Les Caraïbes demandent réparation pour les dommages de l'esclavage (3/3)

L'affiche montre un esclave attaché à un tronc par le cou, avec le titre "Mouvement mondial pour les réparations".

Impression d'écran d'une illustration sur le site de la Commission des réparations de la CARICOM. Esclave attaché à un tronc par le cou.

Cet article est le troisième et dernier d'une série qui traite des réparations pour l'esclavage dans les Caraïbes. (Lien vers le premier article [fr] et vers le deuxième [fr]). Il est centré autour d'enjeux discutés lors de l'événement « Plaidoyer pour les réparations » organisé à l'occasion du Festival  Littéraire NGC Bocas. Lors de cet événement diffusé en direct sur Facebook, Sir Hilary Beckles, président de la CARICOM (Communauté des Caraïbes) a participé à une discussion approfondie sur la situation.  

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Cinq cent vingt-huit ans après que Christophe Colomb a mis le pied dans les Amériques, déchaînant la frénésie de la colonisation qui a abouti au génocide des peuples autochtones de la région et a ouvert la voie à la marchandisation des vies africaines, le NGC Bocas Lit Fest, le plus prestigieux festival littéraire des Caraïbes, a retransmis en direct une conversation avec Sir Hilary Beckles en commémoration de la Journée internationale pour les réparations.

Dans ce dernier épisode de la série, Global Voices examine le rôle que le secteur universitaire doit jouer dans l'appel à des réparations et se penche sur les moyens par lesquels la région peut développer des modèles économiques plus durables.

Les systèmes de suprématie blanche ont été « soutenus » par les universités

Certes, la victimisation des vies noires dans l'esclavage a peut-être commencé au sein de la classe des investisseurs, mais elle a été légitimisée par des institutions universitaires occidentales respectées, qui étaient positionnées « au cœur de la création de l'idéologie de la suprématie blanche et des moyens de sa perpétuation ».

Selon Sir Hilary, l'idée de convertir les gens en propriété, de légiférer sur cette pratique et de montrer comment elle fonctionne dans la jurisprudence, est née dans les universités, tout comme l'idée que les Noirs étaient génétiquement et intellectuellement inférieurs. Les départements d'anthropologie de ces écoles promouvaient activement la classification des personnes par des hiérarchies de couleurs.

Ceci étant, la Commission des réparations de la CARICOM estime qu'il est important de mettre en place une nouvelle pédagogie du développement économique inclusif. Cela comprend le rejet de l'idée que les capacités cognitives d'une personne puissent dépendre de la couleur de sa peau. En d'autres termes, les universités ont un rôle essentiel à jouer pour réparer la structure injuste qu'elles ont contribué à créer, et grâce au travail de la Commission, elles « se joignent à nous, une par une ».

La menace « triple C »

Sir Hilary a noté que la pandémie de COVID-19 [fr] avait « ôté le toit du foyer caribéen » et révélé les « héritages horribles » de la pauvreté, de la violence domestique [fr] et des inégalités économiques. Ces questions, a-t-il déclaré, nécessitent une approche multidisciplinaire.

Avant l'arrivée du COVID-19 dans les Caraïbes, l'Université des Antilles a créé un groupe de travail composé de virologues, microbiologistes et épidémiologistes, dont le but était d'examiner le virus d'un point de vue scientifique. Cependant, une fois que la région a été touchée, le groupe a dû être restructuré afin d'examiner les effets de la pandémie sous d'autres angles­ : le genre, l'anthropologie, la sociologie et les sciences politiques.

Rapidement, dans la liste des urgences liées au COVID-19, les problèmes scientifiques ont cédé le pas aux questions d'injustice. Le secteur de l'éducation [fr], par exemple, a été forcé de se passer en ligne, alors qu'un pourcentage important d'habitants des Caraïbes n'a pas d'accès à Internet [fr] et que les gouvernements régionaux – dont beaucoup sont économiquement sous le choc de la chute des revenus touristiques [fr] – n'ont pas le capital pour réduire l'écart.

Les projets de justice réparatrice pourraient, cependant, jouer un rôle important pour faire face à des défis comme ceux-ci. Sir Hilary a appelé les plus urgents le « Triple C » : les maladies chroniques, le changement climatique combiné à la culture touristique de la région, et le COVID-19. Il a classé le tout comme « un cocktail de menaces existentielles pour ces îles ». Sans un soutien multilatéral et international pour relever ces défis qui, pour la plupart, ont été « imposés de l'extérieur » à la région, a-t-il soutenu, les Caraïbes ne réussiront pas à se relever.

« Quand on veut, on peut »

Il ne fait aucun doute que les Caraïbes, dans cette quête active de réparations, négocient dans une situation d’inégalité économique. Après tout, une grande partie des ressources de la région a été extraite par ses colonisateurs pour enrichir et renforcer leurs propres sociétés. Cependant, afin d'équilibrer la situation, la Commission des réparations de la CARICOM met l'accent sur « l'égalité morale, la justice et la compassion ».

En outre, l’Organisation des Nations Unies, que la Commission a contactée [fr] pour superviser le processus, repose sur le principe que tous les pays membres participent sur un pied d’égalité. Cela ne signifie pas que le processus sera aisé, mais tous les gains réalisés dans l’éradication de la traite transatlantique des esclaves ont été durement gagnés.

Il a fallu tout le XIXe siècle [fr], a noté Sir Hilary, pour éradiquer légalement l'esclavage, 60 ans pour achever le cycle d'émancipation, et tout le XXe siècle pour lutter pour la démocratie, les droits humains et les droits civils. Le « moment de justice réparatrice » est la phase finale du processus, affirme-t-il, permettant à chacun de tourner la page et d'obtenir justice.

« Même si cela nous prend tout le XXIe siècle­ », dit-il, « nous n'abandonnerons pas.­ »

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