Crises humanitaires en RDC et au Soudan : plus de 14 millions de déplacés et risque de famine

Membres du Mouvement M23, principal groupe armé dans l'est de la RDC ; Capture d'écran de de la chaîne YouTube ARTE

En 2024, deux conflits majeurs concentrent une grande partie du déploiement des missions humanitaires en Afrique : la guerre en République démocratique du Congo (RDC) et la guerre au Soudan.

Dans ces deux pays, les chiffres des victimes ne cessent d'augmenter: fin 2023 on dénombre au Soudan plus de 7,3 millions de déplacés. Dans l'est de la RDC, la guerre a fait plus de 7,1 millions de déplacés. Aujourd'hui les attaques armées de tous les bords continuent, remettant en cause tous les efforts consentis pour une assistance humanitaire jusqu'à présent.

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Interviewé par Global Voices, Marcelin Ridja, acteur humanitaire ayant travaillé dans de nombreuses crises en Afrique, propose son témoignage concernant la situation dans ces deux pays à partir de son expérience sur le terrain.

Jean Sovon (JS): Les conflits meurtriers en RDC et au Soudan ne mettent-ils pas les missions humanitaires à rude épreuve sur le continent africain?

Marcelin Ridja (MR) : En effet, les conflits en RDC et au Soudan représentent de sérieux défis pour les missions humanitaires, poussant leurs capacités d'intervention à leurs limites et mettant en péril l'assistance aux populations affectées. Le système de l’aide doit aller au delà ses limites: avec plus de 7 millions de personnes affectées au Soudan et près de 7 millions en RDC, ces crises humanitaires s’étendent à plusieurs pays d’Afrique, et nécessitent une solidarité renforcée et attention particulière. Il est urgent que les citoyens du monde se mobilisent.

Photo de Marcelin Ridja, utilisée avec permission

JS : Qu’en est-il de l'applicabilité du droit international humanitaire (DIH) dans ces zones de conflits?

MR : L'impact du droit international humanitaire dans les zones de conflits est indispensable, mais les récents événements soulignent la nécessité de penser à une réforme pour mieux protéger les civils et garantir le respect des principes humanitaires. Face aux violations des droits humains et des principes humanitaires dans les conflits, une révision et une adaptation du droit international humanitaire à la réalité actuelle sont essentielles pour répondre aux besoins des populations affectées. En tant qu'acteurs humanitaires, nous devrions réfléchir et méditer sur cette citation de Socrate : “Le secret du changement consiste à concentrer toute votre énergie non pas à lutter contre le passé, mais à construire le futur.” Il est donc essentiel d'oser repenser les principes humanitaires pour le bien des générations futures, à mon avis.

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JS : Qui sont les plus touchés au sein des populations? Quelles sont les priorités en matière d'aide humanitaire?

MR : Les enfants, les femmes et les personnes âgées sont les plus durement touchés par ces conflits, subissant le poids des conséquences dans ces conflits . Les besoins les plus urgents sont la protection des civils, la nourriture, les médicaments, l'eau et autres éléments essentiels à leur survie. Cependant, l'accès humanitaire est de plus en plus restreint en raison de la violence, et cette situation risque de s'aggraver si aucune action forte n'est prise dans les prochains jours.

Les priorités sont multiples, mais la première et la plus essentielle est de mettre un terme à la violence. Lorsqu'une personne est contrainte de fuir son domicile pour trouver refuge dans un lieu inconnu, il est aisé de comprendre les besoins vitaux des familles pour tout recommencer à zéro.

JS : Quel est le quotidien des réfugiés sur le terrain?

MR : Les violences des conflits ont plongé de nombreuses familles dans des situations de grande précarité. Les femmes, les enfants et les personnes âgées passent parfois des journées entières sans manger, sans avoir accès à des médicaments, et même trouver de l'eau peut être très difficile. En plus de cette situation humanitaire dramatique, ces familles continuent de fuir par crainte pour leur vie. J'ai pu observer cela en RDC et à l'est du Tchad lors de l'arrivée de réfugiés soudanais.

Actuellement, la situation d’insécurité alimentaire est assez grave au Soudan, et il y a un réel risque de glisser dans la famine si la violence continue. Dans plusieurs zones dont le Darfour, les familles n'ont pas assez à manger au quotidien, exposant ainsi les enfants, les personnes âgées et les femmes à de graves dangers. Le risque de famine, de malnutrition aiguë et de mortalité augmente rapidement. Lors d'une récente visite en RDC, j'ai été témoin de situations très troublantes concernant la réalité des déplacés. Les besoins en nourriture, en abri et en protection sont très importants. Les femmes et les hommes peuvent même échanger de la nourriture contre des rapports sexuels dans un contexte de violence dramatique.

La violence doit prendre fin et la dignité de tous doit être une priorité dans ces conflits. Personne ne devrait vivre ce que je décris actuellement, pourtant des millions de familles passent leurs journées entières dans de telles conditions.

JS : Quelle devrait être la démarche des puissances étrangères pour aider l’est de la RDC à entrer dans une période de cessez-le-feu?

MR : Outre les acteurs impliqués directement dans le conflit en RDC, l'implication des acteurs extérieurs est une réalité, influençant à divers degrés le déroulement de la crise. Il est regrettable que malgré cette implication multiple, aucun acteur n'ait pu mettre fin au drame qui affecte près de 7 millions de personnes dans une crise humanitaire complexe.

Pour favoriser un cessez-le-feu immédiat dans l'est de la RDC et restaurer la paix, il est impératif que les acteurs extérieurs s'engagent de manière constructive. Les Congolais doivent également prendre en main leur destin et travailler en faveur d'un dialogue et d'une médiation afin d'instaurer la stabilité et protéger la dignité des civils. La priorité doit être à la protection des populations et à la promotion de la paix pour sortir ce pays de la spirale de la violence et de la guerre. Toutes les parties prenantes impliquées dans le conflit en RDC doivent comprendre qu'il est urgent de saisir que la paix est l'objectif ultime qui doit être poursuivi à tout prix en ce moment.

JS : Face à la complexité des crises actuelles en ce qui concerne la protection des civils et l'insécurité alimentaire, quelles approches recommandez-vous pour faire face à cette situation dramatique ?

MR : Les chiffres reflètent une réalité glaçante, bien éloignée d'un scénario de film de science-fiction. En RDC, la situation est alarmante avec près de 200 personnes tuées depuis le début de l'année par exemple. Les besoins humanitaires sont colossaux : plus de 7 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays et 23 millions de personnes souffrant d'insécurité alimentaire. Au Soudan, la crise est tout aussi préoccupante, avec près de 8 millions de déplacés depuis avril 2023, dont 4 millions d'enfants. Le Soudan est désormais le pays hébergeant le plus grand nombre de déplacés au monde et fait face à une détérioration alarmante de la disponibilité alimentaire.

Certains régions au Soudan risquent de basculer dans la famine si des mesures urgentes ne sont pas prises. Ces crises auront un impact considérable sur la vie de millions de civils dans ces pays d'Afrique. Il est inquiétant de voir la violence s'intensifier et la menace de la famine planer sur ces régions au 21e siècle. La solution, bien que simple en théorie, implique soit l'arrêt de la violence par une action décisive de la communauté internationale et continuer à soutenir le mécanisme de réponse d’urgence et coordonnée pour protéger les populations civiles et assurer leur sécurité.

 

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