La Russie a-t-elle influencé les élections générales au Mozambique?

Élections au Mozambique. Photo de Dércio Tsandzana, prise en septembre 2019. Reproduite avec autorisation.

[L'article d'origine est paru sur Global Voices le 24 décembre 2019]

Deux mois après que les élections générales au Mozambique ont donné une victoire écrasante [fr] au parti au pouvoir, le Frelimo, les citoyens continuent de se demander si des acteurs étrangers auraient pu interférer avec le processus électoral.

Le 15 octobre 2019, les Mozambicains ont voté pour élire leur président, le Parlement et – pour la première fois – les gouverneurs de province. Le président sortant Filipe Nyusi a été réélu et son parti, le Frelimo, a obtenu les deux tiers des sièges législatifs monocaméraux et a remporté tous les sièges de gouverneurs. Le Conseil constitutionnel, la plus haute juridiction du Mozambique, n'a pas encore ratifié les résultats, qui sont contestés par l'opposition.

Deux semaines après les élections, le 30 octobre, Facebook a annoncé [en] la suspension de comptes originaires de Russie ciblant plusieurs pays africains, dont le Mozambique. L'entreprise a déclaré que les comptes qui avaient un “comportement inauthentique”, étaient liés au financier russe Yevgeniy Prigozhin.

Prigozhin, qui entretient des liens étroits avec le président russe Vladimir Poutine, a été inculpé par le conseiller spécial des États-Unis, Robert Mueller, pour avoir dirigé [en] une “armée de trolls” qui s'est ingérée lors de l'élection présidentielle de 2016 dans ce pays.

Dans son communiqué, Facebook a déclaré :

Today, we removed 35 Facebook accounts, 53 Pages, seven Groups and five Instagram accounts that originated in Russia and focused on Madagascar, the Central African Republic, Mozambique, Democratic Republic of the Congo, Côte d’Ivoire and Cameroon.

The individuals behind this activity used a combination of fake accounts and authentic accounts of local nationals in Madagascar and Mozambique to manage Pages and Groups, and post their content. They typically posted about global and local political news including topics like Russian policies in Africa, elections in Madagascar and Mozambique, election monitoring by a local non-governmental organization and criticism of French and US policies.

Aujourd'hui, nous avons supprimé 35 comptes Facebook, 53 pages, sept groupes et cinq comptes Instagram originaires de Russie et axés sur Madagascar, la République centrafricaine, le Mozambique, la République démocratique du Congo, la Côte d'Ivoire et le Cameroun.

Les individus responsables de cette activité ont utilisé une combinaison de faux comptes et de comptes authentiques de ressortissants locaux à Madagascar et au Mozambique pour gérer les pages et les groupes publiant leur contenu. Ils ont généralement publié des informations sur l'actualité politique mondiale et locale, y compris sur des sujets tels que les politiques de la Russie en Afrique, les élections à Madagascar et au Mozambique, le suivi des élections par une organisation non gouvernementale locale et des critiques des politiques française et américaine.

Facebook a ajouté que ces comptes et pages ont dépensé environ 77 000 USD en publicité entre avril 2018 et octobre 2019.

L'une des pages Facebook répertoriées comme “inauthentiques” était celle de l'Association pour la Recherche Libre et la Coopération Internationale (AFRIC). Cette organisation a envoyé une mission d'observation électorale de 60 personnes au Mozambique, selon son site officiel.

L'ONG se décrit comme “une communauté de chercheurs, enquêteurs, experts, et activistes” et affirme avoir observé les élections à Madagascar, en République démocratique du Congo, au Zimbabwe et en République d'Afrique du Sud ainsi qu'au Mozambique au cours des 14 derniers mois.

Selon un reportage [pt] publié en novembre 2019 sur la version portugaise de Radio France Internationale (RFI), la mission d'observation de l'AFRIC au Mozambique a fonctionné “sans que personne ne sache très bien le travail des observateurs de terrain”. RFI n'a cité aucune source pour de telles allégations.

Le rapport [en] d'AFRIC sur les élections au Mozambique a qualifié le processus de “bien organisé”, mais a énuméré un certain nombre d'irrégularités lors du vote et du dépouillement des bulletins.

Le rapport fait écho aux conclusions [pt] d'autres missions d'observation. La mission de l'Union européenne a identifié [pt] des irrégularités plus graves.

Un sondage “faux” et illégal

Les soupçons d'ingérence russe ont commencé avant les élections avec la publication, le 4 octobre, d'un sondage mené par une organisation appelée Centre international anti-crise (IAC), qui a donné une nette victoire au Frelimo .

Selon un article du Guardian sur les élections sud-africaines paru en mai 2019, l'IAC serait lié à Prigozhin. L'IAC et l'AFRIC auraient tous deux tenté d'influencer le vote en faveur du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), rapportait le Guardian.

La loi mozambicaine interdit les sondages pendant la période électorale. Le parti d'opposition Renamo a signalé [pt] cette infraction au bureau du procureur général.

Néanmoins, le sondage a été largement diffusé sur les réseaux sociaux, notamment via certaines pages Facebook qui ont été supprimées depuis. Jusqu'à aujourd'hui, les résultats du sondage sont disponibles [fr] sur le site Web de l'IAC.

Après la publication de cette enquête, le Centre pour l'intégrité publique (CIP) [pt], une organisation mozambicaine de la société civile, a affirmé que celle-ci représentait peut-être une tentative d'influencer l'opinion publique :

O mais provável é que a sondagem publicada seja mais uma fake news. Os dados são bastante suspeitos, uma vez que o Presidente Filipe Nyusi teve uma classificação alta em termos de popularidade em Nampula controlada pela oposição do que em Gaza, que é bastião da Frelimo.

Très probablement, le sondage publié est une autre fake news. Les données sont assez suspectes, le président Filipe Nyusi ayant obtenu un score de popularité plus élevé à Nampula, contrôlé par l'opposition, qu'à Gaza, le bastion du Frelimo.

Les membres du parti Frelimo ont également publié le sondage sur différentes plateformes de médias sociaux. L'un des membres qui avait partagé le sondage l'a retiré après avoir été alerté sur Twitter par l'activiste Tomás Queface :

Ehehe, j'observe juste le fil de la conversation depuis les tribunes. L'illustre @basiliomuhate a publié un sondage qui donne à Nyusi et au Frelimo la victoire dans presque toutes les provinces. Mais quand il a réalisé qu'il commettait une infraction, il a été contraint de supprimer le lien

Le chercheur en histoire africaine Eric Morier-Genoud a commenté :

Ingérence illégale dans les élections au #Mozambique. Aucun sondage n'est autorisé pendant la campagne électorale. Bons baisers de Russie…

Deux jours avant l'annonce des résultats officiels des élections le 30 octobre, l'IAC a publié un tweet félicitant Filipe Nyusi et le Frelimo.

Le président mozambicain Filipe Nyusi est réélu avec 73% des voix. Son parti, le Frelimo obtiendra 184 sièges au Parlement. Le parti d'opposition Renamo n'a pas remporté une seule province

Relations Mozambique-Russie

Les relations entre la Russie et le Mozambique se sont réchauffées ces dernières années.

Le président mozambicain Filipe Nyusi s'est rendu à Moscou en août, et à cette occasion, la Russie a annoncé qu'elle annulerait 95% de la dette mozambicaine, bien que le montant exact de cette dette reste incertain. Le Président Nyusi a également assisté au premier sommet Russie-Afrique à Sotchi en octobre.

Morier-Genoud a affirmé que le voyage de M. Nyusi en Russie a servi de remerciement pour le soutien de la Russie :

@FNyusi en #Russie pour remercier le gouvernement pour son aide militaire, son ingérence dans les élections et peut-être pour un prêt pour aider la compagnie pétrolière nationale ENH en difficulté – “из России с любовью”[bons baisers de Russie]

Le 21 octobre, le ministère russe des Affaires étrangères a félicité le Mozambique pour avoir organisé des élections :

Les #élections présidentielles, parlementaires et gouvernorales ont eu lieu au #Mozambique le 15 octobre. #Moscou se félicite du succès d'un événement aussi important dans la vie politique intérieure du Mozambique.


Cet article fait partie d'une série examinant l'ingérence dans les droits numériques par des méthodes telles que les fermetures et la désinformation lors d'événements politiques clés dans sept pays africains: Algérie, Éthiopie, Mozambique, Nigéria, Tunisie, Ouganda et Zimbabwe. Le projet est financé par le Fonds africain pour les droits numériques de la Collaboration sur la politique internationale des TIC pour l'Afrique orientale et australe (CIPESA).

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