En Afrique, les langues autochtones peinent encore à se faire reconnaître comme essentielles

Capture d'écran du YouTube de Gracia Divina Togo

En Afrique, la valorisation des langues locales se heurte à la domination des langues issues de la colonisation historique et économique, ainsi qu'à un manque de volonté politique des gouvernements africains.

En 2019, la population du continent est estimée à plus de 1,3 milliard d'habitants (second continent le plus peuplé au monde après l'Asie) et en constante croissance démographique. Ceci explique, par exemple, l'augmentation du nombre des locuteurs de langue française dans le monde dont la majorité se trouve aujourd'hui en Afrique.

Plus de 2 000 langues locales classées dans cinq familles linguistiques sont répertoriées en Afrique : les langues nigéro-congolaises, les langues afro-asiatiques, les langues khoïsan, les langues austronésiennes et nilo-sahariennes. Seulement une douzaine de ces langues locales se révèlent être les plus parlées, à savoir: le swahili (plus de 150 millions de locuteurs), le haoussa (près de 79 millions), le yorouba ( 6o millions), le peul ( plus de 50 millions), l’oromo ( plus de 35 millions), l’igbo (20 à 35 millions), l’amharique (plus de 29 millions),  le zoulou (plus de 27 millions), le lingala ( 20 millions), le bambara (plus de 15 millions), le kirundi ( 12 millions) et le shona (7 millions). A côté de ces langues principales, la plupart des autres sont peu parlées car elles disposent d'un petit nombre de locuteurs.

Depuis 2003, des pays africains, et surtout francophones ont engagé des reformes dans le souci d'orienter les enseignements dans les langues locales et nationales. Mais malgré ces efforts fournis par toutes les parties prenantes, ces langues peinent à s'imposer face aux langues dites “officielles” comme l’anglais, le français, l’arabe ou encore le portugais. Ces langues – sauf l'arabe – ont été imposées aux pays africains durant l'époque coloniale et sont maintenues comme langues nationales après les indépendances proclamées à partir des années 50 et 60 par les nouveaux gouvernements.

Le rapport des langues à l'économie

Le progrès des langues locales constitue un indice clé du développement parce qu'elles permettent aux communautés locales une assimilation rapide des informations clés et une maximisation des revenus. Toutefois ces langues se heurtent à une dure réalité économique qui favorise les langues dites internationales.  Ainsi l'appui à l'enseignement dans les langues locales n'a jamais été mis en avant par la Francophonie dont la mission première est la promotion de la langue française (120 millions de locuteurs en Afrique). Il en est de même pour les autres langues notamment l’anglais (plus 200 millions de locuteurs), l’arabe (150 millions) et le portugais ( 40 millions) parlées sur le continent.

A ceci s'ajoute la mondialisation qui oblige les populations du continent à adopter une langue dominante au détriment de celles qu'elles parlent à la maison. Ce facteur met du plomb dans l'aile des excellents programmes de valorisation des langues locales amorcés par certains gouvernements africains, à l'exception notable de l'Afrique du Sud qui compte 11 langues officielles dont neuf sont autochtones.

D'autres facteurs contribuent à cette inégalité: la plupart des réseaux sociaux sont paramétrés et codés dans des langues à grande influence comme l'anglais. D'autre part, les artistes se sentent souvent obligés de chanter en anglais pour espérer toucher plus de monde au niveau international.

L'anglais, qui reste la langue du business, est parlée partout dans le monde et préférée aux autres langues. A titre d'exemple, en 2008, le président Paul Kagamé a remplacé au Rwanda le français par l'anglais et a fait de cette dernière la langue d'enseignement dans le système éducatif alors que le pays est membre de la francophonie depuis 1970. Dans un article publié par La Presse, il dit:

Nous donnons la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et qui servira notre vision de développement du pays. L'anglais était meilleur pour les affaires et faciliterait l'intégration du pays à la Communauté d'Afrique de l'Est, dont les membres (Kenya, Ouganda et Tanzanie) sont anglophones.

Un choix stratégique mais qui répond à l'aspiration du pays de s'ouvrir à la globalisation afin d'offrir plus d'opportunités à sa population.

Pour Aimé Gavor, enseignant togolais vivant à Lomé, et interviewé par Global Voices, ces nouvelles opportunités mettent en difficulté les politiques des pays africains qui font la promotion des langues locales, face à l'anglais mais aussi au chinois mandarin:

Aujourd'hui l'anglais offre beaucoup d'opportunités et une multitude d'avantages à toutes personnes qui démontrent des qualités et compétences professionnelles dans cette langue. Même les parents de nos jours préfèrent mettre leurs enfants dans des écoles où ils peuvent très vite apprendre et maîtriser l'anglais dès le bas âge.

La Chine, de plus en plus présente en Afrique, investit dans l'enseignement et la diffusion du chinois mandarin pour en faire une langue  internationale, y compris sur le continent. Ainsi plusieurs gouvernements africains intègrent cette langue dans leurs cursus scolaire, à l'instar de l’Afrique du Sud en 2015 et l’Ouganda en 2019, comme l'indique ce reportage vidéo de CGTN Français:

Au Ghana, cette volonté se manifeste en 2022 au cours d'une conférence, ce que confirme Mr Divine Yao Ayidzoe, directeur  du ministère de l’éducation, dans un article publié par le journal Le Monde:

Regardez l’expansion de l’économie chinoise, c’est la deuxième économie mondiale. Il va sans dire que ceux qui auront le privilège d’apprendre la langue chinoise [durant leurs études] auront une chance énorme.

Gavor ajoute:

A travers l'implantation des instituts Confucius dans les pays en Afrique, les Chinois essayent, petit à petit, d'imposer leur langue. Quiconque veut travailler dans leurs entreprises, doit maitriser le mandarin. Une nouvelle forme de colonisation linguistique.

Les activistes linguistiques changent la donne

Même si la situation n'est pas reluisante en matière de promotion des langues locales, certaines initiatives de la société civile et d'activistes font naître des lueurs d'espoir. Au Togo, bien que le gouvernement manifeste sa volonté pour la valorisation des langues locales, le budget national ne semble pas comporter de fonds consacrés à la promotion de la cinquantaine de langues parlées dans le pays. Seules les associations comme la Coordination pour la Promotion des langues Nationales au Togo (COPLAN-TOGO) font de leurs mieux à travers leurs activités. A côté du COPLAN, l’Académie Kabiyè se consacre à la valorisation de cette langue. 

Pour en savoir plus, lire Au Togo, le digital tente de mettre en valeur l'utilisation des langues nationales

Même si les chances sont minimes, les acteurs de la société civile continuent leur travail. La plateforme Technologies et Innovations pour le Développement Durable (TIDD) rassemble par exemple des acteurs pour des échanges et débats autour du rôle des langues locales dans l'inclusion numérique.

Sur les réseaux sociaux, des jeunes essayent de faire valoir leurs talents humoristiques à travers des vidéos originales en éwé et kabyè sur le réseau YouTube :

Ici une vidéo TikTok qui enseigne les différentes parties du corps en Ewe:

Capture d'écran du compte Tiktok de Loveling5

La promotion et l'égalité des langues locales reste un véritable défi et exige non seulement des moyens mais aussi un engagement des politiques en Afrique. Sans cela, le continent restera pris en étau entre les langues occidentales issues de l'époque coloniale et celles qui s'imposent avec le néocolonialisme.

 

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