Cet article par Kenny Sokan est originalement apparu sur PRI.org le 7 avril 2016, et est republié ici dans le cadre d’un accord de partage de contenu.
Cela débute avec un mur vide : une toile de béton. Une bonbonne de peinture à la main, un trait de couleur, puis un autre et encore un autre jusqu’à ce qu’un mur se métamorphose en œuvre d’art. Le «tag» est l’élément final, laissant voir au monde qui est l’auteur de cette muraille. Le graffiti fut cultivé dans les rues de New York dans les années 1970. Durant les années 1980, cette forme d’art fit son chemin jusqu’en Afrique, où ce genre était moins établi. Cela dit, la communauté des grafeurs africains grandit et est dynamique. Néanmoins, ces artistes ne bénéficient pas d’autant d’attention ou d'exposition dans les médias durant les festivals internationaux que les artistes provenant d’Europe ou d’Amérique du Nord.
« Il y a beaucoup de sous-représentation. Lorsque vous allez à des festivals, ils ne vous mettent que sur une note en bas de page et ça finit là », dit l’artiste de rue kényan Wisetwo. « Si vous faites bien vos recherches, il y a beaucoup de bons artistes à Nairobi, il y en a des bons en Tunisie ».
Voici trois artistes qui travaillent dans le but de faire découvrir au reste du monde la communauté du graffiti en Afrique.
Falko One
Le grafeur Falko One a commencé son parcours dans la sous-culture du Cap en 1988, peu avant la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Il fut initié au monde du hip-hop et du graffiti dans l’une des seules boîtes de nuit où les gens de couleurs pouvaient aller faire la fête.
Aujourd’hui, la majeure partie du développement du graffiti en Afrique du Sud est attribuée à Falko. Par un échange de lettres dans les années 1990, Falko a aidé au développement d’un réseau en mettant en contact des graffeurs amateurs sud-africains et des vétérans du genre en Europe. Cela avait pour objectif de permettre à ces artistes d’apprendre les uns des autres. En 1996, il a créé le premier concours de graffiti en Afrique du Sud. Celui-ci s’appelait «Battle With Vapours» et s’est poursuivi durant plusieurs années.
Ses œuvres décorent les bâtiments partout au Cap, dans le pays et dans d’autres villes au travers du globe. Il dit que son art est décrit comme étant fantaisiste et poétique. Il l’exprime comme une interprétation du monde autour de lui.
« Généralement, ce sont les observations sociales et politiques que je fais qui m'influencent », dit Falko. « Mais je ne les nourris pas à la cuillère. Ce n’est pas toujours évident. Je suis bien au fait que dans les communautés où je vais, je suis le visiteur… je n’aime pas aller dans une communauté et imposer mon point de vue à tout le monde… Je fais une petite œuvre, je place l’esthétique visuelle en premier et après j’y introduis un petit message, et cela varie d’un endroit à un autre. »
Il a étudié le design graphique, mais n’a pas terminé ses études.
« Le graffiti n’était pas quelque chose que j’ai décidé de faire consciemment », dit Falko. « Ce sont des éléments et des personnes autour de moi qui m’ont forcé à faire du graffiti ».
Il a rencontré King Jamo, l’un des artistes hip-hop de la boîte de nuit The Base, à sa deuxième visite des lieux. King Jamo lui a montré le drapeau de sa bande, avec le mot ‘Zulu’ écrit en graffiti. Ensuite, il a dit à Falko qu’ils étaient à la recherche d’un jeune graffeur pour rejoindre son équipe. Depuis cet instant, dit Falko, il était accroché.
« J’ai une personnalité assez obsessionnelle », dit-il. « Et une fois que j’étais dedans, c’était tout ce à quoi je pouvais penser ».
Wisetwo
Dans la ville animée de Nairobi, l’artiste kenyan Wisetwo travaille en art de rue depuis plus d’une décennie.
Il avait un intérêt pour les arts depuis l’enfance, ce qu’il croit être le cas pour tous les enfants.
« Chaque enfant ne pense-t-il pas qu’à peindre ? », demande-t-il. « Et puis, cela ne dépend que de jusqu’où la société vous frappe, vous lave le cerveau. vous dit que la science et les affaires sont plus importantes que les arts ».
Cependant, n’étant pas convaincu qu’il devrait mettre de côté ses pinceaux et ses pots de peinture, Wisetwo est allé à l’université pour obtenir un diplôme en relations internationales, seulement « comme plan de secours », dit-il.
Malgré cela, la peinture reste sa passion et elle l'a fait voyager à travers le monde, du Canada au Yémen. Il réalise la majorité de ses œuvres pour son propre plaisir, pour les afficher dans les festivals et les galeries de rues. Il fait également usage de ses talents sur demande des ONG, comme les Nations Unies, la plupart du temps dans la ville où il réside.
Wisetwo a aussi pris part à la politique dans le passé, mais il préfère éviter de l'inclure dans son art. Autour de la période électorale présidentielle du Kenyan de 2013, avec la permission de la Rift Valley Railway, un groupe d’artistes kenyans ont réalisé un message de paix sur un train de banlieue de 10 wagons. Ce train traversait le bidonville de Kibera, qui a connu beaucoup de violence durant les élections de 2007. Ce dernier s’appelait le Kibera Peace Train et visait à promouvoir la paix.
« Essayer d allier la [politique et l’art] n’est pas une tâche facile », dit Wisetwo. « Ce n’est pas le concept de mon expression. Ce monde à trop de problèmes. Tenter de les réparer n’est pas mon truc. Je ne fais que peindre pour rendre des endroits plus jolis ».
L’an dernier, Wisetwo a eu sa première exposition en solo à Paris.
Sa galerie mettait en vedette des murailles peintes de masques africains. Ces derniers portaient des motifs influencées par des cultures d’anciennes civilisations comme les Mayas, les Aztèques et la Mésopotamie, en plus de hiéroglyphes égyptiens. Wisetwo considère cet ouvrage comme étant une vraie représentation de son style.
« Si vous regardez l’art de rue et le graffiti, vous découvrez beaucoup d’influence américaine et européenne. Le fait que j’ai été élevé sur un autre continent ne veut pas dire que je doive adopter une culture de peinture américaine ou une culture de peinture européenne ». Dit Wisetwo. « Les gens font toujours cela. Alors, j’ai seulement décidé de rester près de mes racines, peindre d’où je viens, et à partir de ce qui m’intéresse beaucoup dans les textes anciens et les anciennes cultures. C’est la meilleure manière de m’exprimer ».
Vajo
Vajo, de Gabès en Tunisie, est un artiste à considérer. Il a été propulsé sur la scène internationale en 2011, durant la révolution tunisienne, également connue sous le nom de Révolution du Jasmin. Cette dernière a été la première d’une vague de révoltes dans le monde arabe, appelée le Printemps Arabe.
Vajo a aussi figuré dans un documentaire intitulé PUSH Tunisia, qui a réuni différents skateboarders, activistes et artistes de rue.
Ils en sont venus à se faire connaître comme étant ‘Les Bédouins’. Le groupe utilisait leur savoir faire pour faire la promotion de la paix dans le pays déchiré par les révoltes. Ils ont transformé le manoir saccagé d’un membre de l’ancienne famille présidentielle en un repaire pour esprits créatifs.
Durant l’été 2014, Vajo a participé à Djerbahood, un projet organisé par la Galerie Itinerrance parisienne, impliquant 150 artistes de 30 nationalités différentes. Ils ont transformé le village de Erriadh sur l’île de Djerba, Tunisie, en un « musée à ciel ouvert », peignant librement autant de murs qu’ils le désiraient. L’île est une attraction majeure pour le pays et elle l’est encore plus avec le travail de ces artistes.
Vajo tente aussi de garder cette forme d’art en vie ; il a participé à un atelier financé par l’ambassade américaine de Tunisie pour donner un cours intensif sur l’art du graffiti à des enfants.