Article d'origine publié en anglais le 7 juillet 2019.
Dramaturge serbe influente et militante pacifiste, Borka Pavićević est décédée des suites d’une maladie soudaine, à l’âge de 72 ans, le 30 juin 2019. À travers toute l’ancienne Yougoslavie, des militants de la société civile et des personnalités du monde culturel ont rendu hommage à son héritage exceptionnel.
Borka Pavićević [en] a fondé et dirigé le Centre pour la Décontamination culturelle (Centre for Cultural Decontamination [CZKD] [sr]), une organisation artistique de Belgrade créée en 1994, dont la mission était de combattre le climat de nationalisme, de xénophobie, de haine et de peur qui faisait rage pendant la dislocation de la Yougoslavie et qui a alimenté le dernier épisode des guerres de Yougoslavie (1999-2001) [fr].
Borka Pavićević [1947-2019] R.I.P. – A very dear and courageous friend, in so many civic struggles from the very beginnings and founder and leader of the #Belgrade Center for Cultural Decontamination and so much else… A very sad day https://t.co/LWHEAizQQ8
— Ivan Vejvoda (@IVejvoda) June 30, 2019
Borka Pavićević [1947-2019], puisse-t-elle reposer en paix. Une amie très chère et vraiment courageuse, présente dans tant de combats civiques dès leur début, fondatrice et directrice du Centre pour la Décontamination culturelle à #Belgrade, et tellement plus encore… Une journée bien triste
Le militantisme de Borka Pavićević a commencé lors des manifestations étudiantes de 1968 [en] à Belgrade. À cette époque, elle étudiait à l'académie du Théâtre, du Film, de la Radio et de la Télévision de Belgrade.
L’écrivain Bora Ćosić se souvient [sr] d’elle à cette époque comme d’« une fille rebelle avec des couettes » et la décrit comme « la Mère courage de la seconde Serbie » dans le titre de son éloge funèbre, par comparaison avec le personnage principal de la pièce pacifiste écrite par Bertolt Brecht Mère Courage et ses enfants.
Un avis de décès [en] publié par le CZKD indique qu’elle a vécu une carrière prolifique dans les années 1970 et 1980, en tant que directrice artistique et dramaturge dans de nombreux théâtres à travers la Yougoslavie, mais également dans les célèbres théâtres de Belgrade, le Atelje 212 [l'Atelier 212] et le Théâtre dramatique de Belgrade. En 1993, elle est licenciée de ce dernier en raison de son opposition au régime de Slobodan Milošević.
Pendant de nombreuses années, Borka Pavićević rédige des rubriques dans les journaux Susret, Vreme et Danas, et publie des essais. Elle a reçu le prix de la Fondation pour la paix et la culture d’Hiroshima en 2004, le prix « Ruts » [« le Sillon »] de la Fondation européenne pour la culture en 2009, le prix « Osvajanje slobode » [la « Conquête de la liberté »] de la Fondation Maja Maršićević Tasić en 2005 et la Légion d’honneur décernée par la République française en 2001.
L’étymologie du prénom féminin Borka est liée aux mots serbes désignant le « combat » et le « combattant », une connexion qui n’a pas échappé aux nombreuses personnes ayant rendu hommage à Borka Pavićević sur les réseaux sociaux, ces dernières semaines. Ainsi, l’acteur et militant Sergej Trifunović a twitté :
BORKA. Gledajte je kroz razne prizme i mislite šta god hoćete: Borka Pavićević je bila istrajan i pošten borac. Do kraja. I kad se ne bih slagao sa njom, uvek bih je poštovao. Jer sam radio s njom i za nju i kod nje, kao student i dalje.
Ona je stajala iza svakog čoveka. Uvek.— Serge Truffaut (@WhistlerDick) July 2, 2019
BORKA. On peut la voir de différentes manières et penser d’elle ce que l’on veut, mais une chose est incontestable : Borka Pavićević était une combattante tenace et honnête. Jusqu’à la fin. Et même lorsque je n’étais pas d’accord avec elle, je l’ai toujours respectée. Car j’ai travaillé avec elle et pour elle et chez elle, en tant qu’étudiant et après.
Elle défendait chaque être humain. Toujours.
Quelques utilisateurs de Twitter originaires de Bosnie-Herzégovine ont noté qu’elle a été l’une des rares voix en Serbie à oser dénoncer le génocide de Srebrenica. Ils ont twitté quelques-unes de ces citations comme celle-ci :
“Kad jednom počnete upotrebljavati eufemizme i laži, onda vi i u ostalim dijelovima života to isto činite. Zato je važno da smo precizni i smjeli, da imenujemo i kažemo – genocid” Borka Pavićević
— Arnes Grbesic (@ArnesGrbesic) June 30, 2019
« Une fois que vous avez commencé à utiliser des euphémismes et des mensonges pour désigner quelque chose, vous continuez rapidement à les utiliser pour tous les autres aspects de votre vie. C’est pourquoi il est important de parler avec précision et bravoure de nommer correctement et de dire les choses telles qu’elles sont – génocide. » Borka Pavićević.
La BBC en Serbie faisait remarquer [sr] que le Centre pour la Décontamination culturelle a été la première institution à amener des artistes kosovars à Belgrade grâce au festival annuel « Mirëdita, dobar dan! [en] », dont le nom est un jeu de mots basé sur les prononciations albanaise et serbe de la salutation « bonne journée ». Son rôle dans le processus de réconciliation a été rappelé par des utilisateurs de Twitter du Kosovo.
Sad news. Pavićević was part of the genuine anti-fascist intellectual scene in Belgrade & in the avant-garde of the real normalization of relations btw Albanians & Serbs. Among the pioneers in cultural & intellectual exchanges. https://t.co/CDaa627GBe
— Agon Maliqi (@AgonMaliqi) June 30, 2019
Triste nouvelle. Borka Pavićević était à la fois un membre de la véritable scène intellectuelle antifasciste de Belgrade et en même temps, à l'avant-garde de la vraie normalisation des relations entre Albanais et Serbes. Parmi les pionniers des échanges culturels et intellectuels.
Le dramaturge croate Davor Špišić a déclaré [hr] que Borka Pavićević n’était pas qu’un mentor, mais également « une mère » pour les jeunes écrivains et dramaturges débutants qui ont commencé leur carrière à la fin des années 1980 avec le mouvement transnational KPGT (Kazalište, Pozorište, Gledališče, Teatar). Ce nom est une synthèse de tous les mots désignant le « théâtre » dans différentes langues slaves méridionales de l’ancienne Yougoslavie.
Odlazak Borke Pavićević na daleka sazviježđa ostavio nas je praznima, ali sretnima da smo je imali u svojim univerzitetima. „Nedostatak čitanja je nedostatak erosa. A to je onda i nedostatak slobode“, rekla je u jednoj tv-emisiji o knjizi. Zbogom, Borka, knjigo naša.
Le départ de Borka Pavićević pour une galaxie lointaine laisse un vide en nous, mais nous sommes heureux de l'avoir accueillie dans nos universités. « Le manque de lecture, c’est le manque d’Éros. Et cela se traduit par un manque de liberté », a-t-elle affirmé dans une émission de télévision sur les livres et la lecture [sr]. Adieu, Borca, tu étais notre livre.
Bien que certains Serbes de la droite nationaliste se réjouissent de la disparition de Borca Pavićević, certains ayant lancé un sondage pour savoir si l’on devait autoriser son enterrement en Serbie, ils ont été éclipsés par la vague de souvenirs positifs concernant sa vie, provenant de l’ancienne Yougoslavie et au-delà de ses frontières. Dans le même temps, les acteurs des Balkans se sont engagés à continuer le travail en faveur d’une paix durable, de la tolérance et de la justice dans la région.
#WBSummitPoznan session on regional #reconciliation is just starting. Reconciliation is one of the 4 original @BerlinProcess goals, and no progress has been made on it so far. The session starts with a long applause, instead of a moment of silence, in honour of Borka Pavićević. pic.twitter.com/KFI5z2bICd
— Ana Marjanović Rudan (@ana_rudan) July 4, 2019
La session du #WBSummitPoznan [le festival sur la culture des Balkans de Poznań ] sur la Reconciliation régionale vient de commencer. La réconciliation est l’un des quatre objectifs du Processus de Berlin et aucun progrès n'a été réalisé à ce jour. La séance a commencé avec de longs applaudissements, au lieu d'une minute de silence, en l’honneur de Borka Pavićević.
Les funérailles de Borca Pavićević ont eu lieu le 3 juillet dernier à Belgrade après la crémation de son corps et après que l’ancien hymne yougoslave ait été chanté.