Les mots ont la parole: Épisode #05

L'expression russe “je ne mange pas six jours” est un calque du français adapté à la grammaire russe.

Les différentes versions de la langue française qui se parlent aux quatre coins du monde ne se ressemblent pas toujours. Dans notre rubrique “Les mots ont la parole”, nous mettons à l’honneur les mots ou expressions qui sont spécifiques à une région, un pays, une communauté, mais aussi les intraduisibles qu’on garde en français tels quels, ou qu’on traduit à moitié, et enfin les mots français qui passent dans d’autres langues et ne se traduisent pas, mais prennent parfois un nouveau sens. 

Vous pouvez également retrouver nos épisodes précédents, à savoir le premier, le second le troisième et le quatrième

Aujourd’hui, nous avons choisi ces trois termes et expressions:

Vieux père, voilà ton fils: cette expression est utilisée en Côte d’Ivoire dans le langage de la rue connu sous le nom de Nouchi et qui représente un mélange de langues locales et coloniales. Le Nouchi est aussi présent dans les médias et sur les réseaux sociaux et prend de plus en plus d’envergure au quotidien. 

Au départ, le terme “vieux père” est utilisé pour désigner les personnes du troisième âge. Avec l’addition des mots “voilà ton fils”, l’expression prend une connotation respectueuse et admirative utilisée pour s’adresser à un aîné dont on sollicite les faveurs car il jouit d’une position supérieure. 

L’expression est par exemple présente dans le titre d’une chanson de Tiken Jah Fakoly auteur, compositeur, interprète et chanteur de reggae ivoirien. 

 

 

Bled: Ce mot arabe (بلاد – prononcé balad) peut signifier plusieurs choses:  la ville, mais aussi la région, voir le pays natal.

Ainsi dans le contexte de la diaspora maghrébine en pays francophones, il fait référence au pays d’origine, ou parfois au village dont est issue la famille.  Cette chanson de Reda Taliani et du rappeur Rim K mélange arabe algérien et français et a pour titre « fi bladi rani mahgour » et fait référence à la jeunesse maghrébine partie de l’autre côté de la méditerranée. 

 

A partir de la référence au village ancestral, attesté en français dès la première guerre mondiale comme plusieurs autres emprunts faits à l’arabe algérien, le mot est entré dans l’argot français pour décrire, avec une connotation nettement péjorative, un lieu perdu et isolé à la campagne. 

Dans cet article de Global Voices, le mot est utilisé dans ce sens-la: “Deux d'entre eux ont des noms bien curieux : Cafundó [NdT: Que l'on pourrait, si l'on osait, traduire par “trou du cul du monde” ou plus proprement “bled”]” 

Lire:  Grâce au ‘jeitinho’ brésilien, des hameaux sans électricité ont finalement la lumière

En Algérie, le mot prend aussi un autre sens en fonction de la culture urbaine dans laquelle il est mentionné. A Alger, “aller au bled” est compris comme “aller au village”. Par contre à Constantine, troisième ville du pays, cette même expression signifie aller au centre ville. 

 

Monument à Odessa représentant une chaise qui joue un rôle majeur dans le roman culte “Les Douze Chaises” D'Ilf et Petrov. Photo de Filip Noubel, utilisée avec permission.

же не манж па сис жур: Cette phrase culte russe est une transcription en cyrillique de la phrase française “je ne mange pas six jours”. Elle est doublement intéressante car elle reprend la grammaire russe qui exprime le temps sans avoir besoin du mot “depuis” ou du passé nécessaire en francais pour dire “je n'ai pas mangé depuis six jours”, ou “cela fait six jours que je n'ai pas mangé.”

Cette phrase apparaît dans un roman culte, “Les Douze Chaises” (“12 стульев”) du couple d'auteuts Ilf et Pétrov, et qui raconte une chasse au trésor dans l’Union Soviétique des années 20. A noter que le roman est si populaire qu'il existe des monuments lui faisant reference, comme ici sur la photo à gauche à Odessa sur la principale rue De Richelieu, une sculpture représentant une chaise – un des éléments clefs de la chasse au trésor car selon la rumeur, des diamants auraient été cachés dans une chaise après la révolution de 1917.

De nombreuses scènes du roman se déroulent en effet à Odessa, car la ville qui est un port, a une reputation de trafic et brigandage. 

Le roman a aussi été adapté au cinéma, comme on l’entend dans cet extrait sur YouTube où l'acteur apprend à prononcer ces mots en langues étrangères:

 

A cette époque, une grande partie de la noblesse russe, dont très souvent la première langue était le français, perd tous ces privilèges après la révolution bolchevique de 1917 et est parfois obligée de mendier pour survivre. Le fait d'utiliser le français est un marqueur social de classe déchue. Aujourd'hui, cette phrase est souvent utilisée par des russophones qui veulent imiter le son du français sans forcément le parler. 

Si vous avez des mots ou expressions à partager pour les faire figurer dans notre rubrique “Les mots ont la parole” contactez-nous: filip.noubel@globalvoices.org

 

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