Avec l'arrivée de la “caravane de migrants”, le Mexique affronte son côté anti-immigration

“Ces migrants vont augmenter les taux de la délinquance dans le pays.
Chercher à sauver sa vie en fuyant dans un autre pays n'est pas un crime.”Dessin largement diffusé prônant des échanges en ligne plus tolérants envers l'immigration centre-américaine, partagé en partenariat par plusieurs organismes de recherche sur la migration et la défense des droits de l'homme en Amérique Latine.  Utilisé avec autorisation.

Avec les milliers de citoyens centraméricains, plus connus sous le nom de la “caravane de migrants”, qui franchissent leurs frontières, les Mexicains touchent du doigt les réalités migratoires de la région, agrémentées d'une forte dose d'intolérance qui rappelle les discours anti-migrants des États-Unis.

Le nombreux groupe de personnes en mouvement, très souvent composé de familles entières avec des enfants en bas-âge, avance par vagues successives et avec des objectifs distincts. Même si une bonne partie de ces gens ont comme destination finale les États-Unis, qui les attendent de pied ferme [fr], d'autres cherchent à obtenir l'asile au Mexique.

Jusqu'à présent on a dénombré cinq “caravanes” [fr], certaines d'entre elles organisées sur Facebook. Les premiers jours, alors que la caravane se frayait un chemin à travers le Mexique, les réseaux sociaux mexicains, plus particulièrement #CaravanaMigrante et #CaravanaMigranteCDMX ont relayé des opinions variées, mais le plus souvent elles ont renvoyé une image du pays manifestement anti-immigration.

Ce qui ressort de ces publications, c'est la criminalisation et le discrédit qu'elles jettent sur l'image du migrant centraméricain et leur similitude avec le discours anti-immigration des États-Unis. Quelques exemples empruntés à la tendance #CaravanaMigrante illustrent ces propos :

On peut nous traiter de fascistes ou de Donald Trump. En tant que Mexicains nous avons le droit de défendre la souveraineté de notre pays et la sécurité de nos familles. Non à la #CaravanaMigrante et qu'ils retournent construire et travailler dans leur pays qui est l'endroit où ils devraient être

Ils vont avoir beaucoup de mal à passer aux États-Unis, et je doute fort qu'ils retournent dans leur pays d'origine ; ils vont rester au Mexique. En attendant quoi ? Que le gouvernement les entretienne ?

Le média mexicain en ligne Plumas Atómicas a recueilli plusieurs réflexions de la même veine et les a remises en cause en évoquant les politiques migratoires tout au long de l’histoire du Mexique:

México tiene una larga y orgullosa tradición de puertas abiertas ante las poblaciones perseguidas, exiliadas y violentadas: desde los judíos españoles durante la Nueva España; los irlandeses que se unieron a la defensa de México durante la invasión estadounidense; los libaneses que huyeron de la hambruna en su país en la década de 1920, los republicanos exiliados durante la Guerra Civil española y tras la victoria de Franco; los brasileños, argentinos, paraguayos, colombianos, peruanos y uruguayos que salieron perseguidos por las dictaduras militares en sus países […] ¿por qué hay exiliados y refugiados de primera y de segunda?

Le Mexique a une longue et fière tradition d'accueil envers les populations persécutées, exilées et violentées : à commencer par les juifs espagnols à l'époque de la Nouvelle Espagne, les Irlandais qui avaient participé à la défense du Mexique pendant la guerre contre les États-Unis, les Libanais fuyant la famine dans leur pays dans les années 20, les exilés républicains pendant la Guerre civile espagnole après la victoire de Franco, les Brésiliens, Argentins, Paraguayens, Colombiens, Péruviens et Uruguayens persécutés par les dictatures militaires dans leurs pays […] Pourquoi y aurait-il des exilés et des réfugiés de première et de seconde classe ?

Dans la même veine, des sociologues et des journalistes de renom comme Patricio Solís et Miguel Carbonell ont souligné l'ironie de la vague d'opinions négatives apparues sur internet quand on sait à quel point les citoyens mexicains ont été lourdement stigmatisés par les politiques anti-migrants du gouvernement des États-Unis :

Ce mème sur la caravane des migrants nous renvoie au miroir raciste du nationalisme métis mexicain, et sa formidable aspiration (à être blanc) et qui, pour la première fois de son histoire est menacé par une migration venant du sud. Je crains fort qu'il n'y en ait beaucoup d'autres à l'avenir.

Refuser à ceux qui forment la caravane de migrants un traitement digne et humain nous met au niveau des gouvernements xénophobes et racistes que nous critiquons depuis des années. Nous ne devons pas tomber dans le piège de la rhétorique anti-immigrants qui nous vient des États-Unis.

“Recrachés par leurs propres pays”

L'origine commune de ce mouvement migratoire, cependant, est de chercher à échapper à la pauvreté et à la violence qui sévissent dans les pays du Triangle du Nord [fr]. C'est le point de vue du journal numérique centraméricain El Faro, qui souligne la part de responsabilités qu'ont les gouvernements des pays voisins sur les milliers de personnes qui sont aujourd'hui “recrachées par leurs propres pays” :

¿De qué se alejan familias enteras expuestas al camino cruel, al poder de los territorios del narco, a la violencia sexual, al secuestro, y hoy incluso a las amenazas del presidente de Estados Unidos de enviar al ejército? […] Huyen de la represión de un tirano en Nicaragua y de los delirios de un corrupto incapaz en Guatemala. Huyen de la incapacidad de los gobiernos salvadoreños, tanto de ultraderecha como de ultraizquierda, para poner fin a los homicidios, a la desigualdad y a la corrupción. Huyen de la violencia ejercida por pandillas deportadas por Estados Unidos, que exige ahora lealtades a cambio de migajas, cuando es corresponsable de la situación en el istmo. Huyen de élites indolentes y de décadas de esperar un futuro que nunca llega.

De quoi s'éloignent ces familles entières exposées à la cruauté du chemin, au pouvoir des territoires des narco-trafiquants, aux violences sexuelles, aux enlèvements, voire maintenant aux menaces du Président des États-Unis qui parle d'envoyer l'armée ?  […] Ils fuient la répression d'un tyran au Nicaragua et les délires d'un incapable corrompu au Guatemala. Ils fuient l'inaptitude des gouvernements du Salvador, qu'ils soient d'extrême-droite ou d'extrême-gauche, à mettre fin aux homicides, à l'inégalité et à la corruption. Ils fuient la violence exercée par les gangs expulsés des États-Unis, qui exige leur loyauté en échange de miettes alors qu'ils sont coresponsables de la situation dans l'isthme. Ils fuient ces élites indolentes et des décennies à attendre un avenir qui ne vient jamais.

Puis qui conclut :

En esas caravanas están las claves de todos los problemas de la región, incluyendo a México y Estados Unidos. [Su criminalización significa] culpar a los migrantes por las respuestas que los gobernantes de la región, de Managua a Washington, no saben encontrar.

Ces caravanes représentent les clés de tous les problèmes de la région, Mexique et États-Unis inclus. [Leur criminalisation revient à] reprocher aux migrants l'incapacité des dirigeants de la région, de Managua à Washington, à trouver des réponses.

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