‘La littérature gabonaise a besoin d'être publiée au pays': Interview avec LePresqueGrand Bounguili, poète et activiste littéraire

Capture d'écran de la chaîne YouTube de Voice4Thought.

Souvent cité comme une économie modèle dans la region, le Gabon est un pays riche en ressources minières et forestières. Mais la vraie richesse d'un peuple n'est-elle pas aussi sa culture?

Pour mieux connaître la littérature gabonaise, Global Voices a interviewé LePresqueGrand Bounguili, poète et universitaire gabonais vivant au Canada, et animateur de nombreuse initiatives portant sur la poésie de son pays entier en français, langue de l'ancien colonisateur.

L'interview s'est faite par email et a été légèrement modifiée sur le plan du style et de la longueur.

PresqueLegrand, photo utilisée avec permission.

Filip Noubel (FN): Que représente le collectif #LoSyndicat que vous avez fondé? 

LePresqueGrand Boungili (LB): #LoSyndicat est à la fois un collectif d’auteurs gabonais et une association culturelle. Lesdits auteurs sont disséminés entre le Gabon, la France et le Canada. Ils envisagent leur esthétique à partir de la pensée musicale foisonnante du musicien et poète Pierre Claver Akendengué. Un de ses thèmes central est la Liberté, défendue par un de ses personnages nommé Poê: c’est ce que l’on nomme La Powêtude. Ce groupe littéraire est constitué de Naelle Sandra Nanda, Peter Stephen AssaghleBenicien Bouschedy, Larry Essouma, Cheryl Itanda, et moi-même.

En tant qu’association culturelle légale, #LoSyndicat place la diffusion de la culture en général et de la littérature en particulier au rang d’acte éminemment émancipateur, avec pour cible la jeunesse. À ce titre, depuis quatre ans, l’association organise trois événements majeurs: La Semaine Considérable qui fait la part belle à des personnages au parcours exemplaires dans leurs domaines respectifs ou à des projets édifiants; Le festival Les Powêtudes qui célèbre les poésies d’Afrique et d’ailleurs ainsi que la Journée Nationale des Poésies de l’Indépendance (JNPI) qui comme son nom l’indique, associe le cri et l’écrit poétiques aux enjeux brûlants concernant l’indépendance véritable des peuples d’Afrique.

Il faut souligner la démarche altruiste que nous avons initiée : à travers nos ouvrages collectifs en effet (Souffle équatorial, La Liberté est têtue, Anto), nous avons modestement contribué à soutenir des initiatives communautaires dont la restauration d’une bibliothèque (Imya) à Port-Gentil [la deuxième ville du Gabon] créée par Sylvie Meviane Fourn; ou encore le soutien et la valorisation de l’ONG Fille Femme et Fière initiée par Mam Kumb. L’attention portée à ces deux projets rejoint aussi notre volonté d’être aux côtés d’initiatives de femmes porteuses d’idéaux.

Voici une des chansons typiques du style de Pierre Akendengué:

 

FN:  Comment définir les grandes lignes de la poésie gabonaise?

LB: La poésie gabonaise a connu des auteurs de qualité dont les œuvres oscillent entre enracinement dans une conscience nationale d’une part, et désir d’émancipation véritable d’autre part. Cependant, l’entrisme forcé ou volontaire des uns et le destin brisé de quelques autres a quelque peu contribué à une sorte d’assagissement du souffle poétique gabonais. Par
ailleurs, la poésie gabonaise est victime des formes diverses d’inculture notamment de l’élite politique nationale. Au Gabon, aucun homme politique, dans sa prise de parole, ne se réfère aux auteurs gabonais.

Dans ce contexte, il est assez logique que les jeunes Gabonais grandissent avec l’idée que ces auteurs n’existent pas. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de baptiser des rues, des édifices publics ou autres, la primeur revient presque systématiquement aux vieilles figures politiques,  et parfois aux colonisateurs. Jamais on ne pense aux écrivains. Au moment où nous tenons cette entrevue, je ne peux vous garantir que l’université de Libreville ait octroyé à un artiste gabonais le titre honorifique de Doctor honoris causa. Or, Omar Bongo [ancien président gabonais au pouvoir de 1967 à 2009 ] avait eu droit à cette distinction…

Il faut savoir que dans la première génération des poètes gabonais, l’acte d’écriture faisait partie des gestes participatifs qui encadrent la vie en communauté. Pour preuve, je citerais : Pierre Claver Akendengué, Pierre Edgar Moundjegou, Ndouna Dépénaud, Maurice Okoumba-Nkoghe. Il y a chez ces auteurs la volonté de convoquer un imaginaire qui interroge le rapport à l’environnement et surtout aux forces qui menacent l’équilibre de la communauté.

Plus près de nous, Auguste Moussirou-Mouyama, Bellarmin Moutsinga ou encore Eudes Bouassa et Stève-Wilifrid Moungengui ramènent la poésie à deux de ses grandes servitudes : le lyrisme de l’exil et la peinture des colères.

Toutefois, le Gabon est victime d’une idée fixe selon laquelle il faudrait avoir plus d’auteurs pour faire émerger des écrivains de qualité. Je pense plutôt que ce qui fait l’essor d’une littérature de qualité c’est l’action conjointe de lecteurs et surtout des critiques littéraires. Pour sa part, la critique littéraire continue de manifester à l’égard de la génération actuelle une attitude insolite et risible consistant à penser qu’on n’accorde de l’intérêt qu’aux auteurs publiés chez des éditeurs classiques parisiens. Pourtant, l’innovation littéraire est toujours du côté de ces mouvances discrètes qui naissent en empruntant des chemins de traverse et qui cultivent une esthétique de la marginalité.

Pour en savoir plus, lire: Gabon: changement dans la continuité? 

Couverture d'une anthologie publiée par #LoSyndicat

FN: Comment se passent les échanges entre la diaspora et la scène littéraire au Gabon?

LB: La présence des auteurs gabonais hors des frontières nationales est indéniable: les ouvrages foisonnent et les prises de parole existent. Pour l’instant, il est clair que ces auteurs n’enquillent pas les récompenses littéraires mais la question de leur qualité ne se discute pas de mon point de vue et je suis prêt à débattre de la question.

Aussi, des passerelles existent entre la terre d’origine et nos lieux d’exil même si tout cela reste timide, fragile et disparate, car le livre n’a pas encore rencontré son marché et que la classe politique considère que vendre un baril de pétrole vaut mieux que valoriser un demi-siècle de littérature.

Toutefois, bien que loin du Gabon, nous parvenons chaque fois à piloter et organiser des évènements littéraires avec le soutien de nos relais notamment deux visages féminins à saluer : la chroniqueuse L’Orchidée Moulengui mais surtout la slameuse Nanda citée précédemment. Toutes deux écument les lieux de Libreville et de Port-Gentil, chaque fois qu’il est possible de défendre nos créations et convictions esthétiques.

 

Couverture d'une anthologie publiée par #LoSyndicat

FN: Qu’est-ce qui fait la spécificité des littératures francophones d’Afrique?

LB: Les littératures d’Afrique ne sont pas appréciées à leur juste valeur dès lors qu’on leur accole une épithète ambiguë : francophone. On ne saurait parler de spécificités globales pour l’ensemble des pays d’Afrique qui ont en partage la langue française. Un auteur sénégalais et un tel autre malgache ou togolais ont leurs spécificités.

Cependant, le rapport à la langue reste un marqueur par rapport aux auteurs hexagonaux. La truculence, la gouaille, l’exubérance ou encore les pratiques d’indigénisation ou de créolisation du français, peuvent être prégnants. Le prochain défi de ces littératures sera peut-être celui d’être éditées en Afrique et incluses dans les politiques publiques des États africains. En ce sens, on peut se demander pourquoi les entités panafricaines (Union africaine) ou sous-régionales (Cédéao, Cémac) ne possèdent aucun prix littéraire.

Ce qui me paraît important c’est de constater que les auteurs d’origines africaines ne sont que très rarement consacrés sur le continent. C’est encore et toujours Paris, Londres ou New York qui dictent le goût. Et quand nous écrivons, ce sont les Français, les Anglais ou encore les Américains qui nous lisent, nous encouragent, nous sacrent et voire nous célèbrent. Dans le même temps, cette popularité est perçue en Afrique comme gênante aux yeux du politique notamment. Aussi, j’ose dire que tant que les artistes ne seront pas érigés en Afrique, au rang d’entités sanctuarisées, des mots tels que démocraties ou droits humains ne seront que slogans creux.

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