
Son Altesse royale Muhammadu Sanusi II, ancien émir de Kano. Image de T.Y. Bello, sous licence CC BY-SA 4.0.
L’article d'origine a été publié en anglais le 19 mars 2020.
Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient à des pages en anglais.
Muhammadu Sanusi II, le 14e émir de Kano, a été détrôné le 9 mars par le gouverneur Abdullahi Ganduje de l'État de Kano, dans le nord-ouest du Nigeria.
Selon les articles publiés dans le Guardian, un journal nigérian, la destitution de l'émir a été décidée par un vote unanime du Conseil exécutif de l'État de Kano.
Usman Alhaji, secrétaire du gouvernement de l'État de Kano, a accusé l'émir Sanusi d'« insubordination totale » et de « non-respect des instructions légales » du gouverneur de l'État. Alhaji a également accusé l'émir d'avoir enfreint « la partie 3, section 13 (a-e) de la Loi 2019 de l'émirat de l'État de Kano ».
La loi de 2019 portant sur l'émirat de Kano divise l'État en cinq royaumes indépendants. Cependant, un tribunal de Kano a annulé cette loi en novembre 2019, avançant le fait qu'elle était « défectueuse et n'avait pas suivi la procédure prévue ».
Muhammadu Sanusi II a donc accepté sa destitution du trône comme étant la « volonté de Dieu », rapporte la BBC, et Aminu Ado Bayero a été nommé comme successeur par le gouverneur Abdullahi Ganduje :
Urgnet : Le nouveau Emir est annoncé. L'émir de Bichi, Aminu Ado Bayero, a dévoilé le nouvel émir de Kano. L'annonce a été faite par le SSG quelques heures après la destitution de Muhammadu Sanusi II. La nomination prend effet immédiatement selon le SSG.@GovUmarGanduje | @NGRPresident pic.twitter.com/gcO79xcNCJ
— ARISE News Feed (@ARISEtv) March 9, 2020
Urgent : Le nouvel émir est annoncé. L'émir de Bichi, Aminu Ado Bayero, a été déclaré nouvel émir de Kano. L'annonce a été faite par le SSG [Secretary to State Government, ndt.] quelques heures après la destitution de Muhammadu Sanusi II. La nomination prend effet immédiatement selon le SSG.
Après sa destitution, Sanusi a immédiatement été banni d'Awe, une ville située dans l'arrière-pays de l'État de Nasarawa, au centre-nord du Nigeria. L'émir déchu a contesté son bannissement puis, le 13 mars, un tribunal siégeant à Abuja, la capitale du Nigeria, a ordonné sa libération de « la détention et de la garde à vue postérieure à la destitution », rapporte le Premium Times.
L'ancien émir a quitté Awe le même jour en compagnie de son ami, le gouverneur de l'État de Kaduna, Nasir El-Rufai.
Malam Nasir @elrufai and HH Muhammadu Sanusi II are Abuja bound… pic.twitter.com/0MkbjvCJWP
— Governor Kaduna (@GovKaduna) March 13, 2020
Malam Nasir @elrufai et S.A. Muhammadu Sanusi II à destination d'Abuja…
Dans la même journée, Sanusi avait dirigé les prières du vendredi à la mosquée centrale d'Awe :
The deposed Emir of Kano, Sanusi Lamido Sanusi, on Friday led juma'at prayers at the Awe Central Mosque, in Nasarawa. He was accompanied by Kaduna Governor Nasir El-Rufai.
In this video, he can be seen heading to the mosque.
Credit: Abel Daniel#SanusiLamidoSanusi #NasirElRufai pic.twitter.com/SmDUgbITll— The Guardian Nigeria (@GuardianNigeria) March 13, 2020
L'émir destitué de Kano, Sanusi Lamido Sanusi, a dirigé la prière du juma'at ce vendredi à la mosquée centrale de Awe, à Nasarawa. Il était accompagné par le gouverneur de Kaduna, Nasir El-Rufai.
Dans cette vidéo, on peut le voir se rendant à la mosquée. Crédit : Abel Daniel #SanusiLamidoSanusi #NasirElRufai
Selon le chercheur en relations internationales Gimba Kakanda, l'émir – « l'homme dont nous sommes tombés amoureux » – est un intellectuel public et on ne peut pas lui enlever cela.
The man we fell in love with is called Sanusi Lamido Sanusi, and what’s made him the darling of the progressives is his characteristic public intellection. You can never take that away from him. There’s always a price to pay for refusing to play by the book of the Establishment. pic.twitter.com/ZLWTl1tJgO
— Gimba Kakanda (@gimbakakanda) March 9, 2020
L'homme dont nous sommes tombés amoureux est Sanusi Lamido Sanusi, et ce qui a fait de lui la coqueluche des progressistes, c'est son statut singulier d'intellectuel public. On ne pourra jamais lui retirer cette caractéristique. Il y a toujours un prix à payer quand on refuse de suivre les règles du pouvoir en place.
La politique derrière l'intronisation et la destitution de Sanusi
L'intronisation de Sanusi Lamido Sanusi en tant qu'émir et son détrônement ultérieur sont tous deux liés à une vie politique mouvementée dans son État d'origine, Kano. Par conséquent, « le titre d'émir de Sanusi a été modelé dans le creuset de la politique partisane et y a été dissous », a écrit Farooq A. Kperogi, dans un article paru dans le Nigerian Tribune.
Fin 2013, M. Sanusi, alors gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, a notifié à l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan de la disparition de 20 milliards de dollars américains de chiffre d'affaires issus de la compagnie pétrolière du Nigeria. Il a été suspendu de ses fonction en février 2014, et accusé d'« imprudence financière et de mauvaise gestion ».
Reuters a révélé en février 2015 qu'une commission sénatoriale ayant enquêté sur cette allégation a découvert que « le rapport des faits par M. Sanusi n'était pas suffisamment étayé ».
Au moment de la suspension de M. Sanusi, le Parti démocratique du peuple (PDP) était au pouvoir alors que le Parti progressiste (APC) était dans l'opposition.
Le gouverneur de l'État de Kano de l'époque, Rabiu Musa Kwankwaso (alors membre de l'APC) a nommé M. Sanusi émir de Kano, afin de contrarier le parti au pouvoir suite à l'affaire des revenus pétroliers manquants et au limogeage qui en a découlé :
The 2 custodians of Kano State. His Excellency, Rabiu Musa Kwankwaso and His Royal Highness, Sanusi Lamido pic.twitter.com/JboxWJnmkb
— Peacock (@dawisu) June 9, 2014
Les 2 gardiens de l'État de Kano. Son Excellence, Rabiu Musa Kwankwaso et Son Altesse Royale, Sanusi Lamido
M. Kwankwaso avait nommé M. Sanusi émir en 2014, vers la fin de son mandat de huit ans comme gouverneur de l'État de Kano. L'adjoint de M. Kwankwaso, Abdullahi Umar Ganduje, lui a succédé au poste de gouverneur en 2015.
Puis l'entente entre M. Kwankwaso et M. Ganduje s'est désintégrée. M. Sanusi a alors été pris entre deux feux.
Les deux rivaux se sont engagés dans une bataille politique d'attrition. M. Ganduje a annulé tous les projets initiés par son prédécesseur pendant son mandat de gouverneur. Cette amère rivalité s'est intensifiée lorsque M. Kwankwaso a opposé une résistance à la candidature de M. Ganduje pour un second mandat lors des élections de 2019.
M. Sanusi a soutenu le candidat favori de M. Kwankwaso, Abba Kabir, lors des élections de 2019, ce qui lui a valu l'hostilité du gouverneur Abdullahi Ganduje.
En mai 2019, M. Ganduje a subdivisé l'ancien royaume de Kano en cinq royaumes indépendants, vraisemblablement pour se venger de la prise de position partisane de l'émir Sanusi.
En juin 2019, M. Ganduje, par l'intermédiaire de la Commission des affaires publiques et de la lutte contre la corruption de Kano, a poursuivi l'enquête sur Sanusi « pour des scandales financiers qui remontaient à 2017 ».
Lire aussi : Au Nigeria, montée des tensions dans la royauté de Kano avec le procès pour corruption du roi [fr]
Le 6 mars, un tribunal de Kano a délivré une ordonnance demandant à la Commission des plaintes du public et de la lutte contre la corruption de Kano de ne pas poursuivre l'enquête sur l'émir Sanusi.
Le Guardian du Nigeria a indiqué que le tribunal avait ordonné la suspension de « toute tentative de la commission ou de toute personne agissant en son nom en attendant l'audience du 18 mars 2020 ».
Un roi qui fait entendre sa voix
Le grand-père de M. Sanusi, Muhammadu Sanusi I, a été le 11e émir de Kano de 1953 à 1963, date à laquelle il a été limogé par le gouverneur du nord du Nigeria de l'époque, Sir Ahmadu Bello.
History has repeated itself…
In the year 1963, the Emir of Kano Sir Muhammadu Sanusi I was ovethrowed as a result of power struggle between him & Ahmadu Bello.57 years later, Emir Sanusi Mohammed Sanusi II his direct descendant has been dethroned by Ganduje.
Wayo Allah Na! pic.twitter.com/iMrt6EqjFH— Photo Waka (@PhotoWaka1) March 9, 2020
L'histoire se répète…
En 1963, l'émir de Kano, Sir Muhammadu Sanusi I, a été renversé à la suite d'une bataille de pouvoir entre lui et Ahmadu Bello.
57 ans plus tard, l'émir Sanusi Mohammed Sanusi II, son descendant direct, a été détrôné par Ganduje.
Wayo Allah Na ! [En haoussa : Mon Dieu !, ndt]
Ainsi, l'ascension au trône de Muhammadu Sanusi II, 51 ans après la destitution de Muhammadu Sanusi I a été interprétée comme « une revanche pour son grand-père », écrit Mahmud Jega dans le Daily Trust.
L'émir destitué était très engagé sur des questions sociales comme la pauvreté et la malnutrition dans le nord du Nigeria.
The video that cost Emir Sanusi Lamido Sanusi his throne. In his speech, he touches area he ought not to ventured into. The very areas some elites are comfortable with. pic.twitter.com/FxuFisFNJk
— ?? ?? ?? ????? ???????? (@DRElMo_ATIKU) March 10, 2020
La vidéo qui a coûté à l'émir Sanusi Lamido Sanusi son trône. Dans son discours, il aborde un domaine dans lequel il ne devrait pas s'aventurer. Les domaines dans lesquels certaines élites sont à l'aise.
#BREAKING News. this is the speech that makes Ganduje to remove Sanusi as king of Kano in case you missed it.. pic.twitter.com/uLzyzwrInx
— BoB Cyril¶ (@BOBCyril2) March 9, 2020
#URGENT c'est le discours qui pousse Ganduje à éliminer Sanusi comme roi de Kano au cas où vous l'auriez manqué…
M. Sanusi était connu pour ses prises de position sur divers problèmes sociaux touchant les habitants de Kano. Le Fonds des Nations unies pour l'enfance estime que les enfants du nord du Nigeria manquent cruellement de nourriture et la Banque mondiale indique que 87 % de tous les Nigérians pauvres vivent dans le nord.
M. Sanusi est un intellectuel nordiste progressiste, bien qu'il ait une tendance à la provocation.

L'émir de Kano sur son trône, en septembre 2016. Photo de Don Camillo DonCamillo via Wikimedia Commons, sous licence CC BY-SA 4.0.
En 2017, M. Sanusi avait violé le protocole en se faisant représenter par sa fille, la princesse Shahida Sanusi, lors d'un événement public. C'était la première fois qu'une femme remplaçait un roi du nord du Nigeria.
Au cours de cette cérémonie, Shahida Sanusi a déclaré que son père n'avait pas peur de dire la vérité, même si cela devait lui coûter son trône :
“My father is not afraid of giving up his throne if it stands in the way of speaking the truth. Those who think that my father would keep quiet because he wants to hold on to his throne, I think they don’t know my father… ~ Shahida Sanusi, 2017. pic.twitter.com/o9s2f9zQJF
— Kwankwason Tuwita? (@baba__________) March 9, 2020
“Mon père n'a pas peur de renoncer à son trône si cela fait obstacle à la révélation de la vérité. Ceux qui pensent que mon père se tairait parce qu'il veut s'accrocher à son trône, je crois qu'ils ne connaissent pas mon père… ~ Shahida Sanusi, 2017.
Farooq A. Kperogi, dans un article paru dans le Nigerian Tribune, a déclaré que M. Ganduje avait détrôné M. Sanusi comme émir de Kano « parce qu'il ne pouvait pas supporter la désapprobation de l'ancien émir quant à la fraude électorale qui l'avait porté au pouvoir ».
Cette position de principe de l'ancien émir n'a pas été bien accueillie par la classe politique de Kano, qui lui a coupé les ailes et a mis fin à son règne.