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Alors que les Jeux olympiques et paralympiques touchent à leur fin, des experts s’inquiètent de la santé psychologique des athlètes une fois la compétition terminée. Une nouvelle étude menée par les chercheurs nigérians Clifford C. Uroh et Celina M. Adwunmi, de l’Université de Lagos, intitulée Impact psychologique de la pandémie de COVID-19 sur les athlètes, a montré que les athlètes professionnels subissaient de fortes pressions psychologiques en raison de la pandémie de Covid-19 et des confinements en résultant. Elle s’ajoute aux récentes études sur la santé mentale dans le sport parmi les sportifs de haut niveau, qui révèlent qu'ils sont, comparés à la population générale, davantage susceptibles d’être sous-diagnostiqués, à cause de la culture de la « force mentale » souvent répandue chez les athlètes.
De même, les sportifs sont bien plus sujets à l'anxiété et la dépression. On estime que près d'un tiers des athlètes ressent des symptômes d'abattement ou d'angoisse, contre seulement 4 à 5 % [fr] de l’ensemble de la population.
En ce qui concerne l’Afrique, nombreuses sont les personnalités du sport qui ont fait face à des problèmes d’ordre psychologique au moment de prendre leur retraite sportive. Au coup de sifflet final : la santé mentale dans le sport sud-africain, article publié en 2018, met en avant les difficultés rencontrées par les athlètes lorsqu’ils prennent leur retraite sportive, que ce soit dans le rugby, le cricket, ou après les Jeux olympiques.
Brooke Neal, l’ancienne athlète olympique et joueuse de hockey sur gazon néo-zélandaise, a mis en avant ce phénomène dans une candide lettre ouverte sur Instagram. Elle y décrit l’isolement et les tribulations passés sous silence auxquels doivent faire face de nombreux athlètes une fois les jeux terminés.
I just wanted to pop in and check on you. So you might be a little confused right about now. You've just competed in the world's biggest sporting event and yet, this is one of the lowest times you've ever felt.
You have been in this bubble, your own little world, with 10,000 athletes who are at the top of their game. You have poured blood, sweat, and tears to get there, but you weren't really prepared for the day after. For the week after. For the months after this huge spectacle. You weren't prepared for life to continue as if nothing happened.
Je souhaitais juste passer et prendre de tes nouvelles. Tu es peut-être un peu désorientée à l’heure qu’il est. Tu viens de participer au plus gros événement sportif de la planète, et pourtant, ton moral est au plus bas.
Tu étais dans cette bulle, dans ton petit monde, en compagnie de ces 10 000 athlètes au sommet de leur art. Ton sang, ta sueur et tes larmes ont coulé pour arriver jusque là, mais tu n'étais pas vraiment prête pour le lendemain. Pour la semaine d’après. Pour les mois qui ont suivi ce spectacle grandiose. Tu n'étais pas prête à ce que la vie continue comme si de rien n'était.
Dans un article pour le Conversation researchers, Courtney Walton et Andrew Bennie posent la question cruciale et pourtant intimidante : « Et après ? ». Tous deux ont aussi publié en mai 2021 une étude qui s'intéresse à la santé psychologique des athlètes en interviewant dix-huit sportifs australiens ayant participé aux jeux de Rio. Elle montre également qu'on porte moins d'attention aux athlètes et à leur bien-être lors de la phase d’après jeux (POP).
Ces athlètes à différents stades de leur carrière décrivent comment, à la fin des compétitions, le sentiment d’exaltation s'accompagnait d'un état de fatigue générale. Ils ont aussi rencontré des difficultés lors du retour à la normale qui suit les Jeux olympiques, correspondant à la description faite par Howell et Lucassen du « blues post-olympique ».
Les athlètes interrogés déclaraient qu’avoir un projet pour la suite était essentiel pour leur santé mentale et leur bien être physique : commencer ou reprendre des études, postuler à un nouvel emploi, se marier, partir en vacances, voire reprendre l’entraînement pour une nouvelle saison sportive, etc.
L'étude mentionnait également que, souvent, certains athlètes n’ont pas de projet précis, ou hésitent entre prendre leur retraite sportive et continuer la compétition ; c’est à ce moment-là que les difficultés émergent. L'un d'eux est cité dans l’article :
When you get home it’s really lonely […] It’s quite depressing, and it is a little bit overwhelming, starting from square one again.
Quand vous rentrez à la maison, vous vous sentez vraiment seul […] C’est assez déprimant et un peu accablant de tout recommencer à zéro.
Un autre précise :
[Athletes] come back from the Olympics and they haven’t had anything to do. So, they haven’t had university, they haven’t had work, they haven’t had a family, they haven’t had community engagement, they haven’t had a plan.
[Les athlètes] reviennent des Jeux Olympiques sans avoir rien fait de leur vie. Ils n’ont pas suivi d’études, n’ont pas travaillé, ne se sont pas engagés pour leur communauté, n’ont pas fait de projet.
L’étude pense qu'il serait bon de confier à des psychologues les sportifs de retour des Jeux. Elle incite également les athlètes à se construire une identité extra-sportive sur laquelle ils pourront s'appuyer à la fin d’un cycle de compétition et une fois arrivés au terme de leur carrière.
L’étude appelle également le public et les médias à faire preuve d'empathie et à soutenir les athlètes de retour des JO. Harcèlement et traitement au vitriol de sportifs et sportives se sont multipliés ces derniers mois sur les réseaux sociaux, comme illustré par les réactions envers Simone Biles [fr] qui s'était retirée des épreuves olympiques de gymnastique.
La rameuse sud-africaine Lea-Ann Persse a participé à plusieurs coupes du monde et championnats du monde d’aviron, ainsi qu’à deux olympiades. Ayant commencé l’aviron à seize ans, son talent a été rapidement reconnu, et on lui a offert une bourse sportive pour étudier aux États-Unis, puis elle a été appelée pour intégrer l'équipe d’aviron sud-africaine. D'un point de vue professionnel, sa carrière a été un succès, mais sur le plan personnel, l’athlète s’est retrouvée esseulée :
Once I stepped away from the sport, I realized how much I missed out on in terms of my family. And I realized they kind of kept things from me to protect me because they didn’t want to get me down. They might think, ‘she’s in a good place, let’s keep her there.’
C’est une fois éloignée du sport que j’ai réalisé à quel point j'étais passée à côté de ma vie familiale. J’ai compris que, d'une certaine façon, ils me cachaient des choses pour me protéger, car ils ne voulaient pas que je me sente mal. Ils se disaient peut-être : « Elle se sent bien dans ce qu’elle fait, laissons-la comme ça ».
Pour les athlètes ayant participé aux Jeux Olympiques, le soi-disant « blues post-olympique » frappe parfois très fort. Lea-Ann Persse précise qu'il est difficile de gérer les attentes professionnelles et les espoirs personnels lorsque les deux commencent à se confondre. Comme, en outre, la victoire est valorisée par-dessus de tout, c'est la recette parfaite pour un désastre assuré.
When things aren’t going well, you question yourself. You wonder if it’s your fault, if it’s acceptable for you to feel this way, like you’re not coping.
Quand ça ne va pas, vous vous posez des questions. Vous vous demandez si c’est de votre faute, si c'est normal que vous vous sentiez comme ça, comme si vous n'arriviez pas à gérer.
L’ancienne joueuse de hockey sur gazon Sanani Mangisa déplore le manque d’accompagnement qui pourrait aider les athlètes lors de leur retraite sportive, en Afrique du Sud ou partout ailleurs. Les sportifs tentent de rester en contact avec leurs anciens entraîneurs ou mentors pour faciliter cette transition. Malheureusement, cette relation est à sens unique pour nombre d'entre eux, les entraîneurs étant trop occupés pour s'y investir.
If you can inspire one person to be able to come out of their shell and be able to say, ‘This is how I’m feeling,’ the dialogue becomes more open and it becomes a natural thing.
Si vous pouvez inspirer une personne à sortir de sa coquille et à dire : « Voilà comment je me sens », le dialogue s’ouvre et devient quelque chose de naturel.
Sanani Mangisa espérait également que les instances dirigeantes proposeraient davantage d’assistance aux athlètes souhaitant aborder ce sujet de conversation avant leur retraite. Il faut valoriser la participation aux Jeux olympiques, mais il faut également apprécier les expériences valorisantes et les moments de fierté qui adviendront au-delà du cadre sportif.
When we have conferences at World Cups, we need to dedicate a section to mental health. And we all need to listen to each other.
Lorsque des conférences sont organisées lors des coupes du monde, il faut en consacrer une partie à la santé mentale. C’est important d'écouter ce que chacun a à dire.
Dans son livre intitulé S’éveiller d’un rêve : Retrouver une vie normale après une carrière sportive de haut niveau, dont la sortie a été très remarquée en Afrique du Sud, la docteur Kirsten van Heerden a interrogé dix-huit athlètes pratiquant différentes disciplines sportives. L'ouvrage s’intéresse à la façon dont les athlètes professionnels doivent se préparer à une vie après la compétition, et ce même quand ils sont au sommet de leur art. Il serait opportun de chercher à résoudre les problèmes liés à la santé mentale tels qu’ils ont été identifiés, par des personnalités à la fois du sport africain et du sport mondial.