Venezuela : des sites internet bloqués, des médias censurés, les tensions liées à la lutte pour le pouvoir s'intensifient

Détail de l'illustration de l'artiste vénézuélien Eduardo Sanabria. Image tirée de son profil Facebook, avec son autorisation.

Alors que l'incertitude [fr] plane encore sur la situation politique au Venezuela, des groupes de défense des droits humains locaux et internationaux dénoncent des blocages intermittents sur différentes plateformes de médias sociaux (y compris Twitter et Instagram) ainsi que des cas de censure de la presse.

D'après eux, les blocages ont commencé le 21 janvier 2019 et se sont intensifiés à partir du 23 janvier, quand Juan Guaidó, président de l'Assemblée nationale du Venezuela, a invoqué des articles de la Constitution de 1999 pour destituer Nicolás Maduro, en poste depuis 2013. Les manifestations contre Maduro ont augmenté dramatiquement [fr] dans la capitale, Caracas, mais aussi dans d'autres parties du pays.

Les Vénézuéliens retiennent leur souffle, car une part importante de la communauté latino-américaine et plusieurs acteurs internationaux incontournables, dont les États-Unis, ont exprimé leur soutien à Guaidó comme président provisoire du Venezuela. Les pays qui ne partagent pas cette position sont le Mexique, l'Uruguay, la Bolivie et Cuba. Au niveau international, la Chine et la Russie ont exprimé leur soutien à Maduro.

Cette longue et douloureuse lutte pour le pouvoir au Vénézuéla, qui a entraîné de sérieuses difficultés économiques pour la majeure partie de la population, semble maintenant à la merci des négociations internes et des pressions internationales.

Des stratégies de blocage plus sophistiquées

En attendant, la surveillance exercée sur l'information et les moyens de communication, par des mesures qui n'ont cessé d'augmenter ces dernières années [fr], devient chaque jour plus agressive. Guaidó déclare avoir dû renoncer à plusieurs émissions à la télévision et à la radio après que la Commission nationale des télécommunications (Conetel) eut interdit aux médias de prononcer son nom.

L'organisation locale Internet Sin Filtro (internet sans filtres) rassemble des signalements et effectue des tests tout en partageant des informations pour contourner les blocages. Elle fait état d'obstructions répétées sur différents espaces de médias sociaux (comme Instagram et Twitter) depuis le 21 janvier dans plusieurs régions du pays.

Le Venezuela a bloqué Twitter, YouTube et Instagram ce matin, 21 janvier.

Le blocage utilise des filtres SNI, semblables à ceux du récent blocage de Wikipédia : https://vesinfiltro.com/noticias/wikipedia_2019-01/.

Il paraît que le blocage a été levé, mais certains blocages fonctionnent par intermittence.

Ce fil sera mis à jour.

Carlos Guerra, de Derechos Digitales (Droits numériques), a publié une étude qui analyse comment ces stratégies techniques contrôlent l'information et les moyens de communication à travers internet par des dispositifs toujours plus complexes. D'après Guerra, les stratégies de blocage sont non seulement plus complexes et sophistiquées, mais surtout plus difficiles à surmonter.

Le journaliste Luis Carlos Díaz, qui est accessoirement un collaborateur de Global Voices, explique les effets et les intentions du blocage :

Nous avons enfin des informations sur le blocage d'Instagram au Venezuela. Maduro et Conatel (la Commission nationale des télécommunications) font la chasse aux émissions d'Instagram Live qui ont permis à Guaidó de toucher des centaines de milliers de personnes très rapidement, avec une meilleure audience que la majorité des chaînes de télévision (censurées).

Grave préoccupation concernant le projet de loi sur la cybersécurité

Il est important de souligner que les blocages ne proviennent pas seulement de la crise politique mais qu'ils découlent aussi du contexte de grave préoccupation concernant un projet de loi sur la cybersécurité qui, selon un rapport d'Access Now, “mettrait en danger les droits numériques des Vénézuéliens – et de l'ensemble de l'internet dans le pays”.

D'autres organisations pour la défense des droits numériques, comme Derechos Digitales Amérique latine, ont dénoncé les possibles effets de la loi et se sont unis à une liste d'experts et de chercheurs pour se déclarer contre :

Este nuevo instrumento legislativo, que expande e incrementa los poderes del Ejecutivo para la vigilancia sobre el internet, se convertiría así en una nueva herramienta de control que vendría a sumarse a más de una década de políticas públicas de restricción del flujo de información y de la libertad de expresión en la web.

Ce nouvel instrument législatif, qui étend et accroît les pouvoirs de l'Exécutif sur la surveillance d'internet, se convertirait en un nouvel outil de contrôle qui viendrait s'ajouter à plus d'une décennie de politiques publiques de restriction du flux d'information et de la liberté d'expression sur le web.

Agressions de médias indépendants

Des rapports de moyens de communication en ligne indépendants ont signalé que certaines stations de radio dans tout le pays et la chaîne d'informations chilienne “Noticias 24 horas” ont été retirées de l'antenne et ont été sommées de ne plus donner d'informations sur les manifestations ou de ne plus se référer à Juan Guaidó comme président provisoire.

Le Syndicat national des travailleurs de la presse signale aussi qu'à Maracaibo, au nord-ouest du pays, la Direction générale du contre-espionnage militaire (DGCIM) a investi le siège de la chaîne de télévision régionale GlobalTV :

Alerte SNTP I Des fonctionnaires du contre-espionnage militaire, à Maracaibo, ont perquisitionné le siège de GlobalTV et l'ont retirée de l'antenne pour avoir transmis le discours de Juan Guaidó. C'est la raison donnée par le chef de la Commission qui est arrivé sur les lieux avec 15 véhicules d'équipes.

La SNTP signale aussi les différents ordres et avertissements émis par la Commission nationale de télécommunications (Conatel) :

Alerte SNTP I Nicolas Maduro menace de retirer leurs autorisations à certaines radios. Ce 24 janvier, l'émission de César Miguel Rondón, Circuito Exitos, a été censurée, le privant de la possibilité de commenter les événements du 23 janvier, qui ont fait les manchettes dans le monde entier.

Au même moment, on demandait à la station de radio communautaire Fe y Alegría (Foi et joie) de “revoir” sa programmation et d'en exclure certaines émissions, comme celle que dirige l'organisation des droits humains Provea. Rafael Uzcátegui, directeur de Provea, a diffusé la nouvelle sur Twitter:

Conatel ordonne à la radio Fe y Alegría de revoir toute sa programmation et d'exclure les émissions d'opinion indépendantes, comme Son Derechos de Provea (Ce sont des droits, de Provea)

Alors que les manifestations continuaient et que Guaidó prononçait ses discours, la plupart des organes de presse poursuivaient leur programmation habituelle, comme le rapporte Efecto Cocuyo:

Las manifestaciones en pleno apogeo y en Globovisión hablaban sobre obras de teatro a las 11:30 de la mañana. A la misma hora, en sus canales de Youtube, Televen y Venevisión tampoco transmitían lo que ocurría en Venezuela este 23 de enero.

Les manifestations atteignaient leur paroxysme et sur Globovisión, à 11h30ont parlait d’œuvres théâtrales. Au même moment, les chaînes de télévision Televen et Venevisión, sur Youtube, n'ont rien montré de ce qui se passait au Venezuela ce 23 janvier.

Ces blocages et ces contrôles de l'information se produisent dans un écosystème médiatique déjà limité, qui oblige les Vénézuéliens à dépendre d'internet et des médias indépendants pour avoir accès aux informations cruciales. Pendant que la communauté internationale choisit son camp et que les tensions empirent, des contrôles plus nombreux devraient s'exercer sur les médias traditionnels et en ligne.

Pour une meilleure compréhension de la situation, lisez notre dossier spécial : Que se passe-t-il au Venezuela ?.

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