Asie du Sud-Est : le prétexte des « fake news » pour mieux bafouer la liberté des médias

Source: Pixabay, Domaine public CC0

Plusieurs gouvernements d'Asie du Sud-Est voient en l'apparition du concept des fake news une occasion inespérée de justifier leur politique répressive à l'encontre des médias et des journalistes.

Singapour : défendre les « valeurs de la communauté »

Le ministre singapourien des Communications et de l'Information Yaacob Ibrahim a présenté au Parlement un plan gouvernemental visant à mettre à jour la loi sur l'Audiovisuel (Broadcasting Act) afin de s'attaquer à la désinformation et aux fake news de plus en plus présentes sur Internet.

When overseas content providers are directly targeting Singaporeans, we need to ensure that their content is in line with our community values, including the need to uphold racial and religious harmony.

…if an entity reports news about Singapore regularly to inform Singaporeans on matters of public interest, we expect them to do so responsibly.

Lorsque des fournisseurs de contenus étrangers s'adressent directement aux Singapouriens, nous devons nous assurer que le contenu en question est en accord avec les valeurs de notre communauté, et notamment le besoin de maintenir l'harmonie raciale et religieuse.

… si une entité couvre régulièrement l'actualité singapourienne afin d'informer les citoyens sur des sujets d'intérêt public, nous attendons d'elle qu'elle le fasse de façon responsable.

Si le ministre n'a pas donné davantage de détails quant aux amendements prévus, les tendances de la législation singapourienne en la matière suggèrent qu'il pourrait s'agir d'un durcissement de la loi. En 2013, Singapour a rendu obligatoire pour les principaux sites d'informations de s'enregistrer auprès du gouvernement et de s'acquitter de frais de licence. La loi sur les licences donne également aux autorités le pouvoir de retirer des contenus en ligne qui mettraient en péril « l'harmonie sociale ».

Les propos du Ministre sur le besoin de protéger les « valeurs de la communauté » face à la montée des fake news a causé l’inquiétude des activistes de Wake up Singapore, qui craignent que les autorités n'interprètent ce terme au sens large et ne l’utilisent pour justifier la censure des voix dissidentes et des opinions minoritaires dans le pays. S'agissant de problèmes traditionnellement plus sensibles tels que l’homosexualité, la position du gouvernement interroge : les contenus faisant référence à des relations romantiques entre hommes cesseront-ils d’être tolérés ? En effet, le Premier ministre a récemment défendu l’obsolète loi sur la sodomie et soutenu que cette dernière promouvait les « valeurs de la société ».

Cambodge : « C’est simple, nous les ferons fermer. Nous les expulserons. »

Alors que Donald Trump a récemment accusé certains groupes de médias de colporter de fausses nouvelles et leur a interdit l’accès à la Maison Blanche, les dirigeants cambodgiens semblent s'inspirer du Président américain afin de faire pression sur certains médias.

Le porte-parole du Conseil des Ministres Phay Siphan a déclaré sur Facebook:

Donald Trump’s ban of international media giants … sends a clear message that President Trump sees that news published by those media institutions does not reflect the real situation.

L’interdiction de véritables géants des médias internationaux par Donald Trump … révèle clairement que le Président Trump a conscience que la couverture que proposent ces médias de l’actualité ne reflète pas la situation réelle.

Selon lui, Voice of Democracy, Voice of America et Radio Free Asia feraient partie de ces groupes de médias ne reflétant pas la réalité de ce qui se passe au Cambodge. Et si ces médias ne modifient pas leur ligne éditoriale, Phay Siphan est très clair : « C’est simple, nous les ferons fermer. Nous les expulserons. »

Le Premier Ministre Hun Sen, au pouvoir depuis plus de trente ans, a repris à son compte les déclarations de Donald Trump et de son porte-parole :

We respect rights, but not the rights of anarchy, [rather] the rights of the rule of law. I hope our foreign friends understand this.

Nous respectons les droits, mais pas les droits de l’anarchie, ceux de l’Etat de droit. J'espère que nos amis étrangers le comprennent.

Selon le dirigeant cambodgien, « certains parlent de droits mais jamais de stabilité et de paix ». Il a également fait écho aux propos de Donald Trump en décrivant certains médias comme des diffuseurs de fake news. Des déclarations perçues comme une tentative de minimiser les critiques visant son gouvernement.

Philippines : réguler les médias sociaux

A l'image de Donald Trump et Hun Sen, certains politiciens philippins se jouent des critiques en qualifiant certains médias de fake news.

Lors d’un événement parallèle organisé par l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, le Secrétaire du Bureau de la Communication présidentielle Martin Andanar a qualifié un article du New York Times sur le Président Rodrigo Duterte de « fake news » :

They only report the lies. We call that fake news. Like Richard Paddock of the New York Times.

It’s obvious that he wrote it just to throw negativity against the President.

Ils ne rapportent que les mensonges. Ce sont des fake news. Comme ceux de Richard Paddock du New York Times.

Il est évident que ces mots ont pour unique motif de discréditer le Président.

En parallèle, le Président de la Chambre des Représentants Pantaleon Alvarez a déposé un projet de loi habilitant les entreprises de médias sociaux à vérifier l’identité des utilisateurs avant leur inscription, afin d’éviter que ces derniers ne puissent créer de faux comptes pour y diffuser de fausses informations. La loi 2017 sur la régulation des médias sociaux que propose Pantaleon Alvarez mentionne même certaines entreprises de médias sociaux susceptibles d’être affectées par le projet de loi :

This proposed bill seeks to afford a remedial measure on the foregoing matters and will regulate these social media by mandating social media companies (Facebook, Twitter, Instagram etc.) to reasonably verify the identity of user applicants before they are allowed to open an account. Penalties are also provided for failure to comply with this verification requirement.

Ce projet de loi cherche à fournir des mesures correctives sur les sujets précédemment évoqués et permettra de réguler les médias sociaux en habilitant les entreprises (Facebook, Twitter, Instagram, etc.) à vérifier l'identité des utilisateurs avant qu'ils ne soient autorisés à y ouvrir un compte. Des sanctions seront prévues en cas de manquement à cette exigence de vérification.

Si les experts des médias sociaux estiment que le Président de la Chambre des Représentants a raison de soulever la question des fake news et du vol d’identité sur les réseaux sociaux, ils soulignent néanmoins que cette mesure est superflue et inapplicable. Ils défendent également le droit des utilisateurs à rester anonymes lorsqu’ils expriment leur opinion en ligne.

Les sites de fact-checking s'attaquent aux fake news

Certains gouvernements d’Asie du Sud-Est ont lancé des sites de fact-checking (vérification des faits) afin d’endiguer la propagation de fausses nouvelles.

La Malaisie a récemment créé le site Sebenarnya.my, « un outil en ligne qui permet au public de partager avec les agences gouvernementales concernées des articles non confirmés circulant sur les médias sociaux, les services de tchat et les sites web » afin d’aider à vérifier les sources en ligne et réfuter les fausses informations. Sebenarnya est un mot en Bahasa qui signifie « en fait ».

La Malaisie n’est pas la seule. Depuis 2012, le gouvernement singapourien rectifie des nouvelles fausses ou inexactes sur son site Factually. L’Indonésie a également annoncé la création prochaine d'une agence chargée de combattre les fake news.

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