario de la emisora Linda Estéreo, fue asesinado el 14 de febrero en Doncello, departamento de Caquetá. Édgar Quintero, periodista de Radio Luna, fue baleado por un desconocido el 2 de marzo en Palmira, departamento del Valle del Cauca.
El CPJ reporta que 46 periodistas han sido asesinados en Colombia desde 1992. El país ocupa el octavo lugar en el Índice Global de Impunidad 2014 de la organización sobre asesinatos de periodistas.
Luis Carlos Peralta Cuéllar, directeur et propriétaire de la radio Linda Estéreo [Jolie stéréo], a été assassiné le 14 février à Doncello, dans le département de Caquetá. Édgar Quintero, journaliste de Radio Luna, a été abattu par un inconnu le 2 mars à Palmira, dans le département du Valle del Cauca.
Le CPJ [Comité pour la protection des journalistes] rapporte que 46 journalistes ont été tués en Colombie depuis 1992. Le pays occupe la 8ème place de l‘Indice global d'impunité 2014 de l'organisation pour le meurtre de journalistes [lien en français].
Dans le même temps, des journalistes tels que Héctor Abad Faciolince ont aussi élevé la voix en guise de protestation:
Con esta sangre fría y esta indolencia asesinan a una periodista radial el Colombia, Flor Alba Núñez: https://t.co/ipFrTJnIWy
— Héctor Abad (@hectorabadf) septiembre 14, 2015
Ils assassinent de sang froid et avec indolence une journaliste radio de Colombie, Flor Alba Núñez: https://t.co/ipFrTJnIWy
D'autres se sont réunis dans la rue pour exprimer leur indignation:
Periodistas en #Neiva hacen plantón rechazando la muerte de Flor Alba Núñez @floralbanoti pic.twitter.com/8sEATRxcod — Fecolper (@FECOLPER) septiembre 12, 2015
Des journalistes de #Neiva sont rassemblés pour protester contre la mort de Flor Alba Núñez @floralbanoti pic.twitter.com/8sEATRxcod
Le jour qui a suivi le meurtre de la journaliste, le Parquet général de la nation a demandé une audience pour mettre en examen l'actrice et chanteuse Carolina Sabino pour délit présumé d'avortement. Affaire qui a été révélée après que cet organisme a intercepté une conversation téléphonique entre Sabino et sa soeur Lina Luna, également actrice, dans le cadre de l'enquête menée sur l'ancien conjoint de cette dernière, un hacker condamné en avril dernier à 10 ans de prison pour avoir espionné les personnes chargées des négociations du processus de paix avec la guérilla des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC).
Carolina a le même jour manifesté son mécontentement sur son compte Twitter face à la demande du Parquet car le fait que celle-ci ait été publiée dans les médias avant de l'en avoir d'abord informée a porté atteinte tant à son intimité qu'à sa dignité:
— Carolina Sabino (@sabinocaro) September 12, 2015
En Colombie, les femmes peuvent interrompre leur grossesse lorsqu'elle représente un risque pour leur santé, dans les cas de malformation du fœtus et de viol. Cependant, cet incident a déclenché une polémique et généré une vague de soutien à Carolina Sabino, précisément en raison de la manière dont il a été révélé. L'indignation généralisée de l'opinion publique a finalement poussé le Parquet à retirer sa plainte trois jours plus tard.
Voici quelques exemples des nombreux messages de solidarité à Carolina Sabino:
Acusar y perseguir mujeres por ser autónomas sobre su cuerpo es medieval e inútil. Mi solidaridad con Carolina Sabino @sabinocaro — Mauricio Albarracín (@malbarracin) septiembre 12, 2015
Accuser et poursuivre des femmes parce qu'elles disposent de leur propre corps est dépassé et inutile. Mes sympathies à Carolina Sabino @sabinocaro
Respeten la privacidad de Carolina Sabino y la libertad de su útero. No la usen de chivo expiatorio solo porque es famosa.
— Ian Schnaida (@IanSchnaida) septiembre 12, 2015
Respectez la vie privée de Carolina Sabino et la liberté de son utérus. N'en faites pas un bouc émissaire simplement parce qu'elle est célèbre.
Toda mi solidaridad con la actriz Carolina Sabino @sabinocaro Tiene derecho a que su intimidad sea respetada y a la presunción de inocencia.
— Daniel Coronell (@DCoronell) septiembre 12, 2015
Tout mon soutien à l'actrice Carolina Sabino @sabinocaro Elle a droit au respect de son intimité et à la présomption d'innocence.
Sur le portail Las dos Orillas [Les deux rives], Juan Mosquera Restrepo a également pris la défense de Carolina Sabino:
El atentado que ha cometido la Fiscalía al filtrar esta historia privada a medios de comunicación es, a todas luces, una violación del derecho a la intimidad
L'attentat qu'a commis le Parquet en divulguant cette affaire privée à des médias est de toute évidence une violation du droit [au respect de] la vie privée.
Et d'autres comme Gustavo Bolivar, s'indignent de la voir répandue sur les réseaux sociaux :
Hay algo que no podemos permitir: Que las mafias del poder se metan en su vida privada. Hoy es Carolina Sabino mañana puede ser Ud #Respeto
— Gustavo Bolívar (@GustavoBolivar) septiembre 14, 2015
Il y a une chose que nous ne pouvons pas permettre: que les mafias du pouvoir s’immiscent dans nos vies privées. Aujourd'hui c'est Carolina Sabino demain ça peut être vous #Respeto
Mais pour Carolina le mal est déjà fait et personne ne va en répondre. Cependant, ce n'est pas la première fois que le Procureur général de Colombie, Eduardo Montealegre, se trouve impliqué dans une affaire polémique concernant des femmes. Cela s'est déjà produit avec Jineth Bedoya, une autre journaliste qui a été enlevée et violée par des paramilitaires il y a 15 ans. Le procureur a dû réactiver la détention et l'ordre de capture d'Alejandro Cárdenas Orozco, impliqué dans le crime et laissé en liberté cette année, alors que l'affaire n'a toujours pas été résolue.
Quant à l'accusation contre Carolina Sabino, Montealegre s'est défendu en invoquant le fait qu'il ne savait rien. On espère en revanche qu'il parviendra à retrouver les auteurs de l'assassinat de la journaliste Flor Alba Núñez.
Le président colombien Juan Manuel Santos a promulgué cette année une loi qui fait du féminicide un crime à part entière et punit d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à 41 ans l'homicide d'une femme pour des raisons de genre. Comme le révèle un rapport de la Commission économique pour l'Amérique latine (Cepal) en partenariat avec la revue Semana, en Colombie, 88 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2014.