En souvenir d'Anna, infatigable militante de la justice pour l'Afrique, et immense perte pour Global Voices

Anna Guèye. Photo DR

Anna Guèye : Partie trop tôt.

C'est avec une grande tristesse que j'ai appris le décès d'Anna Guèye, auteure et traductrice à Global Voices en français, et voix puissante de la communauté africaine francophone en ligne. Parmi ses nombreuses activités, Anna a participé à la création d’Africtivistes, un réseau de militants africains pour la démocratie. Un grand nombre de ses amis proches et membres de sa famille ont déjà décrit beaucoup mieux que je ne saurais le faire ce qu'Anna a représenté pour la Toile africaine. Anna et moi avons commencé à collaborer à Global Voices quand GV en français avait à peine quelques mois.

Anna était originaire de Dakar, au Sénégal, mais incarnait la génération de troisième culture. Voici comment elle décrivait une vie de voyage et de découverte :

Je vis aujourd'hui aux Pays-Bas (La Haye est ma 12e ville de résidence et les Pays-Bas mon 8e pays). J'ai passé mon adolescence en Éthiopie et ma fille est née aux USA. Son père est français avec des origines italo-siciliennes. Moi-même je suis née en Bretagne d'un père sénégalais et d'une mer à moitié guinéenne. Ma mère est née en Guinée et mon père vient de Guinée-Bissau.

Les hommages à son travail inlassable se multiplient en ligne, signe de l'empreinte qu'elle a laissée sur les observateurs des médias en ligne. Elle disait que Twitter était sa plate-forme préférée pour le militantisme. La concision de ce média correspondait bien à sa personnalité active mais pudique. Elle a maîtrisé les “twitterstorms” avant que les twitterstorms soient à la mode. Mais sa voix se faisait aussi entendre sous la forme rare mais percutante de ses articles longs. Comme sa démolition de la description récurrente mais erronée des conflits africains comme dérivant tous de “tensions ethniques” :

Dans la plupart des cas, les Africains n'avaient que très peu allégeance à ce qui peut désormais être considéré comme une « tribu » selon des critères objectifs de la génétique, de l'homogénéité linguistique ou culturelle dans une région géographique donnée. Les groupes ethniques sont en grande partie un héritage colonial, qui ont émergé comme des instruments pour contrôler les personnes et se partager leurs ressources.

Les colons européens ont encouragé l'assimilation des Africains en groupes, par la création d'unités administratives qui ont ensuite été étiquetés en termes ethniques, comme cela s'est produit en Ouganda avec la classification obligatoire des populations locales en fonction de leur «tribu », comme cela s'est produit aussi au Rwanda. En Zambie, un catalogue étonnant de stéréotypes avait été fait : les Ngoni étaient « forts et belliqueux », le Lamba quant à lui était « paresseux et indolent », et ainsi de suite pour les 70 et quelques « tribus ».

Les administrateurs coloniaux qui ne pouvaient être physiquement partout, avaient également besoin « d’hommes importants », les soit disant chefs traditionnels. Ces chefs étaient responsables de l'exécution de la politique coloniale dans leur région. Lorsque les communautés ethniques existantes étaient fragmentées (ce qui était le cas pratiquement partout), elles ont été fusionnées ou affectées à d'autres groupes, et un chef unique a été choisi pour toutes les représenter. Par exemple les Yoruba au Nigeria (sont composés d’au moins 12 sous-groupes importants), les Akan au Ghana ou les Xhosa en Afrique du Sud ont été artificiellement regroupés en « tribu » parce qu’ils ont des caractéristiques linguistiques et culturelles similaires.

La plupart d'entre nous se rappellent son incessant combat pour la justice et l'égalité, et en particulier pour la place de l'Afrique dans le le Word Wide Web. Quelques-uns de ces hommages en ligne :

Je pense toujours aux premiers temps du blogging africain, dont tu étais une pionnière ; si pleine d'enthousiasme et d'espoir pour le continent

De ma fenêtre limitée de rédacteur de la région francophone depuis 2009,  le travail et l'expertise d'Anna ont été cruciaux pour expliquer aux lecteurs de Global Voices les nombreux conflits apparus ces dix dernières années en Afrique de l'Ouest. De la guerre civile en Côte d'Ivoire au conflit actuel au Mali et aux effets persistants des luttes religieuses en République Centrafricaine, Anna était toujours exacte et refusait les explications paresseuses et simplistes de ces situations complexes. Sous cet aspect, elle incarnait les valeurs qui sont au cœur de Global Voices. Elle était inébranlable dans ses convictions et ses propos. Nous nous heurtions souvent sur les corrections de ses articles pour Global Voices, mais la fréquente franchise de ces échanges m'a rendu meilleur. Et donc il y a trois principales leçons que je me rappellerai d'Anna en essayant de me résoudre à son décès subit :

  • La vérité naît d'un débat franc mais sain, surtout s'agissant de questions complexes.
  • Il est impératif que l'histoire actuelle de l'Afrique soit écrite et décidée par ses enfants.
  • L'histoire africaine est complexe, diverse et multiple. En aucune façon cette histoire ne doit être simplifiée pour la commodité des observateurs extérieurs.

Sa vision intransigeante, le feu qu'elle a apporté à notre communauté et sa façon de nous pousser, moi comme chacun de nous, à devenir plus acérés sur les nombreux thèmes en provenance du continent africain vont me manquer.

Rest in Power, Anna.

Anna laisse sa jeune fille Emma. 

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