Le texte qui suit est le troisième et dernier d'une série en trois parties, la republication d'un article écrit par Carlos E. Flores, publié à l’ origine par Connectas et adapté avec l'aide de l'auteur. L'article complet présente des données et des analyses de cas qui contrastent avec la position de l'Équateur devant les institutions internationales de protection des droits de l'homme. La première partie de cette série présentait les témoignages des victimes de l'emprisonnement forcé et peut être lue ici [fr]. La deuxième partie traitait du fonctionnement du système judiciaire en Équateur face à ces pratiques. L'article a été réédité pour Global Voices avec l'aide de l'auteur.
Cette dernière partie rend compte du travail des organisations et des militants qui luttent pour les droits des personnes LGBTQI et contre le plus puissant obstacle à l'avancement de leur cause : les conventions sociales.
En février 2017, la ville de Cuenca, dans le sud de l'Équateur, a approuvé une ordonnance municipale pour l'inclusion et le respect de la diversité sexuelle. Cette ordonnance interdit les centres offrant des remèdes supposés pour l'homosexualité, la bisexualité ou les identités trans.
En dépit de ces règles qui visent à réglementer et empêcher l'enlèvement et la maltraitance des personnes LGBTQI, les cas n'ont pas cessé.
Lorsque ces cas se produisent, le règlement susmentionné stipule à l'article 8 que “les autorités municipales chargées du contrôle de l'utilisation des terres procéderont à une fermeture définitive. Une fois le processus de sanction terminé, par l'autorité municipale compétente, les résultats seront envoyés à l'autorité pénale correspondante.”
Cependant, cette même année et dans la même ville, deux femmes lesbiennes ont été emprisonnées contre leur volonté, une affaire qui a mobilisé les activistes et les autorités locales pour les rechercher.
Il y a eu aussi le cas d'Elías dans la province côtière de Guayas. Le garçon avait ouvertement déclaré son homosexualité et sa mère, qui avait de fortes convictions religieuses et avait pris des dispositions pour le confiner d'abord dans une école adventiste à Santo Domingo de Tsáchilas, puis dans une clinique clandestine à Quinindé, dans la province d'Esmeraldas, à la frontière avec la Colombie.
Selon son cousin, Elías a été enfermé et forcé à frapper ses compagnons dans cette école “parce que c'est ainsi qu'un homme est fait”. Quand il s'est enfui, il est resté un moment chez son cousin, mais Elías s'est rapidement réconcilié avec sa mère et est revenu pour rester avec elle. Un jour, il a disparu et c'est alors que son cousin a porté plainte auprès du Conseil de protection des droits de Guayaquil.
Après son admission de force, Elías et sa mère se sont réunis et ont reçu des soins psychologiques. Elías, selon son cousin, est revenu à une vie normale. Lui et Elías vivent ensemble du lundi au vendredi et, le week-end, le garçon rend visite à sa mère. Selon Ludovico Garcés, l'avocat qui a suivi l'affaire, il n'y a pas eu de poursuites puisque la mère, du moins en théorie, a reconsidéré sa position. Il a dit que ces “cliniques” et les familles tendent à dissimuler leurs motivations aux autorités: “Évidemment, ces centres de torture ne vont jamais vous dire que “nous l'avons admis parce qu'il est gay”. C'est punissable par la loi. “
En dehors de ces cas, Cayetana Salao, de l'atelier de communication des femmes, souligne que son organisation a été informée “de quatre cas [récents], plus deux [dont la personne a été victime à plusieurs reprises].” Ces cas ont été rendus publics dans un texte qui a été présenté en octobre 2017, intitulé “Portraits de confinement, survivants des cliniques de déshomosexualisation”.
“Nous ne déshomosexualisons pas”
De nombreux militants ont été surpris par l'absence de réaction de la municipalité à l'adoption de ces mesures réglementaires à Cuenca, alors même que l'emprisonnement forcé des deux femmes lesbiennes mentionnées précédemment a été révélé. Une des femmes a été admise dans un centre de désintoxication appelé Mujer de Valor (Femme de Courage). Lorsque nous avons parlé avec Marcelo Campuzano, le directeur et propriétaire, il a admis que l'une des jeunes lesbiennes était en effet dans l'établissement, mais il a soutenu que son admission était due à des problèmes d'alcool. “Nous ne déshomosexualisons pas les gens, parce que ce n'est pas notre travail.”
Cependant, le seul document lié à l'affaire qui était disponible pour examen était l'unique exemplaire de la décision de la Direction provinciale de la santé de Cuenca, qui stipule qu'une des femmes avait des problèmes d'alcool et qu'elle avait été emmenée à la clinique. Pourtant la femme n'a jamais signé le formulaire de consentement, poursuit le document ; ceci est contraire à ce que le centre Mujer de Valor avait attesté. Malgré cela, le bureau provincial a libéré le centre de toute responsabilité et lui a seulement ordonné de se conformer aux exigences énoncées dans le règlement.
Lorsqu'on pose des questions sur les cas de déshomosexualisation dans d'autres centres de traitement de la toxicomanie, les réponses des administrateurs sont les mêmes : nous ne déshomosexualisons pas. Certains affirment, catégoriquement, que les admissions qui ont eu lieu étaient toujours dues à la dépendance de la drogue, et que les cas ont été dûment démontrés devant les autorités judiciaires.
Jorge Betancourt de l'organisation Verde Equilibrante, à Cuenca, a déclaré qu'il ne faut pas oublier que la première agression a lieu à la maison :
Muchas veces, en los grupos focales nos han comentado, [que] llegan a consumir el alcohol u otras sustancias porque es un medio que les ahonda sus penas, o la angustia de que en la casa los están martirizando, burlándose o muchas veces, hasta pegándoles. Luego las familias los internan por el uso de alcohol y drogas.
Plusieurs fois, on nous a dit dans les groupes de discussion qu'ils finissaient par consommer de l'alcool ou d'autres substances pour noyer leurs peines, ou leur angoisse d'être martyrisés, ridiculisés et souvent battus à la maison. Ensuite, les familles les font admettre pour avoir consommé de l'alcool et de la drogue.
Annie Wilkinson, l'auteur de “Sin sanidad, no hay santidad” (Sans santé mentale, il n'y a pas de sainteté), un livre qui traite des thérapies de changement d'identité sexuelle forcée en Equateur, a identifié un modèle de ceux qui gèrent les cliniques :
El director de un centro salió desde otro centro. Luego una persona sale de ese segundo centro y abre otro, y de allí sigue igual, creando una cadena o red informal de centros. Algunos están vinculados a personas en el gobierno y muchos tienen relaciones con iglesias cercanas que les ayudan en su trabajo.
Le directeur de l'une de ces cliniques vient d'une autre clinique. Puis une autre personne de cette deuxième clinique part et en ouvre une autre. Cela continue, créant une chaîne ou un réseau informel de cliniques. Certains sont liés à des gens au gouvernement et beaucoup ont des relations avec les églises voisines qui les aident dans leur travail.
“Nous devons décriminaliser l'homosexualité dans les esprits et les cœurs”
Ce ne sont pas seulement les centres de toxicomanie qui offrent ces types de “thérapies”. Les églises font aussi un tel travail sous le nom “d'aide spirituelle”.
La zone grise entre l'expression de la foi, la thérapie psychologique et le changement forcé de l'identité sexuelle produit des réactions variables. Patricio Aguirre, qui a été interviewé alors qu'il était responsable de la Direction nationale des droits de l'homme, du genre et de l'inclusion du ministère de la Santé publique, a assuré que les églises ne devraient pas offrir de tels “traitements”.
Quant à Patricio Benalcázar du Département de la protection des droits des citoyens, il a exploré les limites d'un autre point de vue :
Si las personas libremente consienten en ir a un culto y a un tipo de apoyo espiritual con el ejercicio de su autonomía qué puede hacer usted, qué puedo hacer yo […] otra cosa es si es que hay manipulación, si es que hay abuso y hay algún atentado a tu integridad psíquica, física o moral, donde por supuesto el eje de los derechos humanos tiene que participar.
Si les gens acceptent librement d'aller à un culte ou un type de soutien spirituel, en exerçant leur propre autonomie, que pouvez-vous faire? Que puis-je faire? […] S'il y a manipulation, c'est autre chose. S'il y a une atteinte à votre intégrité mentale, physique ou morale, alors, bien sûr, un représentant [défenseur] des droits de l'homme doit être présent.
Lorsqu'on lui a demandé s'il connaissait des églises impliquées dans des pratiques illégales, il a répondu que non.
Cependant, ceux et celles qui ont été victimes de maltraitance par ces institutions religieuses connaissent très bien la réalité de tout cela. Dans plusieurs de ces cas, les victimes sont enlevées par leurs propres proches avec l'aide d'agents travaillant pour les cliniques, qui les emmènent de force ou sous de faux prétextes. La même méthode est utilisée lorsque les cliniques en question sont des centres de désintoxication. Ceux qui sont confinés de force parviennent à quitter cette réclusion avec l'aide d'autres parents, amis ou partenaires. Néanmoins, après avoir déposé plainte auprès des instances judiciaires, les affaires sont rarement suivis d'actes.
Gabriela Alvear, qui a participé à certaines des inspections qui ont eu lieu dans des centres soupçonnés d'effectuer des “thérapies” de réorientation sexuelle, a conclu :
Vamos a cumplir 20 años de la despenalización de la homosexualidad, pero se requiere despenalizar la homosexualidad de la mente y del corazón de la gente y la sociedad y, adicionalmente, de que el Estado de manera progresiva deje de mirar a la comunidad GLBTI como una minoría y como ciudadanos y ciudadanas de segunda clase.
Nous sommes sur le point de célébrer les 20 ans de décriminalisation de l'homosexualité, mais nous devons décriminaliser l'homosexualité dans les esprits, dans le cœur et dans la société et, en outre, progressivement, l'État doit cesser de considérer la communauté LGBTI comme une minorité et des citoyens de seconde classe.
Pour des descriptions détaillées des cas et plus de témoignages concernant les mauvais traitements subis par les victimes de ces cliniques, lire l’article complet sur Connectas [en espagnol].